Quel est l’âge de votre naissance?

Temple d'Ollon (©Roland Zumbuehl, CC BY-SA 4.0 Wikimedia Commons)

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Quel est l’âge de votre naissance ? En général, on ne se souvient pas de sa première naissance. Parfois nos parents nous la racontent, nous montrent des photos et de nos jours, même des vidéos, mais ce n’est pas toujours le cas. De ma propre naissance, le 8 août 1980, je ne sais pas grand-chose, si ce n’est que, ce jour-là, je suis née à Lausanne. Par contre, je me souviens de la naissance de mes filles et elles aiment, les jours précédant leur anniversaire, qu’on leur raconte les éléments de leur journée. Et chaque année, on en raconte un peu plus, nous remémorant à chaque fois la joie de leur venue au monde, mais aussi le miracle que cela a représenté, sachant qu’à ces deux moments, la mort a frôlé le miracle de la vie et qu’elle aurait pu tout aussi bien gagner la partie.

Car si la vie et la mort peuvent se côtoyer dans une maternité, il en est de même tout au long de notre existence. Parfois l’on reste marqué par les temps de mort qui ont parsemé nos chemins : jours de deuils, échecs, traumatismes, violences, silences… vous seuls savez quels noms donner à ces moments que vous avez traversés, là où la vie a semblé comme s’être arrêtée. Mais savons-nous également repérer et nommer sur notre parcours nos jours de naissance (et je ne parle pas de nos anniversaires) ?

Je me souviens personnellement être née à 17 ans à l’occasion d’un échange scolaire au Canada de trois mois. Dans cet inconnu, ce nouvel environnement, loin de mon milieu de vie, j’ai pu me découvrir autrement, sans a priori. Comme si j’avais enfin la possibilité d’accueillir une autre part de moi qui ne demandait qu’à s’ouvrir, qu’à naître.

Je suis née encore une fois un jour d’automne 2009 quand quelque chose en moi s’est aligné, me sentant enfin prête à accueillir la vie. Je ne me souviens pas du jour exact, mais je me souviens encore très bien du lieu et de la sensation, comme si quelque chose s’était enfin posé.

Vous avez sûrement, vous aussi, des moments comme ceux-là qui vous reviennent en mémoire. C’était il y a longtemps. C’était hier. Et si c’était demain ? Car peut-être que vous êtes actuellement dans une période en attente de quelque chose de nouveau, de la sortie d’une impasse, d’une nouvelle opportunité, d’un apaisement, d’une nouvelle naissance.

Dans ces moments-là, quelque chose d’intime se joue à l’intérieur de soi. Parfois on le perçoit sur le moment, mais parfois il faut aussi du temps pour réaliser que cet instant précis a joué un rôle clé dans notre vie. Alors je me demande…

Je me demande si Abraham (alors qu’il se nommait encore Abram) a réalisé dans l’instant à quel point son départ serait source de changement, pas seulement pour lui, mais pour des générations à venir.

Je me demande ce que Nicodème a compris des échanges qu’il a eu avec le Christ. Je me demande comment les paroles échangées se sont ancrées en lui et quand est-ce qu’il a pu naître à cette nouvelle vie.

Je me demande si l’infirme de la Belle Porte a pu pleinement embrasser sa nouvelle condition. Je me demande combien de temps a été nécessaire pour son entourage pour accepter la nouvelle vie de cet homme.

Je me demande comment ces textes raisonnent chez vous et quelle parole pourrait vous mettre en route aujourd’hui.

Alors faisons ce matin quelques pas avec ces trois hommes. Peut-être pourront-ils déposer quelques cailloux blancs sur notre chemin afin que nous puissions à notre tour embrasser la vie, une nouvelle vie pleine de sens.

D’Abraham, certains disent justement de lui qu’il est un « quêteur de sens ». Je me dis qu’il est un peu comme vous et moi, car je crois que tout être humain, un jour ou l’autre, se pose la question du sens de sa vie. Cependant, où Abraham peut être source d’inspiration pour nous tous et toutes, c’est dans sa mise en mouvement. Car bien souvent, si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous constatons des résistances à nous mettre en route, des résistances aux changements et c’est bien naturel. Quoi de plus confortable que d’être bien installé !

Celui ou celle qui est en quête de sens dans sa vie a besoin de courage pour oser aller au bout de qu’il ou elle cherche, de cette part en lui ou elle qui demande autre chose. En ce sens j’aime beaucoup cette définition de Eugen Drewermann qui écrit : « La réponse à une question trop longtemps tue est une définition de la conversion. » La conversion qui est justement un appel à un changement : changement de regard, changement de position… un peu comme à skis, pas toujours simple à réaliser mais qui peut nous sortir de l’impasse d’une pente ou d’une neige difficile et nous offrir de nouveaux possibles.

Le Seigneur dit à Abram : « Pars de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir. » Il quittera ainsi son lieu de naissance et la maison de son enfance et c’est seulement alors qu’il se trouvera. C’est en se mettant en route vers une promesse, celle d’une fécondité, celle d’une naissance, mais d’une naissance bien plus grande que la venue unique d’un enfant qu’Abraham découvrira le sens de sa vie, son identité, ce à quoi il est appelé, ce à quoi Dieu l’appelle. Le but de sa marche s’écrit au futur. C’est donc bien en avançant au travers du désert qu’il se découvrira.

J’aime bien cette image du désert qui peut être tant un lieu de difficultés que celui du silence, du recueillement, de la rencontre avec soi, avec Dieu. Nos déserts sont multiples et bien souvent il nous faut à nous aussi le courage de se mettre en route et de les affronter afin de se redécouvrir.

Ainsi on traduit souvent ces quelques mots « pars de ton pays » par « va pour toi-même hors de ton pays, va vers toi » pour insister sur ce mouvement intérieur qui accompagne la marche, le déplacement physique.

Chacun et chacune d’entre nous peut devenir comme Abraham « quêteur de sens » se mettant en route au travers des terres plus ou moins arides de sa propre existence.

Chacun et chacune d’entre nous peut se mettre en quête de sa propre vocation. Il n’y a pas d’âge pour le faire. Abraham avait 75 ans quand il est parti. Il n’est jamais trop tard pour commencer à naître.

Nicodème a-t-il justement compris cela à la suite de son échange avec Jésus ?  S’il vient à sa rencontre, c’est d’abord parce qu’il s’interroge sur la signification des signes. Lui aussi est en quête de sens, lui qui cherche la parole qui est derrière ces signes. Jésus lui répond : « En vérité, en vérité, je te le dis : à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu. »

Il faut naître de nouveau, un peu comme si la réponse était déjà là, comme si la réponse était déjà en nous, à notre portée. Encore faut-il changer de regard. C’est cela, voir le Royaume de Dieu : changer de regard et poser le regard de Dieu sur notre vie et notre monde.

À cela, Nicodème rétorque qu’il est vieux. Mais nous le savons déjà, il n’y a pas d’âge pour naître. Je crois qu’ici, la mention de cet état de vieillesse, plus que de l’âge, se fait écho de l’expérience et du poids de la tradition dont il est issu. Car la jeunesse et la vieillesse ne se mesurent pas en années, mais plutôt à la capacité que nous avons de nous remettre en question, à la capacité que nous avons à accueillir ce qui est nouveau, à changer de comportement, à être curieux de ce que l’on ne connaît pas. Je connais des jeunes déjà vieux depuis bien longtemps et je me laisse constamment surprendre et toucher par ces personnes plus âgées qui gardent dans leur regard cette étincelle de vie et de curiosité tant sur le présent que sur ce qui a été.

Au fil du texte, « naître de nouveau » est remplacé par « naître d’eau et d’Esprit ». L’eau faisant bien sûr écho au baptême de Jean-Baptiste, cette eau dans laquelle Jésus fut plongé et à laquelle s’ajoute la vie par l’Esprit, symbolisé à ce moment-là par une colombe. Ainsi naître de nouveau, naître d’eau et d’Esprit, c’est réaliser que c’est Dieu qui m’engendre aujourd’hui. Antoine Nouis parle ici du « premier jour de la foi comme du premier jour du reste de ma vie. »

Nicodème n’a pas traversé de désert, mais il a traversé la nuit. Car c’est de nuit, nous dit le texte, qu’il vient à la rencontre de Jésus. Certains disent que c’est parce qu’il ne voulait pas se compromettre, ou encore, que c’était pour avoir un échange au calme avec Jésus. Mais en lien avec le désert d’Abraham, j’aime à penser qu’il faut parfois que la nuit se fasse pour pouvoir accueillir la lumière du matin.

Je me dis que Nicodème se prépare à une nouvelle naissance, une nouvelle aube dans sa vie dont se fait l’écho la fin de cette rencontre au terme du chapitre 3 : « Celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses oeuvres ont été accomplies en Dieu. » Nicodème fera son propre chemin, et en quête de sens des signes, il trouvera une parole de Lumière pour son existence. Il trouvera un nouveau regard, celui du Christ, qui lui offrira un nouveau sens à sa vie.

Un nouveau regard sur sa vie, c’est exactement ce dont avait besoin l’infirme de la Belle Porte. Cette dernière n’est de loin pas un lieu de beauté, mais un lieu de mendicité pour cet homme infirme qui se trouve doublement dépendant – tant de ceux qui le portent que de celles et ceux qui lui font don de leur générosité.

Pour cet homme, il y aura une nouvelle naissance en trois étapes. Tout d’abord au travers d’un regard, celui qu’il échange avec Pierre et Jean. « Regarde-nous », lui disent-ils. Au travers de cet échange de regard, il ne sera plus anonyme, mais une relation s’installera de personne à personne. L’homme observe Pierre et Jean mais il ne comprend pas, car il s’attend à ce qu’on lui donne quelque chose. Il est encore dans sa position de mendiant.

Puis vient cette parole de Pierre : « Ce que j’ai, je te le donne. Au nom de Jésus-Christ, le Nazaréen, marche ! » Là, Pierre joint le geste à la parole et d’une certaine manière tire le mendiant de son infirmité. Impossible de ne pas évoquer ici le verbe « se lever », verbe utilisé pour exprimer la résurrection. Ainsi, pour l’infirme, la guérison devient une résurrection. Mais cela va bien au-delà du corps, car les infirmes étaient considérés comme impurs et ne pouvaient donc pas avoir accès au temple. Le voilà maintenant par un regard, une parole, un geste, réhabilité, debout, marchant et bondissant en louant Dieu dans le temple.

Et ce qu’il y a encore de particulièrement intéressant avec ce texte, c’est la réaction de l’entourage. On dit de lui qu’il est stupéfait mais aussi désorienté. Comme si au moment où l’homme qui était infirme retrouve pied, c’est son entourage qui perd l’équilibre.

Car toute naissance, il est vrai, amène son lot de changements tant pour la personne que pour son entourage. La venue d’un nouvel enfant pousse le foyer et la famille à se réorganiser et à trouver de nouveaux repères, un nouveau de fonctionnement. Mais parfois c’est encore plus difficile pour l’entourage lorsqu’il ne s’agit pas d’un nouveau-né, lorsque l’on a toujours connu cette personne d’une certaine manière. Lorsque celle-ci ne se satisfait plus du rôle qui lui a été distribué depuis toujours, que ce soit dans la famille celui de l’enfant sage ou rigolo, ou encore au travail ou entre amis, le collègue sérieux, la copine qui veut toujours faire la fête, celui sur lequel on peut compter, celui qui n’est jamais là… Si l’entourage ne suit pas et n’arrive pas à retrouver de nouveaux repères, cela peut malheureusement créer des ruptures dans des relations parce que ce qui semblait acquis, ce qui semblait imposé par une culture, un cadre de vie, une tradition, un système… ne l’est plus.

Encore une fois, cela nous ramène à Abraham, lui qui a quitté sa mère et son père, mais qui est parti avec sa femme et son neveu. Parfois de la distance se crée dans ces temps de changements, mais nous pouvons aussi emmener dans notre sillage celles et ceux qui nous sont proches et devenir source de témoignages et d’encouragements pour eux.

Alors je me demande : quel est l’âge de votre naissance ? Quel est le « premier jour du reste de votre vie » et qu’en avez-vous fait ?

Je souhaite qu’en ce jour, vous puissiez nommer les naissances qui ont été les vôtres, les chérir et y découvrir le regard de Dieu, l’élan de son Esprit et la vie de son Fils.

Je souhaite le courage à celles et ceux qui sont en attente d’une nouvelle naissance, le courage dans la certitude de la présence de Dieu et de la vie qu’il souhaite conjuguer pour nous tous et toutes au futur.

Amen.

Il y a notre première naissance, celle dont on ne se souvient pas, puis la vie avec ses hauts et ses bas. Mais nous pouvons tous et toutes naître plusieurs fois au cours de notre existence. C’était quand pour vous?

En nous mettant à l’écoute de Jésus, nous réfléchirons à nos morts et nos résurrections, et comment sa Parole peut être source de nouvelle(s) naissance(s) pour chacun et chacune.

Détails

Avec la participation de
Déborah Gesseney, pour les lectures, et Zélie Pellet, pour la liturgie
Orgue
Pierre-Yves Fleury
Musique
Caroline Michel, mezzo soprano