Ecclesia reformata semper reformanda : entre héritage du passé et musique d’avenir

image

Écouter le culte :

Au cœur de ce troisième culte sur les grands principes de la Réforme se trouve la devise « Une église réformée toujours à réformer ». Deux couples mixtes ont exprimé des attentes de consolidation : de la relation à Dieu par la louange, de la relation entre églises par des partages communs et de la relation à la société par un dialogue avec la culture. Ces trois points forts sont proches des trois mots-clés que je relève dans les passages bibliques qui ont été lus. Le premier est celui de mystère : l’Eglise est appelée à faire connaître le mystère de la grâce révélée en Jésus-Christ, qui permet à quiconque de recevoir de Dieu le salut et d’être intégré à son peuple ; comment traduire ce mystère en Eglise ? Le second mot-clé est celui de dialogue : l’Eglise est le lieu privilégié du dialogue entre l’homme et Dieu, qui lui permet d’entendre son Seigneur et d’accueillir son amour ; comment favoriser ce dialogue dans nos églises ? Le troisième mot-clé est celui de communion : l’Eglise est l’espace de communion qui permet à chacun d’encourager l’autre dans sa marche vers le Royaume ; comment manifester cette communion dans nos communautés et entre nos confessions ? Pour approfondir ces textes et ces questions, une fois n’est pas coutume, je vous propose un développement théologique à partir de la Nouvelle perspective sur Paul.

Alors Luther déjà avait proposé une nouvelle perspective sur Paul dans son commentaire des épitres aux Romains et aux Galates. Il en avait dégagé la clé de voûte de son système : la justification par la foi, qualifiée d’article de foi qui fait tenir ou tomber l’Eglise. Cette nouvelle perspective a fait s’effondrer tout un mode de pensée par un pilonnage intensif du salut par les œuvres que combattait déjà saint Paul. S’il y a une idée phare à retenir de la Réforme, n’est-ce pas celle-là ? En traquant ses innombrables incidences jusque chez les plus évangéliques d’entre nous ? Ainsi, avoir et imposer un niveau d’exigences très élevé à notre pratique chrétienne peut équivaloir à une forme de salut par les œuvres, dont le corollaire est la plupart du temps le jugement de celui qui n’y correspond pas. À cette altitude, les saints se font rares. Il est bien plus exigeant et bien plus détaché de pareilles prétentions, le regard de grâce que nous sommes appelés à poser sur toute créature, à commencer par nous-mêmes. C’est à ce regard que nous invite le catéchisme réformé de Heidelberg, en intitulant sa section pratique « De la reconnaissance » : vivre sa foi, c’est juste une façon de dire merci.

Un théologien réformé a mis en évidence que la vie chrétienne est essentiellement baptismale ; le baptême introduit dans l’alliance et constitue un appel et une promesse. La vie chrétienne consiste à répondre à cet appel et à vivre de cette promesse. Très bien vu, contrairement à sa conception du Carême, réduit à une pratique des œuvres. S’il peut ou a pu l’être, combien de protestants expérimentent les bienfaits du Carême, la bénédiction attachée à ce temps de retraite spirituelle qui nous prépare à Pâques ? On peut certes peiner à entrer dans ce type de spiritualité ; mais de là à voir dans le Carême une forme de salut par les œuvres, c’est en faire une lecture réductrice et inappropriée.

La Nouvelle perspective sur Paul part du même principe de lecture inappropriée à partir de la même question du salut par les œuvres. Initiée par un théologien libéral, elle a été reprise par des exégètes évangéliques anglicans. Elle pointe qu’en voulant éradiquer le salut par les œuvres propre au catholicisme de leur temps, les Réformateurs ont procédé à une sorte de copier/coller de leur problématique sur les écrits de Paul. La Nouvelle perspective met en évidence que le judaïsme s’appuyait sur une théologie de l’alliance dans laquelle la grâce est première. Du coup, il s’agit de déplacer le curseur à propos du débat sur les œuvres de la Loi. Elles ne s’opposent pas au salut par la grâce au moyen de la foi, mais à l’extension du peuple de Dieu au-delà du cercle des enfants d’Abraham et de leurs assimilés. La question de la grâce et des œuvres ne touche donc pas au salut des individus mais à la délimitation des frontières de l’Eglise. En effet, en posant comme marqueurs d’appartenance au peuple de Dieu la pratique des œuvres de la Loi, le judéo-christianisme en excluait les chrétiens d’origine païenne ou les contraignait au minimum à passer par la case judaïsme, à judaïser comme on disait. L’enjeu était tel que Paul n’a pas hésité à s’opposer à l’apôtre Pierre lui-même sur le sujet. Il en allait de l’unité du peuple de Dieu à l’aube du christianisme, dans la diversité de ses origines et de ses expressions de la foi.

L’intérêt de cette Nouvelle perspective, qui a ses limites, est de remettre l’Eglise au centre du plan de Dieu pour l’humanité. Cela peut paraître prétentieux. Ou utopique. Le théologien libéral Alfred Loisy en doutait tellement qu’il a écrit : « Jésus a prêché le royaume, et c’est l’église qui est venue. » Judicieuse piqûre de rappel à l’humilité, qu’il s’agit d’appliquer de trois manières au moins. Tout d’abord en reconnaissant que l’Eglise n’est pas le miroir du royaume prêché par Jésus, ou alors un miroir dans lequel nous voyons de manière confuse, comme l’écrit Paul. L’humilité consiste aussi à oser redonner à l’Eglise sa place en tant que mystère et dévoilement. En la remettant – je parle comme un Lausannois - sur la place centrale ; avec ou sans camion, avec ou sans banderole. Troisième manifestation d’humilité : aller chercher chez saint Paul notre Pack Réformation. C’est ce que nous allons tenter de faire sans prétention, mais avec une pincée d’utopie. Dans cet élan, j’ai retenu trois dimensions fondamentales de l’Eglise dans les écrits de Paul :
Première dimension, l’Eglise comme dévoilement du cœur de Dieu.
Deuxième dimension, l’Eglise comme dévoilement du cœur de l’homme.
Et troisième dimension, l’Eglise comme dévoilement du cœur de la vie.

L’Eglise comme dévoilement du cœur de Dieu
Dans la lettre aux Ephésiens, le terme de mystère est récurrent. Avec, pour l’Eglise, une place de choix comme matrice du mystère à dévoiler. Tout part de ce concept de mystère, cher à divers courants ésotériques, dont le dévoilement se faisait au travers d’un processus initiatique. À la fin du premier siècle, le gnosticisme tentera d’y soumettre l’Evangile ; ce fut un des plus grands combats mené par le christianisme encore adolescent. La lettre aux Ephésiens s’articule autour du dévoilement de ce mystère : Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté. Il s’agit d’une grande première : ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des fils des hommes dans les autres générations, comme il a été révélé maintenant par l’Esprit. L’auteur s’en estime le gracieux bénéficiaire : c’est par révélation que j’ai eu connaissance du mystère. Il en est surpris plus qu’il ne s’en vante : vous pouvez comprendre l’intelligence que j’ai du mystère du Christ. Du coup, sa mission est claire : mettre en lumière la disposition du mystère caché de toute éternité en Dieu. Et quel est-il, ce mystère ? Dieu a mis en action sa puissance dans le Christ en le ressuscitant des morts et en le faisant asseoir à sa droite dans les lieux célestes. Cette puissance, littéralement cette dynamique, ôte à la mort son pouvoir ultime. La Résurrection du Messie Crucifié, voilà le mystère enfin dévoilé. Et les conséquences ? Les païens ont un même héritage, forment un même corps et participent à la même promesse en Jésus-Christ.

Ainsi, des juifs et des païens, le Seigneur n’a fait qu’un. La définition de l’Eglise s’élargit d’un coup aux dimensions du monde. Elle n’est soumise à aucun nationalisme, à aucune exclusion, à aucune différence séparatrice ; tout est réconcilié en Christ, c’est l’aube d’une nouvelle humanité, l’introduction d’un nouveau paradigme du croire et du vivre ensemble, dirait-on de nos jours. À partir du mystère de la Résurrection, un peuple nouveau se constitue. Ainsi, l’Eglise se trouve au centre du plan de Dieu : Dieu a donné le Christ pour chef suprême à l’Eglise qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous.

C’est vertigineux de saisir que l’Eglise est la plénitude de l’agir divin ici-bas ; chaque mot est lourd de sens et mériterait qu’on s’y attarde. La seconde citation au sujet de l’Eglise dévoile encore une autre dimension, et pas des moindres : ainsi désormais, les principautés et les pouvoirs dans les lieux célestes connaissent par l’Eglise la sagesse de Dieu dans sa grande diversité, selon le dessein éternel qu’il a réalisé par Jésus-Christ, notre Seigneur.

Les principautés et les pouvoirs dans les lieux célestes : on prend de la hauteur. Elle est loin, notre EERV, on ne distingue même plus son logo. Il est loin le 500e de Luther, des Luthériens, des Réformés… détail de l’Histoire. Pareil pour les particularités de nos prédécesseurs orthodoxes et catholiques ainsi que de nos successeurs, évangéliques et charismatiques. Détail ou plutôt inscription dans l’Histoire avec ses vicissitudes et ses gloires. Elles sont si loin nos considérations humaines, nos divisions et nos vaines distinctions. À la lumière de la dimension et du retentissement céleste de la réalité spirituelle de l’Eglise, impossible d’être prétentieux et impossible de ne pas être utopique. Impossible de ne pas rêver l’Eglise au-dessus et au-delà de nos pathétiques contingences.

L’Eglise comme dévoilement du cœur de l’homme
Nous rejoignons le culte de la communauté charismatique de Corinthe. Ah, qu’ils aiment parler en langues, plus ça vrombit mieux c’est. Mais que c’est vain pour le simple auditeur ou l’incroyant qui n’y comprend rien, tandis qu’une parole de connaissance qui le touche au cœur, change tout ; à l’époque de Paul dans tous les cas, ce n’était pas rare. Et pour lui, une parole de dévoilement en vaut dix-mille en langues. Bien moins démonstrative, mais bien plus performative. Ainsi, la prophétie édifie la communauté et amène l’incroyant à adorer Dieu. C’est une forme de culte qui nous est en grande part étrangère, hormis pour quelques hot spots charismatiques dans le canton ; on n’a pas tous la fibre aussi pneumatique. Et pourquoi ne pas s’y ouvrir ? Pourquoi ne pas déverrouiller nos accès à cette dimension ? Sans verrouiller les autres formes de communication de l’Esprit. Combien souvent des gens sont touchés par une prédication, une prière, une parole. Nous échangions l’autre soir dans un groupe sur « Dieu parle : où ? quand ? comment ? » Quelle diversité dans la façon dont les gens sont touchés par l’Esprit qui nous rejoint au plus profond pour nous ouvrir à sa lumière. En science, on distingue la lumière ou l’optique cohérente capable de trancher l’acier, sous la forme d’un rayon laser, de la lumière incohérente, diffuse comme celle du soleil qui n’a pas cette capacité ; mais qui éclaire, réchauffe et régénère.

N’avons-nous pas besoin des deux ? L’Esprit ne rayonne-t-il pas de façon diffuse comme la lumière incohérente ainsi que de façon concentrée comme le rayon surpuissant du laser ? Il peut de mille manières trouver écho à l’image de Dieu en l’homme. Et notre église toujours à réformer, n’est-elle pas appelée à en être le laboratoire ? En s’ouvrant à l’accueil du Souffle divin et en veillant à rejoindre ses contemporains. En cherchant de nouvelles façons pour que le simple auditeur soit touché au cœur. Il en va aussi de notre attitude, de notre ouverture, de notre disponibilité pour favoriser ce cœur à cœur entre nos semblables et leur Seigneur ; si nous voulons bien commencer par, nous-mêmes, nous y adonner. Vivre l’église comme dévoilement du cœur de l’homme, une église toujours à réformer.

L’Eglise comme dévoilement du cœur de la vie
À ces chrétiens zélés et un peu bling-bling de Corinthe, Paul propose une vision holistique.
D’accord, ils sont les champions du parler en langues ; d’accord, ils prophétisent à tour de bras. Mais ils ont plus de peine à faire descendre leur foi jusque dans les affaires privées. Ce n’est pas sur ce terrain qu’ils font la différence ; ou plutôt si, mais pas dans le bon sens. Jugements, comportements moraux, affaires publiques, liens avec l’idolâtrie, les Corinthiens sont les champions des excès. Du coup, Paul les invite – et nous avec eux - à tout faire pour la gloire de Dieu. À ne pas la cantonner à un super moment d’adoration et à éviter, comme diraient nos voisins français, les signes de gloire ostentatoires. Si nous sommes les serviteurs du serviteur qui n’avait rien pour attirer les regards, allons-nous glorifier Dieu en énumérant tout ce que nous vivons et faisons d’exceptionnel ? Ou plutôt le prier sans oser lever le regard ? Qui, du coup, ne risque pas d’être hautain… ce type d’attitude –et d’inquiétude-- pouvant être une forme de salut par les œuvres. Il est là, le dévoilement du cœur de la vie : tout faire pour la gloire de Dieu par un souci constant du bien de l’autre.

Paul fait redescendre la spiritualité de la stratosphère sur notre bonne vieille terre. Il accroche le wagon éthique à la locomotive charismatique et propose de troquer les joutes glossolaliques –les langues ou la langue de bois ou la main de fer-- contre le souci de l’autre. Veiller à ne pas scandaliser la sœur, le frère aux repères différents. La gloire de Dieu consiste à lui permettre d’avancer sur le chemin du salut, pas de l’en faire dévier par dureté

Alors certes, notre Eglise existe depuis près d’un demi-millénaire, soit un petit quart de l’histoire du christianisme. Certes, nous vivons une année jubilaire et offrons une foule de manifestations. Certes, nous réfléchissons, planifions, anticipons comme jamais. Et nous ne parvenons pourtant pas à ne pas scandaliser des frères. Le motif de la gloire de Dieu par le souci du bien de l’autre continue à nous tancer et les paroissiens à se distancier. L’auditeur de passage dans nos temples est-il davantage touché que jadis à Corinthe ?

Cet appel vibrant de Paul à un engagement sans failles pour le frère, la sœur, l’incroyant, traduit sa conception d’une Eglise sans différences séparatrices. Si Dieu a fait des Juifs et des païens un seul peuple, il s’agit de faire preuve d’égards envers tous. De manifester dans nos relations mutuelles le souci du bien de l’autre, en tenant compte de ses limites autant que de ses élans. Et de limites à pareil agir, il n’y a pas : quoi que vous fassiez. L’interpellation est forte, déjà intra-muros, commençons par-là. Et aussi extra-muros, de façon encore plus subtile. Que signifie tout faire pour la gloire de Dieu dans un monde indifférent ? Comment agir pour le bien de tous afin qu’ils soient sauvés ? Où sont leurs limites ? leurs manques ? leurs frustrations ? leurs attentes ? Il y a là aussi une importante part de mystère, un énorme besoin de dialogue et une immense soif de communion.

Il est temps de nouer la gerbe. Le premier mot-clé est celui du mystère d’amour que l’Eglise est appelée à dévoiler en proclamant la grâce du Christ crucifié et ressuscité ; avec opiniâtreté et créativité. Il peut être mis en lien avec une expression renouvelée de notre louange à Dieu. Nous sommes ensuite appelés à cultiver le dialogue empathique pour traduire l’amour de Dieu envers toute créature ; une bonne base pour vivre des cultes autrement, pour vivre autrement en lien avec la culture. Enfin, nos communautés ne seront jamais assez des espaces de communion, des lieux de partage authentique dont on souhaiterait tant que l’on dise « voyez comme ils s’aiment », à la fois dans et entre nos confessions.

Église réformée toujours à réformer, avec tes sœurs cadettes et aînées, sois dévoilement du cœur de Dieu, dévoilement du cœur de l’homme, dévoilement du cœur de la vie. Et tout le reste te sera donné en plus.

Les grands principes de la Réforme : des clés pour aujourd’hui ? Série 3

« Jésus a annoncé le Royaume, et c’est l’Eglise qui est venue » a écrit Loisy : la pire des déconvenues ? Et si une clé était au contraire de remettre l’Eglise au milieu du village, du plan divin ? C’est le pari audacieux de la « nouvelle perspective sur Paul », qui questionne l’interprétation protestante classique et contribue à poursuivre le renouveau de l’Eglise. Nous tenterons de découvrir les clés que nous fournit cette perspective pour la re-formation de l’Eglise en ces temps de grande incertitude.

Détails

Avec la participation de
Micheline Perrier
Orgue
Samuel Cosandey
Musique
Pierre Arpin, soliste