Au coeur de nos vies, au coeur de nos vides: le plein d'élan

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Écouter le culte :

Ce matin, l’évangile nous embarque au bout de la nuit, dans une bienfaisante intimité. Jésus nous attend en ce matin, je vous invite à la prière :

Seigneur, nous voici dans nos barques, avec nos vies et nos cœurs parfois vides. Tu nous attends sur la rive de nos existences avec des braises de douceur. Que ton Esprit ranime en nous la flamme de ton amour nous t’en prions, amen.

Un avion dans le ciel, il tombe en chute libre, le bruit du crash, terrible. La carlingue éventrée, de la fumée, des voix dans le lointain. Un homme : il tire dehors des personnes comme en un rêve, puis monte dans une voiture et disparaît. On l’imagine rejoindre les siens mais non, il se rend chez des amis de son adolescence. Les médias partent à la recherche du héros, il reste introuvable. Une fois de retour chez lui, il a des réactions bizarres, il s’énerve pour un rien. Il mettra beaucoup de temps à revenir à la vie normale. C’est le début d’un film qui décrit l’état de sidération après un choc traumatique violent.

Est-il dans le même état ce soir-là lorsqu’il retourne à la pêche, trois ans après avoir laissé ses filets ? Choc traumatique violent, le Maître qui l’avait appelé à sa suite a été crucifié. La fin d’une folle espérance.
Sidération qu’il se soit laissé faire, que Dieu ne soit pas intervenu.
Sidération encore à l’annonce de Marie-Madeleine puis en entrant dans le tombeau vide.

Le plus jeune des disciples, celui que Jésus aimait, voit et croit mais lui, il retourne à la pêche. Ils sont sept en fait, le chiffre parfait ; drôle de perfection. État de sidération, le futur se retrouve derrière eux comme si rien ne s’était passé. Un rêve, un très mauvais rêve dont ils ne parviennent pas à s’extirper.

Cela vous est-il déjà arrivé d’être dans un état pareil ? D’agir comme si quelque chose d’essentiel n’avait pas vraiment existé, de fuir ? Ou, plus simplement, de faire sans, en vous enfonçant dans la nuit, inexorablement ? Sous le choc. Moi, si.

Ce n’est tout de même pas banal de revenir à une vie avant Jésus parce que sans Jésus. Évanouies toutes ces années, toutes ces paroles ; éteintes toutes ces particules de lumière.
Malgré l’enseignement du Maître, si souvent en prise directe.
Malgré ses apparitions à l’aube et au crépuscule de Pâques.
Malgré le doigt dans les stigmates et le souffle chaud de l’Esprit donné.
Malgré la paix offerte et la joie retrouvée.

La barque file sur l’eau aussi noire que le ciel, les bruits sont familiers. Les réflexes remontent à la surface, ils savent où jeter leurs filets. Sur ce lac si souvent traversé avec lui, dont la fois où il s’était endormi – quelle panique ! Ou sans lui, quand il les avait rejoints comme un esprit : « Seigneur, sauve-moi ! » Cette main solide qui l’avait saisi au moment d’être englouti. Pas un poisson en cette interminable nuit d’absence. Parlent-ils seulement ? Se contentent-ils des gestes à faire, murés dans un silence d’hommes, sans lumière ? Le constat est sans appel : « Cette nuit-là, ils ne prennent rien. »

Nuit de l’âge qui avance et nous enserre dans les douleurs et l’immobilité.
Nuit du sens où on ne sait soudain plus vers qui, vers quoi se tourner.
Les certitudes vacillent, les impressions se floutent, la barque tangue.
Nuit de pêche infructueuse au comble de la frustration.
Souvent infestée de pollution lumineuse, aguicheuse à vrai dire ténébreuse.
Écran noir après les illusions d’une toile désespérément virtuelle qui nous laisse seuls.
Des nuits comme celles-là, nos filets restent vides et nos cœurs sonnent creux.

Pour Simon-Pierre et ses compagnons, le retour à une vie normale sonne creux. Estagnon vide shooté par le soulier d’un enfant sur un terrain vague. La solution est ailleurs, elle pointe comme l’aurore ; mais ils l’ignorent.

« Cette nuit-là, ils ne prennent rien. Déjà l’aube. Jésus se tient sur le rivage. Ils ne savent pas que c’est lui. »

Une présence, ils ne sont pas seuls, même s’il s’agit d’un inconnu. L’aurore en eux se lève lentement, venant vaincre leurs obscurités.

Une voix rompt le silence déçu des hommes fourbus : « Enfants, vous avez du poisson ? » « Non. »

Premières lueurs de l’aube, premières étincelles de vie, reconnexion en cours. Et si c’était lui ? Un feu, du poisson et du pain grillés, ils sont attendus sur le rivage de leur nouvelle vie. Revenant de l’étendue d’eau aride, levant le regard vers une autre réalité. Comme jadis Moïse au cœur de la sécheresse vers le buisson ardent. Autre paysage, autre mode mais même présence réelle et insaisissable. Autour du feu, un cœur de braise.

Cela vous est-il déjà arrivé : ces instants suspendus, moments de grâce douce et brûlante ? Une présence en bout de course, difficile à déchiffrer. Et soudain, à n’en point douter : « C’est lui ! » Ou une fois posés : « C’était lui, j’en suis sûr ! » Reconnexion à l’essentiel, accueil de la vie nouvelle. Se laisser attendre, rejoindre, réalimenter, c’est tellement nécessaire, tellement indispensable. La douce chaleur d’un feu de braise, buisson ardent apprivoisé par le Ressuscité.

« Jetez le filet à droite de la barque », pur non-sens. Le voilà plein à craquer : autant de poissons que de nations alors comptabilisées. Personne ne manque à l’appel, à la pêche, le filet les maintient tous ensemble. Leur revient comme un refrain lancinant : « Je vous ferai pécheurs d’hommes. » Les sept peuvent ranger barques et filets, définitivement, en toute paix. « L’aube déjà », tout commence pour ne plus s’arrêter.

Cela vous est-il déjà arrivé ? Cela, tout cela, tant de choses ? Passage des brûlures de l’obscurité à une Présence incandescente. Nous pourrions rester là, hypnotisés par la danse des flammes et sa silhouette. Oublier le pain et le poisson, oublier de s’alimenter, de digérer.

On peut donc croire en Jésus-Christ, fils de Dieu, croire qu’il est ressuscité, avoir reçu son Esprit, être remplis de sa joie et de sa paix – et retourner à ce qui était, chercher l’avenir dans le passé.
La confiance dans la sécurité.
L’aventure dans sa zone de confort.
Ramer, peiner, suer pour rien.
Barque vide, cœur vide, horizon bouché.

On peut redoubler d’efforts en vain, ramer dans la mauvaise direction en étant pourtant si près du banc tant espéré : « Jetez vos filets à droite de la barque. »

Comment la nuit cède-t-elle place au jour ?
Comment d’infructueuse, la pêche devient-elle miraculeuse ?
Comment, de transis et fourbus, ces sept hommes se retrouvent-ils nourris et pacifiés ?
Comment, de leur ancien métier, leurs vieilles valeurs, sont-ils ramenés à leur vocation ?
Réintégrés en vie nouvelle, reconnectés au Ressuscité et à leur appel ?
Comment cette communauté frileuse de croyants devient-elle une église de témoins ?

Ils laissent faire Jésus qui les attend sur le rivage de leur existence à bout de souffle. Il les interroge, comme les deux sur le chemin d’Emmaüs. Ils peuvent déposer leur échec et accueillir sa Parole de vie au creux de leur vide. Ils peuvent jeter le filet du bon côté et, à sa suite, œuvrer : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. »

C’est bien cela mais nous l’oublions si vite, retour à l’ancienne vie. Recours à nos seules forces, à nos filets rapiécés jetés dans la nuit noire. Dans nos vies, dans notre église en chute libre, proche du crash, en état de sidération.
Sans Jésus, présent sur notre rive, nous ne pouvons rien faire.
Sans l’écoute de l’Esprit soufflé sur nos vies, nous ne savons que faire.

Comme pour les disciples, le salut n’est pas dans un retour à la vie normale, mais dans l’accueil de la direction du Seigneur qui nous rejoint, si souvent oublié lors en sombres traversées.

Envie de prier :
Seigneur, voici ma barque vide de toute prétention, de toute illusion.
Et aussi la goélette au moteur grippé de notre communauté.
Et encore le navire de notre église à la dérive.
Donne-moi de ton pain, nourris-moi de ton poisson.
Accorde-moi, accorde-nous de jeter nos filets du bon côté.
De pouvoir atteindre tout humain qui a soif de toi.
Tu nous l’as promis : « Je suis venu afin que mes brebis aient la vie et l’aient en abondance. »
Alors me voici, nous voici avec nos barques vides et nos filets percés.
Fais en nous et par nous toutes choses nouvelles.
Souffle sur nous et ranime en nous la flamme de ton amour, amen.

Le tombeau vide, les barques vides de nos vies, nos pêches infructueuses. Et si le Ressuscité nous attendait sur le rivage pour nous renvoyer, fortifiés, sur les flots de l'existence?

Détails

Avec la participation de
Madeline Guignard, Marie-Claude George, Pierre Badoux, Noémie Steffen
Orgue
Musique
Serge Chollet au piano et au chant, Sonia Aubert à la clarinette et au chant, Michel Karlen au chant, Rita Karlen et Antoine Schluchter à la guitare