Elever son regard – à Dieu seul la gloire !—et se laisser rejoindre – Christ seul !

image

Écouter le culte :

Comme indiqué en début de culte, je suis rentré vendredi soir d’un camp de catéchumènes en dernière année, un mois environ après un week-end de catéchumènes des deux années précédentes. Une différence majeure, de l’ordre de l’amélioration, a été notée entre les deux. Elle ne concerne pas la durée du temps passé avec les jeunes, elle ne concerne pas non plus la qualité de l’équipe d’encadrement ni le lieu, ni la météo, ni le panel d’activités. Non, cette différence majeure, de l’ordre de l’amélioration, concerne… la pharmacie, le contenu de cette valise mythique en plastique orange qu’on trimballe un peu partout, équipée de médicaments dont certains antidatés et d’autres manquants même, lors du week-end, et remise à jour pour bien accomplir sa mission lors du camp.

Alors, question : quel est l’état de la pharmacie de notre église réformée, pour qu’elle puisse continuer à bien accomplir sa mission ? N’est-elle pas un peu malade, un peu en souffrance, un peu patraque, notre église ? Ou n’a-t-elle pas, pour le moins, besoin de soins de confort ? Besoin d’être boostée, vitalisée, dynamisée ? On entend monter de la base des plaintes, des gémissements, des cris de frustration :
- « J’ai mal à mon église. »
- « Il n’y aura bientôt plus personne. »
- « Ça devient un gros machin auquel on ne comprend plus rien. »
- « Y’a plus que des vieux qui chantent tant bien que mal des trucs ringards. »
- « On a l’impression que certains pasteurs ne savent plus ce qu’ils croient. »
- « Et que d’autres s’évertuent à répondre à des questions qu’on ne se pose pas. »
- « Ou mettent au service du Seigneur et de l’Eglise les dons qu’ils n’ont pas reçus. »
Sept remarques critiques dont les deux dernières font partie du recueil d’humour pastoral. Elles indiquent au minimum, me semble-t-il, la nécessité de mettre la pharmacie à jour. Et justement, les médicaments et autres revitalisants proposés jadis par les Réformateurs, c’est-à-dire il y a 500 ans, seraient-ils devenus contre-indiqués, dangereux à consommer ? Les grands principes de la Réforme qui vont nous occuper durant trois dimanches, s’agit-il de les jeter aux oubliettes ? de les mettre au goût du jour ? de les revaloriser ?
Devrait-on plutôt alléger la pharmacie ? la compléter ? la remplacer ? Proposer quelques principes génériques, en gardant le contenu et en modifiant l’étiquette pour les rendre plus accessibles au deuxième, voire au troisième cercle de patients, euh de paroissiens ? Ou plutôt passer à une pharmacopée plus ancienne, plus naturelle, d’avant la Réforme ? Ou au contraire se brancher moderne, contemporain, dans la fraîcheur des expressions ?

Durant trois dimanches, nous allons nous pencher sur les grands principes de la Réforme ; vous savez, ces fameux soli, solus dans l’anglais de l’époque. Pour ce matin, deux expressions : soli Deo gloria et solus Christus, à Dieu seul la gloire et Christ seul ; excusez du peu.

Alors, s’agit-il d’inoculer massivement ces deux principes, façon remède de cheval pour éviter que la grippe ne prenne ses quartiers et nous attaque les bronches ? Genre réforme radicale, allez, on va noyer tous ces miasmes !
Ou plutôt à dose homéopathique, les laisser infuser, réparer notre être et nous prémunir des attaques du froid ? Genre renouvellement intérieur, en douceur et en profondeur.

En y réfléchissant, j’en suis simplement arrivé à retenir trois textes bibliques qui auraient pu constituer les trois lectures classiques avant la prédication : Ancien Testament, évangile, épitre. Certains inversent les deux derniers, j’ai opté pour exploiter les deux premiers comme vecteurs de notre adoration et de l’expression de la communauté paroissiale via deux de ses acteurs.

D’ailleurs, on le sent bien, faire davantage place à ces textes est déjà une forme de remède. Lecture, réaction, prière, l’impact devient de plus en plus fort, surtout combiné à cet autre principe cher à la Réforme : le sacerdoce universel des croyants. Autrement dit, la parole et l’expression ouvertes aux membres de la communauté. D’ailleurs, ne trouvez-vous pas que ces textes nous sont déjà devenus plus familiers ? Dans ce dispatching, le passage d’épitre est réservé pour plus tard, comme texte final. Et puis, chacun de ces trois cultes fait et fera la part belle à la communauté chrétienne.

Alors, que devient le principe « à Dieu seul la gloire », si cher à Calvin et ses confrères ? Mais aussi, le siècle suivant, à Jean-Sébastien Bach qui signait ses compositions par SDG. Ou à un certain Ignace de Loyola, fondateur de la compagnie des Jésuites, qui allait encore plus loin dans sa devise : « pour la plus grande gloire de Dieu. » Que devient ce principe, ou plutôt comment est-il articulé dans le Psaume 115 ? Un premier écho nous a été donné par Margreth, on l’a entendu, on l’a reçu. Si cela avait été possible, j’aurais sollicité vos réactions spontanées ; on le fait parfois.

Quant à moi, je retiens trois éléments forts dans ce psaume. Le premier, assez surprenant, c’est la demande faite à Dieu de se glorifier, en ouverture :
Seigneur, non pas à nous mais à ton nom, donne gloire.

Il s’agit non seulement de glorifier Dieu, de ne pas détourner sa gloire vers nos personnes, mais carrément que Dieu se glorifie lui-même. Impression de circuit fermé ? Indication que notre indignité nous disqualifie de le glorifier ? Il s’agit plutôt, dans la vision de l’époque, de rendre pleinement gloire à Dieu en lui demandant, Maître de l’univers, de veiller à ce que tel soit bien le cas. Que dans la façon dont il ordonne les choses, il devienne évident de lui rendre gloire. Au lieu de se battre avec nous-mêmes et contre une partie de l’humanité, pour vraiment le glorifier, lui remettre ce vœu profond du cœur et s’en décharger. Pas s’en débarrasser, au contraire, mais ne pas porter ce fardeau ou imaginer que nous pourrions totalement glorifier Dieu. Wouah ! Quelle vision ! Quel médicament ! Quelle clé !

Le second élément, c’est qu’il y a de très bonnes raisons de rendre gloire à Dieu, au Dieu de la Bible, si j’ose cette expression. Et là, la pensée devient critique, elle met les pieds dans le plat et les remue pour s’attaquer de plein fouet à l’idolâtrie rampante de l’époque. Le contraste est frappant : les animistes, dans le fond, adorent des statues inanimées. Ils estiment que toute la création est animée d’esprits à honorer. Et comment le font-ils ? - Au travers d’un morceau de bois certes sculpté, mais totalement inanimé.

Et puis cette idée abracadabrante que le Dieu d’Israël étant dans le ciel, c’est-à-dire hors de portée de nos manipulations, il est absent et inactif, ce qui a fait écrire à feu Francis Schaeffer cet opuscule au grand retentissement, intitulé « Dieu ni silencieux, ni lointain. » Que Dieu soit au-dessus de la mêlée, qu’il ne soit pas confectionné par nos mains, qu’il ne soit pas élaboré à notre image et mis à notre service, animé par nos sentiments sous-entendrait qu’il ne fait rien, qu’il est inefficace, étrange. Billevesées, se serait exclamé Calvin. Et ma foi, à entendre certaines remarques du genre « et Dieu dans tout ça ? », c’est à se demander si le schmilblick a beaucoup avancé. La réponse à ce non-sens est excellemment traduite dans la bible TOB : « Notre Dieu est dans les cieux ; tout ce qu’il a voulu, il l’a fait. »

Sa hauteur de vue fait qu’il est, à l’inverse de toute idole, agissant ; on va voir comment. Mais je m’arrête un instant sur ce portrait caustique des idoles qui ont des yeux et ne voient pas, une bouche et ne parlent pas, des oreilles et n’entendent pas. On n’en est plus là dans notre Occident technologique et rationnel, pourrait-on penser : vraiment ? L’idole d’aujourd’hui n’est-elle pas ce lourd tribut payé à la modernité ? La Toile n’est-elle pas muette tant que nous n’y glissons pas nos conceptions ? Que de temps passé entre ses fils, à l’alimenter, à la vanter, à l’estimer indispensable. À, en un mot, la glorifier et à renvoyer Dieu dans son ciel. Que fait-il vraiment, alors que d’un click de souris ou d’un glissement de doigt, on accède à un univers de possibilités ? Un exemple parmi d’autres, mais massif. Et là, le moins qu’on puisse dire, c’est que le remède est bien nécessaire : à Dieu seul la gloire, pas de place à ce qui le remplace vainement, quel contrepoids !

Troisième élément, ce Dieu qui se glorifie, comment se glorifie-t-il ? Réponse : en bénissant ses enfants, wouah ! Le psaume ploie comme un pommier sous le poids des bénédictions offertes aux hommes. On est à l’opposé de la Folie des grandeurs quand de Funès demande à son valet : « Flattez-moi ! »
Dieu, splendide paradoxe, doit se glorifier lui-même au-delà de notre louange partielle. Et comment le fait-il ? – En nous bénissant. Et comment nous bénit-il ? – En nous offrant un cadre de vie, un espace de liberté. C’est ainsi que l’homme est placé au cœur de la création dans le récit de la Genèse. Et notre psaume reprend cette fabuleuse clé de répartition : « Les cieux sont les cieux du Seigneur ; mais la terre, il l’a donnée aux hommes. »

Rien de servile dans le principe de glorifier Dieu et Dieu seul, rien d’avilissant. Il se glorifie en nous bénissant, et nous le glorifions en vivant pleinement ici-bas.
Là encore, quel souffle, quelle libération, quel remède, quelle clé de vie !

Et que de richesses dans ce seul psaume 115, que nous n’avons fait qu’effleurer. C’est comme en Italie, nous y étions récemment ma femme et moi. Après les hors-d’œuvre, les antipasti¸ il suffirait de commander un café et l’addition alors que le festin ne fait que commencer. De même, nous n’avons pas abordé l’évangile et nous voilà déjà quasiment rassasiés.

Sous l’angle de la devise de Calvin, « à Dieu seul la gloire », je vous propose une brève synthèse de notre passage d’évangile, à la suite de ce qu’André nous a partagé et que nous avons reçu. La gloire de Dieu, c’est d’être le vigneron, en arrière-plan, à l’origine de tout. La gloire de Dieu, c’est que son Fils soit le cep planté en notre terre, transmetteur de vie. La gloire de Dieu, c’est que nous soyons les sarments greffés au cep et porteurs de fruits. Allez, allons-y pour une seconde salve. La gloire de Dieu, le vigneron, c’est, par le cep, d’être relié à nous. La gloire de Jésus, le cep, c’est de nous relier à lui et, par lui, au Père, nous ses enfants. La gloire des chrétiens, c’est d’être reliés au Père par le Christ, notre frère et de pouvoir ainsi demeurer unis au Seigneur et les uns aux autres. Et, par l’Esprit, jamais nommé mais toujours agissant, de porter du fruit qui demeure. C’est d’ailleurs la conclusion de ce passage d’évangile, tout y amène : « Mon Père est glorifié en ceci, que vous portiez beaucoup de fruit. »

Ça y est, la boucle est bouclée et elle nous amène à glorifier Dieu seul par le Christ seul. On fait un pas de géant : ce Dieu qui se glorifie en bénissant ses enfants dans le psaume. Eh bien, ses enfants le glorifient en portant du fruit dans le monde. Du coup, la gloire de Dieu, c’est le salut et le bien des hommes, sans limite, pour tous. Si nous n’avons qu’effleuré le psaume, eh bien l’évangile, nous l’avons à peine frôlé, d’un froissement d’aile, mais assez pour sentir son parfum, assez pour être enivrés.

Alors, frères et sœurs, chers amis, chers auditeurs, cette boîte à pharmacie, alors, ce trousseau de clés hérité de la Réforme nous paraissent-ils aptes à booster notre vie d’église et de témoins du Christ ?

On raconte l’histoire d’un pape arrivé au paradis et bloqué devant la porte. Un petit curé invité à entrer le voit et lui demande pourquoi il reste là : « Vous avez les clés de Saint-Pierre, Saint-Père ! ». « Oui, mais Luther a changé la serrure ! » Toujours ce recueil d’humour pastoral…

En fait, Luther n’a pas grandement innové sur le motif de la gloire de Dieu, mais davantage, certainement, sur la centralité du Christ, en son temps. Mais surtout pour nous, loin d’une apologie stérile, pour certains et contre d’autres, c’est ce grand mouvement qui part de la glorification de Dieu par lui-même pour se traduire en bénédiction de ses enfants et en fruits pour le monde. C’est ce grand mouvement qui constitue un remède, une clé, un souffle de renouveau.

Alors, pour le prochain camp, pour le prochain culte, pour notre prochain pas.
Pour notre église riche de 500 ans d’existence et de 1500 ans de fondements anciens. Pour nos vies d’individus parfois ballotées, gémissantes, grinçantes.
Pour nos perspectives joyeuses et enthousiasmantes. Remettre au centre le beau motif de la gloire de Dieu qui est de nous faire du bien, c’est, sinon, remettre l’église au milieu du village – est-ce le bon combat ?-, ou du moins remettre de la profondeur, de la perspective, du décentrement à nos existences. Y remettre une bonne mesure de tendresse divine. Cela vaut toutes les pharmacies, tous les succédanés, toutes les technologies. Rien ne vaut d’être reliés au sarment unique qu’est le Christ et de recevoir par lui la vie d’en haut pour porter du fruit ici-bas.

À Dieu seul la gloire par le Christ seul, alléluia !

Les grands principes de la Réforme : des clés pour aujourd’hui? Série 1

A Dieu seul la gloire: insolite? imposant? écrasant? – une invitation à élever nos regards et à nous laisser rejoindre par ce Dieu qui pense à nous et sait se faire proche. Une nouvelle clé qui ouvre une nouvelle question: comment le glorifier dans nos vies ici-bas?

Détails

Avec la participation de
Christine Joss, Margreth Kropf et André Fiaux
Orgue
Musique
Josquin Piguet, cornet à bouquin, Julien Ribouleau et Morgan Jaffré, saqueboute