Sola gratia, sola fide ou le chien crevé, la brebis intrépide et le cheval belliqueux

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Écouter le culte :

« Le chien crevé, la brebis larguée et le cheval belliqueux. »
On dirait un titre des studios Walt Disney, genre aventure animalière, ou un film d’animation des studios Dreamworks, genre Madagascar. Avec, tout de même, des éléments drôlement - j’ai failli dire vachement – rudes, à ne pas faire voir à des yeux trop innocents : un animal sans défense risquant pour sa vie, un estropié exclu et reclus et un combat carrément apocalyptique.
Et puis, je m’adresse aux catéchumènes et aux jeunes qui ont passé une soirée à réfléchir à ces textes, vous demander de faire le lien avec la grâce et la foi, c’était aussi assez rude.

D’ailleurs, entre le thème annoncé des deux splendides principes de la Réforme que sont « La grâce seule » et « La foi seule » et ce bestiaire biblique, il est plus que probable que bien des adultes assis sur un banc d’église, un siège de voiture, un tabouret de cuisine, une chaise roulante ou un lit d’hôpital se soient demandé pourquoi on les promenait dans cet étrange zoo. Pas vrai ?

Et vous n’avez pas tort, c’est bien dans un zoo que nous allons déambuler ce matin.
Un zoo, littéralement, c’est un lieu de vie, un espace d’interaction entre les vivants. Cela vient du mot grec Zoé - comme le prénom - qui signifie « vie ». Nous découvrons, dans ces récits bibliques, la vie sous trois angles.
La vie concrète il y a près de trois millénaires, avec ses exclusions et ses rejets.
La vie qui fait qu’on s’égare et qu’à toute époque, on peut se retrouver largué.
Et la vie qu’agitent dans tous les sens des forces de mal et de mort.
Ou, autre angle, la vie qui peut réserver des retournements de situation inespérés.
La vie qui peut retrouver sens et faire place à de splendides retours.
La vie qui voit triompher la justice et met définitivement fin au mal.
La vie, donc, avec ses épreuves inacceptables et ses exaucements impensables.

Mais… est-ce le propre de la vie, comme la chaleur en été et le froid en hiver ? Comme la santé et la maladie, le fait d’être grand ou petit, pâle ou basané ? Est-ce une composante constitutive de la vie que le négatif et le positif soient entremêlés ?
Nos textes, en tout cas, évoquent des mots – et des maux - très actuels : exclusion, vengeance, extermination, perdition, isolement, guerre, violence. Ils sont très réalistes quant au versant négatif qui saute aux yeux de qui veut bien les ouvrir.
Mais entrent également en résonnance avec, sinon notre actualité du moins nos idéaux, en nous offrant les mots de l’espoir : empathie, réhabilitation, salut, communion, joie, justice, victoire, confiance. Et surtout, ces mots de l’espoir ont le dernier mot sur ceux de la peur !

Alors, on trouve de tout cela dans la vie réelle, mais ce n’est pas biologiquement la vie.
Il y a ce qu’on fait de la vie et, ai-je envie de dire, ce que Dieu permet qu’on puisse en faire.
Dans le zoo de l’existence, il n’y a certes pas de grillages entre les lions et les gazelles. Les petits sont la plupart du temps écrasés et les faibles mis à l’écart ou méprisés. Mais Dieu permet qu’on puisse inverser le cours de ces mauvaises partitions de vie. Il part à la recherche de l’exclu, du perdu, il envoie son mystérieux cavalier au nom caché. Et à sa suite, combien d’individus et de communautés mènent le bon combat. Combien d’exclus ont été restaurés, de perdus retrouvés, de victoires remportées.

Avec les catéchumènes, nous avons essayé de comprendre le sens de la grâce et de la foi, en réfléchissant aussi à leurs contraires.
La grâce, ce pourrait être la bienveillance, l’empathie, le regard positif, encourageant.
Et à l’opposé de la grâce, ne trouverait-on pas la dureté, la vision négative, impitoyable ?
D’ailleurs, ne manquons-nous pas très souvent de grâce envers nous-mêmes ?
Comme si on devait prouver ou se prouver quelque chose. Comme si on devait accomplir ceci ou cela, juste pour être aimables. Pas vrai ?

À l’opposé de la foi, commençons par-là, il y a ce qui est incertain, pas fiable, pas sûr. À l’époque de la Réforme, on utilisait le terme de fiance… si proche de celui de confiance. Pouvoir s’appuyer en toute circonstance sur quelqu’un de solide et digne de confiance. D’ailleurs, dans la pensée hébraïque, la foi ne désigne pas une attitude personnelle. Il n’est pas question d’avoir la foi comme on aurait la santé ou autre chose. La foi, on la place non en soi mais en celui qui est fiable. Nuance.

Après cette première approche, examinons de plus près nos trois textes bibliques.
Tout d’abord, c’est frappant, il s’agit de textes de styles et d’époques très différents. Avec une tranche de vie, puis une image – on parle de parabole, sûrement pour bien capter. Et enfin, un récit tout à fait fantastique qui en a surpris plus d’un ; une allégorie.

Tranche de vie
L’histoire de Mefibochet est véritablement une histoire de grâce.
Déjà sa situation : estropié, et à l’époque, les handicapés n’avaient guère droit à des faveurs. Ensuite son nom qui signifie « bouche de la honte » : vous imaginez ? Lourd à porter. Et enfin Lo-Dabar, son lieu d’habitation, signifiant « pas de parole », le grand silence, quoi.
Une histoire de vie boiteuse dont il n’y a rien à dire, sinon que c’est trop la honte. Alors Mefibochet se tait, se terre, se fait tout petit, il n’existe plus, c’est tout juste s’il survit. Courbé sous le poids de la honte héritée de son grand-père, totalement disgracié. Un ami célibataire à l’humour caustique se dit parfois « oublié du vivant ».
Oui, c’est ça : dans l’impitoyable zoo de l’existence, Mefibochet est oublié du vivant. Pas banal pour un petit-fils de roi.

Cela me rappelle trois sœurs d’une ethnie d’Asie, des princesses de sang et de rang. Suite à un changement de régime, elles se sont retrouvées dans les rizières à exécuter les travaux les plus rudes qui soient ; honte et survie, il ne leur restait que cela. Jusqu’au jour où un homme blanc un peu cavalier, si j’ose dire, a épousé l’une d’entre elles et l’a sauvée de l’enfer.
Son frère en a épousé une autre et la troisième a aussi pu fuir le pire.
Elles sont devenues chrétiennes, elles étaient mes paroissiennes dans le Sud de la France. Après les maux, les mots de l’espérance ; l’accueil de la grâce qui restaure la confiance.

Vous savez, des Mefibochet, il y en a peut-être plus qu’on l’imagine, et pas si loin de nous. Des personnes ayant hérité d’un lourd passé, d’un handicap, pas forcément physique. Il se peut aussi qu’on soit tout simplement mal avec soi-même, avec son image.
Qu’on soit ou qu’on se sente handicapé de la vie, comme dirait ma fille. Et pour les Mefibochet, pour le Mefibochet en nous, un brouillard opaque occultant toute lueur d’espérance peut très vite nous tomber sur le paletot.
L’autre soir, une personne indiquait à la Ligne de cœur qu’elle se cache chez elle depuis près de vingt ans, elle n’a plus d’amis et elle revit chaque nuit le même cauchemar à cause d’un drame dont elle se sent responsable. Comment s’en sortir ?

« Comment peux-tu t’intéresser à un chien crevé comme moi ? »
« Il se sous-estime terriblement, Mefibochet », avez-vous dit.
Seulement voilà, il pose cette question à David, le meilleur ami de feu son père.
Et au nom de cette amitié, David, vous l’avez aussi souligné, lui fait grâce. Le voilà restauré dans tous les sens du terme : des biens de son royal grand-père, avec une cohorte de serviteurs à ne plus savoir qu’en faire. Et il est invité à se restaurer tous les jours à la table du roi, pas banal pour un chien crevé.

David fait le bon choix, un choix courageux et pas naturel du tout dans ce monde.
Le choix naturel aurait été d’éliminer ce rival potentiel comme David avait lui-même failli en être victime de la part de Saül ; et comme cela se pratique couramment. Mais non, David choisit d’honorer son grand ami Jonathan en bénissant sa progéniture. Quel retournement spectaculaire et salutaire : la grâce seule ! Et du coup, Mefibochet peut croire David, mettre sa confiance en lui – la foi seule !

Une parabole pour bien capter
La parabole de la brebis perdue qui est bien connue, Jésus la raconte après avoir pris comme modèles des enfants. Leur ressembler, faire confiance, avoir la foi, permet d’entrer dans le royaume céleste. Parce que son Roi est fiable, et pour cause : c’est un roi-berger. Il sait prendre soin de ses brebis, comme David.

Il y a une belle continuité entre la restauration de Mefibochet et le sauvetage de la brebis.
Tout aussi perdue et exclue – apparemment par choix ou par témérité - que l’estropié.
Peut-on alors identifier David à Dieu et le serviteur qu’il envoie à Jésus, venu à nous ?
Ou dire plutôt que le roi-Jésus va plus loin, il va lui-même récupérer la brebis mal barrée ?
Toujours est-il qu’il est ce berger laissant la majorité des brebis dans leur zone de confort pour aller chercher celle qui s’est égarée et dont le salut lui procure une plus grande joie que la sécurité des nonante-neuf autres.
Il refuse de faire l’impasse sur ce qu’on peut appeler l’amour inconditionnel. Il n’est pas soumis aux calculs de rentabilité et aux tendances du marché. Ce berger veut vraiment nous faire grâce et pleinement restaurer en nous la confiance. Il s’agit de l’accueillir sans douter, comme un enfant, pour entrer dans le royaume.
Par la grâce seule et par la foi seule.


Le cheval belliqueux
Sans transition et sans ménagement, passons à la section « Adultes ».
Fini le conte de fées, on verse dans le fantastique, le guerrier, l’apocalyptique :

Alors je vis un ange debout dans le soleil. Il cria d’une voix forte à tous les oiseaux qui volaient au milieu du ciel : Venez, rassemblez-vous pour le grand festin de Dieu, pour manger la chair des rois, la chair des chefs, la chair des puissants, la chair des chevaux et de ceux qui les montent, la chair de tous les hommes, libres et esclaves, petits et grands.
Et je vis la bête, les rois de la terre et leurs armées, rassemblés pour combattre le cavalier et son armée. La bête fut capturée, et avec elle le faux prophète.

Jeunes et catéchumènes, vous avez été surpris de trouver cela dans la Bible, pas vrai ?
Bizarre, glauque avez-vous dit, certains auraient ajouté gore, hardcore.
Le côté Peace and Love de la foi chrétienne prend un sacré coup dans l’aile. Et il ne s’agit pas du commentaire d’un illuminé ; ou plutôt si, l’auteur de l’Apocalypse.
Il ne s’agit pas non plus d’un petit à-côté, non, c’est la bataille finale au terme de l’Histoire.

Mais de quoi parle-t-on ? Et comment parle-t-on ?
Quand vous regardez une saga comme le Seigneur des Anneaux, c’est quoi l’idée ?
N’est-ce pas une mise en scène des forces du mal à combattre, et de leur défaite ?

Alors de grâce, ne mélangeons pas les niveaux, ce n’est rien d’autre que la fin du mal. La victoire du cavalier fidèle et véritable, de la parole de Dieu, du Seigneur des seigneurs.
Et c’est en effet de grâce qu’il s’agit, de la grâce triomphant de tout mal. Une grâce qui nous promet que le mal sera totalement anéanti, mis à mort, éliminé.
Au terme de cet ultime combat, la scène a totalement changé ; je lis un peu plus loin :

Voici la demeure de Dieu avec les hommes, il demeurera avec eux.
Ils seront ses peuples et lui sera le Dieu qui est avec eux.
Il essuiera toute larme de leurs yeux, la mort ne sera plus.
Il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu.

N’est-ce pas ce que nous espérons tous, ce que nous voulons croire, par la foi seule ?
Et n’est-ce pas par la grâce seule, celle du Christ, le cavalier, que cela sera possible ?
Vraiment énorme : la fin du mal se double de la fin des larmes et de toute souffrance.
Comment cela se passera-t-il ? – Je l’ignore et ne m’en préoccupe guère. Cela se passera-t-il ? – Je le crois simplement, pour avoir goûté à cette grâce.

« Le chien crevé, la brebis larguée et le cheval belliqueux. »
Si on se retourne sur notre saga du matin, quel périple jalonné de belles surprises !
Bonne nouvelle : le chien crevé est réhabilité et la brebis larguée retrouvée.
Bonne nouvelle : le cavalier sur le cheval belliqueux triomphe du mal et de la mort.
Bonne nouvelle, comme l’ont dit les catéchumènes, la grâce est plus forte, la grâce seule.
Bonne nouvelle, il suffit d’y croire sans autre obligation que la foi seule, la simple confiance.

Pas si mal, ces deux grands principes de la Réforme : la grâce seule et la foi seule.

Les grands principes de la Réforme : des clés pour aujourd’hui? Série 2

Sola gratia, sola fide, sola scriptura ou le chien crevé, la brebis intrépide et l’agneau immolé: un bestiaire biblique pour traduire des concepts théologiques.

Le pasteur Antoine Schluchter propose de partir à la découverte d’un mystérieux bestiaire via un récit peu connu de l’Ancien Testament, une parabole-phare de l’évangile et une scène de combat apocalyptique. Une façon atypique d’aborder ces grands thèmes de la Réforme que sont la grâce et de la foi selon les Écritures, parfois très surprenantes.

Détails

Avec la participation de
Jean-Louis Bornand et les Jack’s avec Fanny, Marc, Pisga Sabrina et Tim, ainsi que les catéchumènes Elodie, Jérémy et Paul
Orgue
Myriam Clerc
Musique