Ce n’est pas si simple d’aimer, mais c’est la seule chose qui a un avenir devant elle

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Il y a une chanson de notre patrimoine qui raconte à quel point c’est si simple d’aimer. C’est si simple d’aimer... On aimerait que ce soit vrai, mais ce n’est pas la réalité. Aimer, c’est une des choses les plus exigeantes et les plus difficiles d'une vie. Les exemples ne manquent pas, que ce soit en famille, au travail ou encore dans nos lieux d’églises. C’est pourquoi j’ai horreur des discours tout faits sur l’amour, ceux qui sont un peu donneurs de leçons, que l’on nous vend dans un bel emballage avec un joli ruban mais qui sonnent souvent creux.

L’amour c’est comme la confiture... moins il y en a, plus on l’étale. Vous en reprendrez bien encore un peu ?

Vous voulez entendre quelque chose de nouveau ? Quelque chose de percutant, qui sorte de l’ordinaire ? Mais que dire sur un sujet vieux comme le monde ? S’il y avait du nouveau sous le soleil, ça se saurait.
Et voilà, il suffit de quelques mots et on retombe de nouveau dans le discours, le dire : des beaux mots, un joli ruban, ce que je crains le plus. Est-il possible de faire mieux ?

Si je crains tellement de tomber dans cette dérive à mon tour, c’est que je sais que je ne peux vous donner une quelconque leçon sur l’amour, l'amour de l’autre, l’amour du prochain. Je ne peux pas, car moi-même, sur ce chemin, j’avance encore souvent de nuit. J’apprends toujours, je tâtonne, je me trompe, je cherche. Je ne peux pas, parce que c’est un autre qui est mon guide. C’est un autre qui nous ouvre le chemin pour sortir des impasses de la nuit.

Aujourd’hui, ce n’est pas moi qui vais vous parler d’amour, de l’amour du prochain, mais c’est cet autre. C’est Jésus. Parce que lui vit ce qu’il dit, parce que ses paroles à lui ne sont pas vides. Il n’essaie même pas de nous les vendre dans un bel emballage avec son ruban. Ses paroles sont incarnées. C’est la vie, sa Vie.

Nous sommes avant la fête de la Pâque. Les disciples sont réunis autour de Jésus. Ils sont devenus proches, à force de marcher ensemble sur les chemins de terre. Ils sont là, ceux qui l’ont suivi, qui ont tout abandonné, qui ont tout laissé derrière eux pour se mettre à sa suite. Ils sont tous là. Parmi les douze, il y a Simon-Pierre, il y a Judas.

Le soleil se couche. Jésus est troublé intérieurement. «En vérité, en vérité, je vous le dis : l’un d’entre vous va me livrer.» Qui ? Qui va le trahir ? Pas n’importe qui, pas un ennemi, mais un ami. Un proche, l’un de ceux en qui l’on avait confiance va le trahir.
Satan entre en Judas. «Ce que tu as à faire, fais-le vite». Judas sort immédiatement. Il fait nuit.

La nuit...
Lieu de la non maîtrise, de l’insécurité, du désordre, de l’absence de Dieu...
Il fait nuit.

C’est au milieu des ténèbres que cette parole du Christ retentit : «Aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.»

C’est une parole de poids, lourde de sens, loin des discours vides sur l’amour. C’est à ce texte de l’évangile de Jean que je retourne, lorsque je me lasse, que je m’agace des diatribes que l’on me sert sur l’amour du prochain. Je relis ce passage où je retrouve une parole incarnée qui me bouleverse.

Judas va trahir Jésus. Il fait nuit.
Pierre va le renier. Il fait nuit.
2 amis, 2 proches.

La trahison, le reniement, la nuit. Au milieu, une parole qui ouvre un chemin.
«Aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.»

Ici, chez Jean, la nuit marque la fin de l’activité de Jésus. Il faudra attendre la comparution devant Pilate, au point du jour, et Pâques pour que la lumière jaillisse de nouveau.

Rien de nouveau sous le soleil, pensions-nous plus tôt. Peut-être pas... Ou pas comme nous l’imaginions. Au sortant de la nuit, je crois au contraire que le matin de Pâques nous montre que tout peut être nouveau à la lumière du Christ.

La nouveauté ne se trouve pas dans le contenu. Nous l’avons entendu dans le livre du Lévitique, l’exhortation à l’amour mutuel se trouve déjà dans l’Ancien Testament, et si l’on regarde ailleurs, également dans d’autres religions et courants spirituels.
Ce qui est nouveau, c’est la situation et la personne qui prononce les paroles. C’est le «comme», «comme je vous ai aimés», qui introduit la nouveauté. Ces paroles sont nouvelles, parce qu’elles sont fondées en Christ et qu’elles s'inscrivent dans la réalité nouvelle qu’il instaure.

La mort de Jésus, la croix, n’est pas l’absence de Dieu, mais au contraire le signe de sa présence. Ce n’est pas le lieu du silence, mais celui de la révélation, pas un échec, mais un accomplissement.

Dans la perspective de l'évangile de Jean, ce qui se vit à la croix est interprété comme un don et un acte d’amour créateur et riche d’avenir. C’est par cet amour vécu, incarné, que les disciples sont mis à leur tour en condition d’aimer.

Tout se concentre sur le Christ, sur notre lien avec lui. Et loin des discours sur l’amour, la nouveauté naît d’une rencontre avec Jésus-Christ. Accepter de faire un bout de chemin avec lui, faire fructifier ses dons, se laisser entraîner dans une attitude nouvelle face à la vie et face aux autres.

«Aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.» C’est loin d’être simple. L’amour que Jésus recommande a un prix : aimer comme Jésus, c’est être dévoué, se sacrifier, abandonner ses propres intérêts pour que l'autre ait la vie. Je ne sais pas vous, mais moi ça me donne le vertige. Cela me semble tellement exigeant, hors de ma portée, que cela me fait peur. Mission impossible.

Si la peur de ne pas y arriver me gagne, je repense aux disciples de Jésus, à ces hommes simples qui ont laissé derrière eux leur vie pour suivre le Christ, et je suis profondément touchée par leur humanité. On a parfois envie de les imaginer plus parfaits qu’ils ne le sont, mais il n’en est rien.

Judas trahit Jésus. Pierre le renie.
Judas choisira la mort. Pierre la vie.

Nous non plus, nous n’échappons pas à nos fragilités, à notre humanité. Comme la communauté des disciples, figure de l'Eglise, nous restons exposés au mal. La nuit n’est pas loin, comme le montre l’évangile de Jean, ni les ténèbres, comme le souligne l’Epître aux Romains. Mais nous pouvons faire le choix de la lumière et de la vie.

La foi en Jésus-Christ a déjà éclairé celui qui y adhère, même s’il continue à vivre au milieu des ténèbres. Il y a ici un lien fort entre le fait de marcher de jour et d’aimer. L’ouverture aux autres, le service du prochain, sont autant de rayons d’une lumière qui entourera toute la création. Le croyant marche de jour parce qu’il vit en Christ.

S’il y a affrontement entre la lumière et les ténèbres, je n’oublie pas non plus que même la trahison de l’ami n’a pas compromis la mission du Christ, que si la nuit est avancée, le jour est proche. Il se fait attendre, et en même temps il est déjà là et nous offre un regard nouveau pour notre présent.

Si l’amour ne se limite pas à un sentiment, la foi, notre foi, doit également nous mobiliser entièrement et en toutes circonstances. Elle est un mouvement. Ma foi, notre foi, se vit dans le présent, à travers les événements que nous offre ou nous impose la vie. Elle se vit dans le présent, mais se nourrit du passé pour regarder vers l’avenir. Comme les disciples, nous vivons en tension. Il y a notre expérience de la nuit, celle que l’on fait chaque fois que le désordre et le chaos menacent la vie, et la lumière que l’on peut percevoir dans la promesse reçue.

La nouveauté naît d’une rencontre. Une rencontre qui a changé la vie des disciples, de nombreux hommes et de femmes de par le passé. Une rencontre avec le Christ qui change ma vie, qui peut changer la vôtre. Vivre pleinement ce qui nous arrive en l’assumant autrement, parce que notre regard s’accroche à celui qui nous précède et nous entraîne.

«Aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.» Au moment de quitter les siens, le Christ engage ses disciples à se tourner vers l'avenir et vers le prochain. De cette façon, l’amour qui a été vécu de par le passé, et en particulier à la croix, devient la force qui habite le futur et qui lie les disciples entre eux.

C’est dans l’amour les uns des autres que les disciples de Jésus pourront se souder, résister à la fragilité humaine et se maintiendront debout malgré tout.

Judas est sorti. Pierre ne suivra pas Jésus. Il faisait nuit.
«Aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.»

Pour terminer, je souhaite vous partager cette petite anecdote. Lorsque je me suis présentée aux examens de consécration de notre Eglise, on m’a demandé la chose suivante : décrivez-nous un paroissien que vous aimez bien et un autre qui vous énerve. Je me souviens avoir été assez gênée par la question, ayant fait un raccourci qui n’y était pas - un paroissien que j'aime bien, un paroissien que je n’aime pas. Mais la question n’était pas là et l’expérience me l’a apprise. Cet entretien a eu lieu il y a maintenant 6 ans et je ne me souviens plus de ce que j’ai dit concernant le paroissien que j’aimais bien. Par contre, je me souviens très bien de ce que j’ai évoqué au sujet d’une personne qui pouvait m’énerver. Si je m’en souviens si bien, c’est parce qu’il y a un lien d’amour fraternel qui s’est construit au fil des années, malgré ou avec ce qui pouvait m’agacer.

C’est si simple d’aimer... bien sûr que non. Mais comme l’a écrit mon ancien professeur de théologie Klauspeter Blaser : « Ce n’est pas si simple d’aimer, mais c’est la seule chose qui a un avenir devant elle ».

Amen.

« Aimez-vous les uns les autres », une rengaine connue. C’est aussi vieux que Jésus, voire même plus. Un refrain usé ? Lassant ? Et si, loin d’avoir pris une ride, il nous redisait l’urgence d’une vie nouvelle pour notre avenir ?Judas l’a trahi. Pierre va le renier. Il fait nuit. Paradoxalement, c’est ici, au moment où l’amour semble le plus compromis, que Jésus donne ce commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres ». Loin de belles paroles pleines de bons sentiments, en quoi l’amour vécu de Jésus-Christ change-t-il la donne ? Quelle nouveauté ? Une mise à jour pour notre foi ?

Détails

Avec la participation de
Jean-Marc Knobel et Antoine Schlüchter
Orgue
Pierre Pilloud
Musique
Suzanne Perrin, hautbois et cor anglais