La plage, lieu de communion

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Écouter le culte :

Lors de notre arrivée en région parisienne à l’été 2006 pour un ministère auprès des églises de migrants, nous cherchions une communauté locale. En pensant à notre fille de 12 ans, je m’étais dit que l’église du Réveil, ce serait pas mal. Nous sommes donc allés une ou deux fois chez eux au culte, c’était à Montreuil. Deux services par dimanche, beaucoup de jeunes, un groupe musical, des choristes. Ça chauffait, un peu trop même à mon goût, n’étant plus habitué à une telle effervescence. Et, petit hic avec un enfant de cet âge, pas de programme de catéchèse.

Nous nous sommes donc rendus à la paroisse réformée voisine de Vincennes. Elle a son ancienneté, ses grandes orgues et ses titres de noblesse : saisissant contraste. En ce matin de vacances parisiennes, il devait y avoir 7-8 personnes à tout casser, dont une Africaine tout à l’arrière qui semblait broyer du noir… Le doctorant éternel chargé de la prédication n’avait visiblement pas émergé de la contestation soixante-huitarde, la plage évangélique est restée bien cachée sous les pavés. J’avais envie de faire une scène et de claquer la porte avant la trop sainte cène, tant je me sentais en panne de communion. À côté de l’église du Réveil, je cède à la facilité, c’était franchement l’église du sommeil, pour ne pas dire du cauchemar éveillé. À vous faire regretter la douceur de la couette, les odeurs du marché, le petit noir au PMU ou le jogging au Bois d’à côté. Je l’aurais classée sans hésiter dans le groupe des églises déformées…

Le dimanche suivant, en voyageurs impertinents, nous avons visité une autre paroisse. Un petit temple aussi étroit qu’une pensée du Front National, situé le long d’une voie ferrée à côté du cimetière : un décor de rêve. On se dit qu’à nous trois, on va vraisemblablement constituer le gros des troupes. Eh bien non : une bonne cinquantaine de personnes est assise sur les bancs. Cette paroisse est implantée là depuis quelques décennies, fruit d’un travail pionnier. Un tiers de Français, un autre d’Africains et un dernier de Malgaches. On se sent tout de suite bien, le culte est conduit par une pasteure très dynamique. Au moment de la prédication, elle sort un tableau et annonce une étude biblique. Misère, à quoi va-t-on encore avoir droit ? – Je m’attends au pire. Mais je suis déçu en bien : c’est simple, profond et chacun est pris en compte. Il est ensuite demandé aux nouveaux de se présenter, belle marque d’accueil. À l’issue du culte, verrée sous les arbres fruitiers, nous repartons avec un panier bien garni et la conviction de l’avoir trouvée, notre communauté, notre espace de communion.

Notre fille y a fait du catéchisme, elle y a trouvé des amis. Nous nous sommes liés avec le couple pastoral et plusieurs paroissiens. J’en ai fait mon laboratoire de cultes Mosaïc et d’accueil de migrants. À l’arrivée de cette collègue, la communauté crevotait, là, elle prospérait. Elle a du reste plus que survécu à son départ et a engagé un pasteur africain. Peut-être son successeur sera-t-il malgache… Nous y avons vécu deux ans de bonheur.

Voici donc trois communautés, trois profils, trois publics.
Certainement très choisi à Vincennes, tout le monde était en vacances sur une plage.
Franchement populaire à Montreuil, personne n’avait les moyens de partir.
Et divers, arc-en-ciel, là où nous étions à Champigny: un régal.
Je sais, je parle beaucoup des Français, mais ils ont une bonne longueur d’avance sur nous, à cause de la sécularisation qui se revêt chez eux des oripeaux de la laïcité. Comparativement, nous amorçons à peine - et avec peine - la mue chez nous.

Nous commençons tout juste à réaliser que nous ne pouvons plus vivre sur nos acquis et que l’expression comme le concept « d’église de multitude » ne font plus guère sens. Du coup - chapeau ! - l’église vaudoise a décidé de mettre la priorité sur l’évangélisation. Mais alors, comment s’y prendre ?
Les formes et les façons de faire sont secondes et légitimement multiples. Tant qu’il reste du fond et qu’elles ne font pas diversion. Le défi n’est pas facile à relever, d’autant que nous sommes des néophytes en la matière.
Faut-il s’inspirer des églises évangéliques mettant l’accent sur la conversion individuelle ?
- C’est sociologiquement très en phase avec la mentalité actuelle.
Ou des charismatiques mettant souvent en avant le ministère de guérison ?
- Il y a tant d’écorchés de la vie.
Ou des catholiques qui proposent des rites communs à tous leurs fidèles ?
- L’effet est rassembleur.
Ou encore de la théologie priante et fusionnelle des orthodoxes ?
- Ils savent si bien faire descendre la pensée à l’étage du cœur.
Ou s’agit-il de puiser dans notre héritage en l’adaptant à la pensée contemporaine ?
- La culture du débat, l’incarnation du message, sa dimension sociale.
Je suis volontairement rapide et surtout pas exhaustif.

Avec ce même souci d’adaptation, je vous propose de remonter davantage en arrière et de nous laisser inspirer par le récit du livre des Actes dont il vient d’être fait lecture. Un récit qui rend compte d’une multiplicité de dimensions avec des formes et du fond. J’en retire tout d’abord très librement une série de questions :

- Et si notre avenir était de devenir « des églises de communion » ?
- Et si c’était principalement de communion que nos contemporains ont besoin, envie ?
- Et si le « voyez combien ils s’aiment ! » qu’on disait des premiers chrétiens était LA clé ?
Des églises de communion verticale, mais aussi horizontale.
- Et s’il fallait retrouver cet esprit pionnier, comme à Éphèse ou à Champigny ?
- Mais sur quelles bases, pour ne pas céder à une illusoire nostalgie ? comme d’autres vouent un culte aveugle à l’innovation.

Les anciens d’Éphèse ont fait un bout de chemin pour retrouver Paul sur le bord de mer. À Milet, assez près de la Grèce, en face de la province d’Achaïe. En fait, les textes retenus pour cette série nous emmènent toujours plus à l’ouest. Du Moyen-Orient à l’Asie, de l’Asie à la Grèce, de la Grèce à l’Italie, puis à l’Espagne. Le mouvement se poursuit et semble désormais inexorable.
J’ai parlé toute à l’heure de fruits et de panier. Il est temps d’aller le remplir des bons produits du marché de la plage de Milet.

1° Il est tout d’abord largement fait place aux émotions, aux larmes et à la tristesse.
On peine à imaginer que l’apôtre Paul ait été très « bisous-bisous ». Là, on lui saute au cou et on l’embrasse sans qu’il oppose la moindre résistance. Des liens d’affection profonde ont été tissés pendant ses trois ans de ministère. Ce n’est pas un apôtre distant et froid que nous découvrons là. Tisser des liens forts de fraternité : un premier fruit à mettre dans notre panier.

2° Peut-être l’apôtre, qui avait attaqué de front le commerce lié à la Diane des Éphésiens, a-t-il gagné l’estime des nouveaux croyants en travaillant de ses propres mains et en ne tirant aucun profit matériel de sa mission apostolique. Dans tous les cas, il est d’une probité sans faille. Voilà qui contraste avec certaines théologies et d’encore plus incertaines pratiques. Vivre un vrai service, le cœur du bénévolat, comme un cadeau.
Un deuxième article au rayon Fruits et légumes pour notre panier.

3° Plus généralement, il n’y a pas de faille béante entre ce que l’apôtre dit et ce qu’il vit. Il proclame, il prêche, il enseigne, il exhorte, il ne se dérobe pas sur les sujets délicats. Il s’est fixé un but dont il ne dévie pas et qui polarise toute son énergie. Larmes, travail, épreuves, complots sont son lot quasi quotidien. Il enseigne la communauté, il visite ceux qui en ont besoin, il les avertit. Un terme grec qui a donné l’expression « cure d’âme. »
Le troisième fruit est bien synthétisé par Saint-Exupéry : « Prêche ta vie, car si tu ne prêches pas ta vie, ta prédication n’apportera pas la vie. »

4° Ensuite, l’apôtre a de solides convictions théologiques.
Je me souviens d’avoir jadis rencontré un conseil de paroisse qui cherchait un pasteur. Une dame plus toute jeune s’est tout à coup écriée : « Nous, on veut un pasteur qui croit en Dieu et qui croit en Jésus. » J’ai trouvé très inquiétant qu’il soit nécessaire de le préciser. Les formes peuvent varier, disais-je… tant qu’il y a du fond.
Pas de renouveau possible sans le remettre à sa juste place, pas de compromis possible. Paul en fait du reste le cœur de sa mission : témoigner de l’évangile de la grâce de Dieu. La grâce de Dieu offerte aux hommes : elle est là la Bonne Nouvelle, il est là l’Évangile. Et c’est bien plus que d’un discours qu’il s’agit.
Du coup, au moment du départ, l’apôtre confie ses frères à Dieu et à sa parole de grâce.
Là, on se retrouve au rayon nourriture solide plutôt qu’à celui des crèmes aromatisées. La bonne nouvelle de la grâce est au cœur de la proclamation du Règne de Dieu. L’Église y a trouvé la source de son renouvellement il y a cinq siècles. Osons examiner nos formes de culte, nos activités et nos vies à ce critère-clé : témoignent-elles de ce Dieu qui fait grâce et relève quiconque s’approche de Lui ?
En bonne place dans notre panier, un appel à être témoins de la Grâce, qui amène, je cite un des versets, à se convertir à Dieu et à croire au Seigneur Jésus.

5° Le fruit suivant n’est pas forcément le plus cultivé, mais il est fondamental : la diaconie.
Une église-servante qui, comme l’apôtre, met au cœur de sa vision la parole de Jésus : il y a plus de joie à donner qu’à recevoir.

Il ne s’agit pas seulement de bénévolat, mais d’aide concrète aux personnes éprouvées. C’est tout un état d’esprit et un mode de vie que cela induit. La joie d’offrir est un don qui se cultive, il faut se secouer et se mettre en second, plutôt que de se lamenter sur ce qui ne va pas, sur ce que les gens ne font pas. Retrouver la joie du service non comme un devoir, mais comme un privilège.
C’est déjà notre cinquième fruit.

6° Il s’agit maintenant de faire intervenir un autre groupe d’acteurs, la présence potentielle de loups qui n’épargneront pas le troupeau. Les épreuves ne viendront pas seulement de l’extérieur, du monde, mais également de l’intérieur, les divisions étant un des pires maux qui soit. L’Histoire de l’Église en est truffées et celle du protestantisme ne fait pas exception.
Il s’agit donc que nos responsables soient gardiens et bergers du troupeau à tous les échelons : paroissial, régional, cantonal et au-delà.
C’est le fruit de la vigilance active : non à un évangile transgénique !

7° Le panier commence à déborder, mais il reste un dernier stand à visiter.
Je suis frappé par le contraste entre l’intensité avec laquelle Paul a exercé son ministère et la conviction qu’il a de ne pas être indispensable. Autant il a œuvré à fond en annonçant le plan de Dieu tout entier, autant, avec larmes, il est prêt à partir plus loin tout en sachant que son ciel va s’obscurcir. L’apôtre ne se sent pas indispensable, parce qu’il ne se prend pas pour le patron de l’Église. Il n’est qu’un envoyé, un ministre, un serviteur de Dieu. L’Église, c’est Dieu qui se l’est acquise par son propre sang ; le Père à l’origine de ce plan de salut, le Fils à la réalisation et l’Esprit aux manettes.

Voici donc sept produits du marché de la plage de Milet, indissociables les uns des autres. Ils constituent ensemble une carte qui donne envie de passer à table. On pourrait, à partir d’eux, préparer valablement des candidats au ministère, mais aussi et surtout devenir ce que j’ai appelé « des églises de communion » qui ne bradent ou ne diluent pas le fond, la foi au Christ, qui ne s’estiment pas au-dessus du lot, prêtresses et maîtresses de je-ne-sais-quoi, mais qui trouvent leur joie à donner plutôt qu’à désespérer et qui se font un point d’honneur de vivre dans une communion profonde du coeur.

J’ai visité il y a quelques années trois communautés à Rotterdam.
1° Dans la réformée, soporifique, on ne cessait de se lamenter… mais le café était bon.
2° Dans l’orthodoxe russe, on sentait ces exilés superbement entourés, c’était prenant.
3° Et dans l’africaine, archi pleine, la sono était saturée et l’enthousiasme palpable.
Une église de communion ne pourrrait-elle pas tirer le meilleur de chacune d’entre elles ?
Une dimension de convivialité, un accompagnement personnalisé et une foi pleine de joie ?

Voilà, frères et sœurs, elle est belle cette plage de la communion.
Paul a pris place dans le bateau pour une nouvelle forme de service.
Il n’est plus qu’un point à l’horizon.
Les anciens retournent à Éphèse avec de nouvelles responsabilités.
Ils sont en marche.
Et nous allons retrouver les contraintes et les rigueurs du quotidien.
Offrons-nous et offrons à nos frères en humanité des espaces de communion.
Sortons les bons produits du panier de cette troisième et dernière plage.
À chacun, à chaque communauté de concocter sa propre recette pour épicer la vie.
Quant au reste, faisons joyeusement confiance au Chef de l’église.

Amen.

Dernier culte d’une série de trois intitulée « Tous à la plage ! » D’abord lieu d’épreuve puis de délivrance, la série se conclut sur la dimension de communion.

Détails

Avec la participation de
Solange Pellet
Orgue
Myriam Clerc
Musique