Comment devenir des nomades de la foi?

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Écouter le culte :

Des résistances d’être envoyés…

Je suis le plus petit de la famille… Je suis la plus petite ! C’est vrai que je ne suis pas très grande : moins d’un mètre soixante et j’ai besoin d’une petite banchette pour être confortable dans la chaire de Villars depuis laquelle je vous parle. Je suis non seulement petite, mais il semblerait que j’aie l’air jeune. « Ça fait combien de temps que vous êtes dans le ministère ? » « Quoi ? vous avez déjà deux enfants ? » « C’est votre première paroisse ? » Parfois, je m’amuse de la situation et parfois, mais ne le prenez pas mal, c’est un tout petit peu agaçant… Comme s’il restait une image type du pasteur. Au tout début de mon ministère, un jeune catéchumène est venu sonner à la porte de la cure à la recherche du pasteur. Quelle ne fut pas sa surprise de me découvrir et de me dire plein de spontanéité : « quoi ? un pasteur, ça doit pas avoir les cheveux blancs ? »

Si l’on projette encore plus souvent qu’on ne le pense des « clichés » sur le l’image du pasteur, Gédéon fait de même en imaginant une figure type du héros de Dieu. Tout le contraire de lui : un homme fort et grand qui viendrait d’une famille puissante et qui aurait a priori vraiment les moyens de combattre les Madianites. Tout ce qu’il n’est pas.

Mais si nous réfléchissons un peu plus loin à cette question du héros, nous nous rendons compte que les héros que nous nous fabriquons sont par définition hors de notre portée, car ils sont destinés à satisfaire nos rêves de grandeur. Mais Gédéon, lui, il est modeste. Rien de remarquable, pas de force surhumaine, pas de courage exceptionnel, pas de miracle à son compteur. Rien de tout ça, mais c’est lui que Dieu appelle pour une mission de la plus haute importance.

Alors Gédéon doute, et on le comprend. Suis-je vraiment la bonne personne ? Ai-je les qualités requises ? Peut-être a-t-il aussi peur. Il était tranquille vers le chêne dans le pressoir, en train de se cacher des Madianites, et voilà que tout d’un coup on lui demande de devenir un valeureux combattant, capable de sauver tout un peuple. Difficile d’accepter ce nouveau destin, difficile de faire sienne cette nouvelle image de soi.

Je le comprends, Gédéon. On est là avec sa vie tracée, des projets qui semblent tenir la route, et Dieu avec ses grands pieds vient tout bouleverser. Il appelle Gédéon. Il nous appelle. Vous est-il déjà arrivé de vous sentir indignes, chancelants, hésitants face à ce que Dieu attend de vous ?

Ça m’arrive souvent. Et lorsque je réfléchis au chemin parcouru, je me rends compte que Dieu a dû construire avec mes nombreuses hésitations, mes pas chancelants, mes réticences. Si je regarde encore en arrière, je constate que Dieu a su faire avec ou malgré mes nombreuses incompétences… ça dépend si l’on voit le verre à moitié vide ou à moitié plein…

Ma vocation se dessine donc en creux, dans mes errances et mes incompétences.
Je me suis lancée dans des études de théologie un peu par hasard. Après avoir écouté un cours de droit international qui m’avait profondément ennuyé, études dans lesquelles j’étais sûre de me lancer - un projet solide et une voie toute tracée -, j’ai assisté à un cours de théologie sur la question de la Pâque lors de la sortie d’Egypte. Si je m’en souviens encore, c’est parce que j’avais, à ma grande surprise, trouvé ça passionnant. Imaginez donc, lors de la rentrée universitaire, lorsqu’un de mes éminents professeurs demandant à chacun pourquoi il était là (parce qu’a priori on ne fait pas de la théologie pour rien) et que j’entendis certains dire que c’était avec le projet d’une vocation pastorale ou encore pour creuser des questionnements qu’ils avaient depuis toujours, pour un intérêt spirituel et biblique… que je n’ai pas osé dire que j’étais là par hasard. Ce jour-là, je me suis sentie la plus petite, pensant que mes motivations n’étaient pas aussi dignes que celles des autres.

Quelques années plus tard, c’est du fond de mes incompétences que s’est enracinée ma vocation pastorale. J’avais beau faire des études de théologie, mais je ne souhaitais pas être pasteur. Je ne voulais pas faire des cultes de remplacement, comme mes collègues étudiants, et je n’avais pas l’envie de m’investir dans un quelconque projet d’église et surtout pas du catéchisme.
« Allez tu pourrais le faire ! Pour une fois que l’on te demande quelque chose, tu pourrais rendre service... » Me voilà, malgré mes réticences, embarquée dans une année de catéchisme auprès de jeunes qui avaient plaisir à me rappeler que le pasteur précédent était parti en dépression à cause d’eux… Aïe ! qu’est-ce que je faisais là… Tant bien que mal, j’ai testé différentes choses et le lien s’est créé. A la fin du parcours, lors d’un entretien, un jeune m’a confié avoir beaucoup prier pour que ses parents ne divorcent pas. Ses parents ont divorcé et il m’a demandé pourquoi… Balbutiements, hésitations… que lui dire? Ce fut là le déclencheur de ma vocation pastorale.

C’est vrai : il m’arrive de douter de moi-même. Gédéon a douté de lui également, mais aussi de Dieu. Cependant, Dieu lui ne doute pas de Gédéon. Il ne doute pas de moi. Il ne doute pas de vous.

L’ange du Seigneur vient s’asseoir sous le chêne. Pas d’arrivée tonitruante, mais une approche tout en douceur pour venir au plus près de Gédéon, comme de chacun de nous. Il l’appelle, lui révélant une partie de lui-même qu'il ne connaît pas encore. Il écoute Gédéon, se tourne vers lui et l’envoie : « Va avec la force que tu as, c’est moi qui t’envoie » Puis encore : « Je serai avec toi ». Double assurance, il lui faut bien ça…

Pourtant, Dieu ne nous demande pas de décrocher la lune, mais d’aller avec la force que nous avons. Sur ce chemin, il nous promet qu’il sera présent.
En dépit de nos fragilités, de nos hésitations, de notre petitesse ou de nos incompétences, Dieu choisit de faire de grandes choses avec nous, avec les hommes et les femmes que nous sommes, tels que nous sommes, là où nous sommes.
Il nous appelle et nous envoie. Il appelle Gédéon et l’envoie. Il vous appelle et vous met en route, avec comme seul bagage la confiance. Peut-être pas la vôtre, peut-être pas la mienne, celle que je m’accorde, mais la confiance de Dieu, qui lui croit en moi, qui lui croit en vous… La confiance qui me lie à celui qui m’emmène toujours plus loin sur le chemin de la vie et de la foi.

Envoyé où, comment et pourquoi ?

Bonjour, votre mission, si toutefois vous l’acceptez, consiste à aller de village en village pour proclamer la Bonne Nouvelle, chasser les esprits mauvais et prier pour les malades. Vous devez choisir une autre personne pour vous accompagner, car il est indispensable que vous soyez deux. Ne prenez avec vous qu’un bâton et des sandales. Comme toujours, si vous et votre équipier n’étiez pas bien accueillis, vous partirez et secouerez la poussière de vos pieds. Nous nous retrouverons d’ici quelque temps. Votre envoi est immédiat.

Qu’ont-ils répondu, les disciples, à cet envoi ? Ont-ils, comme Gédéon, émis des réticences ? Je ne peux pas, je suis le plus petit… Je ne suis pas assez formé… J’ai besoin de rester encore quelque temps avec toi Jésus pour mieux apprendre. Chasser les esprits mauvais ? cela me fait trop peur… Je ne sais pas parler : comment pourrais-je proclamer la Bonne Nouvelle ? Prier pour les malades : toi, Jésus, tu sais les guérir, mais moi je me trouve bien trop incompétent. Je ne suis pas prêt.

Ce que les disciples ont dit ou pensé au moment de l’envoi en mission, nous ne le savons pas. Le texte ne dit rien. Peut-être ont-ils eu des réticences, des craintes, ou peut-être étaient-ils très motivés et enthousiastes à l’idée de prendre la route, portés par la confiance qui leur était accordée… peut-être. Ce que l’on sait, c’est qu’ils ont mis leurs sandales et ont pris leur bâton pour marcher sur les chemins. On sait qu’ils sont partis. Et plus loin, dans la suite du texte, on apprend que les apôtres, c’est-à-dire les envoyés, sont revenus près de Jésus et lui ont raconté tout ce qu’ils avaient fait et enseigné.

Bonjour, votre mission, si toutefois vous l’acceptez, consiste à aller de village en village pour proclamer la Bonne Nouvelle, chasser les esprits mauvais et prier pour les malades…

Contrairement à la célèbre série américaine de « Mission Impossible », le message ne s’autodétruit pas au bout de 5 secondes. Il faut croire qu’il est encore d’actualité aujourd’hui, que l’envoi en mission nous concerne nous aussi encore ce matin, et cela quand bien même les termes de « mission » et d’ « évangélisation » peuvent nous faire peur, comme le mentionne Jérôme Cottin, professeur de théologie pratique à Strasbourg : « L’évangélisation n’a pas bonne presse. Le mot est lié à un témoignage missionnaire volontiers agressif de l’Eglise, au détriment des cultures, des savoirs et de l’Histoire… Pourtant, ce mot est fondamentalement biblique, constitutif de la vocation même de l’Eglise. »

Alors, comment faire ? Je vous propose qu’ensemble, en mettant nos réticences de côté, nous essayions d’y voir plus clair. Concrètement, qu’est-ce que cela implique ? Quels sont ces chemins sur lesquels Dieu nous envoie ? Comment vivre cette aventure de la foi avec la confiance comme seul bagage ?

Tout d’abord, il nous faut noter que la mission des disciples n’a rien d’agressif. Ils proposent, mais ne s’imposent pas. Si les habitants d'une localité refusent de vous accueillir ou de vous écouter, partez de là et secouez la poussière de vos pieds.

Secouer la poussière des pieds, cela signifie que personne n’a accompli l’acte d’hospitalité, c’est-à-dire que l’eau n’a pas été proposée pour être versée sur les pieds fatigués de la personne accueillie. S’il y a un geste symbolique qui prend acte de la rupture et du non-accueil, il n’y a aucun jugement. Cela laisse la liberté, aux uns et aux autres, de recevoir la Parole ou pas. On est donc bien loin d’un « témoignage missionnaire agressif ».

Ainsi, s’il est demandé aux disciples de voyager les mains nues, c’est pour être plus libres de donner, mais aussi de recevoir. Car la mission, c’est aussi savoir accueillir : accueillir l’hospitalité, être ouvert à la rencontre et au dialogue pour pouvoir transmettre cette parole qui met en route. C’est une longue marche dans la foi à laquelle nous sommes appelés, avec une triple mission selon notre texte : proclamer la Bonne Nouvelle, chasser les esprits mauvais, prier pour les malades.

Proclamer la Bonne Nouvelle, c’est peut-être ce qui nous semble le plus simple. C’est affirmer encore et toujours que la Bible n’est pas un simple recueil de textes vieillissants du passé, mais un livre qui a sa pertinence pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui. Dans son ministère, à travers ses enseignements, Jésus n’a eu de cesse de rencontrer les hommes et les femmes de son temps, de les rejoindre par sa parole dans leur réalité, dans le concret de leur existence. C’est une parole qui touche à l’intime et qui met en mouvement. Pourtant, et aussi paradoxal que cela puisse apparaître, cette parole touche tellement à l’intime qu’il est parfois difficile de mettre des mots dessus, d’expliquer concrètement ce qu’elle change ou ce quelle a changé. Cela m’est arrivé une fois. Surprise par une demande, je n’ai pas su trouver les bons mots. « Vous avez l’air tellement convaincue, j’aimerais pouvoir l’être moi aussi. Comment faire ? » Ce jour-là, j’aurais aimé trouver la réponse qui fasse mouche, mais ça n’a pas été le cas. D’autres parmi vous l’ont peut-être aussi expérimenté. Ce n’est pas toujours simple de parler de Dieu, du Christ, de notre foi, de cette Parole qui nous fait vivre auprès de nos amis, de notre famille, parfois même de notre conjoint.

Avec les esprits mauvais, ça se complique. Qu’est ce que c’est aujourd’hui ? De vieilles superstitions du passé destinées à faire peur aux plus crédules d’entre nous ? Pour bien comprendre ce que ces esprits mauvais représentent et sous quelles formes nous les retrouvons aujourd’hui, il nous faut jeter un coup d’œil au chapitre précédent de l’évangile de Marc. Souvenez-vous : il y a cette histoire bizarre de fou qui vit caché dans les tombeaux et de cochons se jetant de la falaise dans la mer. Jésus vient à sa rencontre. Il prend le temps de lui parler, de nommer le mal, l’esprit mauvais qui le tourmente. Il libérera l’homme et enverra l’esprit mauvais dans la mer, symbole du chaos, des forces de mort et de divisions. Et celui que l’on prenait pour un fou terré parmi les tombeaux redeviendra humain, vivant. Debout, il voudra suivre Jésus, mais Jésus l’enverra chez lui retrouver sa place d’homme dans sa maison et ainsi témoigner de ce qui est arrivé.
Les esprits mauvais, ce sont donc les forces de mort, de division, de malédiction. C’est ce qui nous empêche d’être un homme, une femme debout, vivant. Aujourd’hui, les esprits mauvais sont légion, ils ont simplement des noms plus modernes : mobbing, violences physiques, violences psychologiques, dépression… Je m’arrête là, mais la liste est longue de ces maux de notre temps qui nous pourrissent la vie.

Prier pour les malades semble plus évident, mais parfois la maladie fait peur, surtout celles qui sont incurables, dégénératives. Difficile de voir celui, si proche de nous, perdre petit à petit son énergie. Difficile d’accompagner l’ami, le conjoint, le parent dans son combat contre la maladie dont on ne connaît pas à l’avance l’issue. Ce sont des temps de crises, des temps de croisements où la vie se fait plus intense, où les choix sont plus pressants, où le gouffre du désespoir comme les montagnes de joie se côtoient et s’enchaînent rapidement. Ce n’est facile pour personne, ni pour celui qui est malade et qui souffre dans con corps et son être, ni pour celles et ceux qui l’accompagnent comme ils le peuvent, avec leur amour, leur bienveillance, leur compassion, leur peur, leur fatigue et leurs questions. Mais là est l’essentiel : être à côté du mieux que l’on peut. Et la prière aide, je crois, à porter et à être porté, à trouver les forces pour soi-même et pour les autres sur ce chemin. J’ai vécu un de ces moments au bord d’un lit d’hôpital. Simplement en silence pendant plusieurs minutes, priant, puis la personne se tournant vers moi, disant : « Je vais bien. » J’en garde un souvenir apaisant et lumineux.

Bonjour, votre mission, si toutefois vous l’acceptez, consiste à allez de village en village pour proclamer la Bonne Nouvelle, chasser les esprits mauvais et prier pour les malades…

Alors, on y va ?

Si l’on a besoin d’être rassurés, il est encore mentionné que nous ne sommes pas seuls à nous lancer sur ce chemin. Les disciples sont envoyés par deux. Il s’agit ne pas se laisser décourager, mais de faire équipe et d’accepter d’être porté par l’autre lorsque qu’on ne voit plus le chemin et que la fatigue nous gagne. C’est la naissance d’un peuple qui se veut en marche, la naissance de l’Eglise… la nécessité du dialogue, de la négociation et de la confrontation permanente. Il n’y a pas de meilleure façon de grandir dans sa foi que de la partager.

Pour annoncer la Bonne Nouvelle, il ne suffit pas d’inviter, mais il faut aller sur le terrain, c’est-à-dire laisser s’incarner l’Evangile dans notre société. Ne pas avoir peur de confronter le message du Christ avec ce qui habite notre monde, ne pas avoir peur de laisser vivre notre foi, avec ses certitudes, ses questions et ses doutes au contact de la réalité, comme des interpellations de nos contemporains.

Si l’Evangile est un message libérateur et que notre rencontre avec le Dieu de Jésus-Christ a un impact existentiel, pourquoi ne pas le partager ? Car, comme le précise Jérôme Cottin : « L’évangélisation ne relève pas d’abord de stratégie - de conquête de parts de marché perdues - ni d’une nécessité d’être visible, elle relève d’une nécessité spirituelle, d’une conviction qui touche le chrétien dans son intimité. Le croyant, touché par la grâce, a reçu un surplus de vie qu’il ne peut garder pour lui. Ce mouvement de foi, qui part de notre intimité pour aller vers le monde, dessine la trajectoire de l’évangélisation. »

Lorsque vous êtes touché par quelque chose, vous en parlez à vos amis, à votre conjoint, à vos proches. « J’ai vu ce film l’autre jour, c’était génial. Va le voir ! » « Et ce livre, il m’a ému, il m’a questionné, je te conseille de l’acheter. » « Je suis partie en balade et j’ai découvert un endroit sublime. Viens je t’emmène. On va pique-niquer. » Pourquoi ne le ferions-nous pas à propos de notre foi ? Pourquoi ne partagerions-nous pas plus ce qui nous habite et nous faite vivre ?

Devenons ensemble des nomades de la foi, en nous mettant en route et en quittant ce qui nous fige. Il en va de notre vie et de notre avenir. Parce que nous croyons qu’une simple parole, quand c’est une parole de vie et de vérité, peut tout changer, parce que cette parole a déjà changé notre vie, mettons-nous en route avec notre foi comme seul bagage, la confiance de Dieu pour nous et celle qu’il fait naître en nous et qui nous emmène toujours plus loin.

Amen.

Quels sont ces chemins sur lesquels Dieu m’envoie ? Sédentaires dans notre quotidien, comment pouvons-nous devenir des nomades de la foi ? En route avec quels bagages ?
Difficile, décourageant parfois… Comment partager la Parole de Celui qui emmène toujours plus loin ?
Alors, mission impossible ?

Détails

Avec la participation de
Noémie Heiniger
Orgue
Myriam Clerc
Musique