Jésus : un enfant qui survit, signe de la présence de Dieu et promesse pour l’avenir de l’humanité…

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Écouter le culte :

Voilà Noël derrière nous, déjà !
Agréés ou non sur la place publique, les santons des crèches ont regagné leurs greniers ou leurs placards et, comme les mages d’autrefois, les Pères Noël sont repartis vers leurs lointaines patries…
Mais comme les garçonnets d’il y a deux mille ans à Bethléhem et dans les environs, nombre d’enfants d’Orient et d’ailleurs meurent encore aujourd’hui, victimes de la folie destructrice des uns, de l’incurie ou de l’indifférence des autres… Et d’autres encore, plus près de nous, ne survivent pas au désarroi de leurs parents dans la dureté du monde.

L’épisode que je vais vous raconter n’est pas un conte d’hiver d’Andersen, mais une histoire bien vraie, survenue il y a une trentaine d’années en Suisse romande du côté d’Attalens, à la frontière cantonale entre Fribourg et Vaud.
Sur un chemin de campagne, un promeneur découvrait, quelques jours avant Noël, le cadavre gelé d’un nouveau-né de sexe féminin ; encore relié au placenta de sa mère, il avait été jeté là, abandonné dans un buisson où on le retrouva couvert de givre. Les médecins estimèrent son âge à sept ou huit mois, sans relever aucun signe de maladie ni de violence qui auraient pu provoquer le décès : l’enfant était ‘simplement’ morte de froid dans la solitude glacée d’une nuit de décembre…
Les gens d’Attalens décidèrent de l’ensevelir quelques jours plus tard au cimetière du village, et pour que la petite tombe ne soit pas anonyme, ils lui donnèrent le nom d’Emmanuelle - celui-là même qu’au masculin l’Evangile attribue à Jésus -, et les journaux de l’époque citèrent largement le commentaire d’un habitant du lieu : ‘On n’a jamais vu des choses comme ça par ici !...’

Mais l’Evangile de Noël enseigne justement que la détresse humaine est de toujours et de partout, et que l’Emmanuel de Bethléhem a quelque chose à faire avec l’histoire de la petite Emmanuelle d’Attalens, avec cette part secrète de désespoir qui avait amené une jeune femme à se débarrasser ainsi de son enfant à peine né. Quelle solitude, quel gel des relations humaines aura pu provoquer ce geste sans avenir d’une mère, une avant-veille de Noël ?

Je ne sais pas si l’Eglise a raison ou tort de célébrer Noël - avec ou sans la crèche ! Au temps des premiers chrétiens, puis encore durant une longue période après la Réformation, on ne l’a pas fêté. D’ailleurs, trois grands témoins du Nouveau Testament (l’apôtre Paul et les évangélistes Marc et Jean) ne font quasiment aucune allusion à la Nativité !
Mais je crois que l’Eglise, lorsqu’elle a établi le calendrier des fêtes liturgiques, a eu mille fois raison de consacrer deux des jours qui suivent immédiatement Noël à faire mémoire de ceux qui payèrent de leur vie l’Evangile du Fils de Dieu venu parmi les hommes.
Le 26 décembre, elle célèbre Etienne, premier martyr de la foi nouvelle pour avoir osé affirmer que Jésus de Nazareth, fils de Joseph le charpentier et de Marie, était vraiment le Christ, le Messie tant espéré par les prophètes d’Israël.
Quant au 28 décembre, c’est le jour des ‘saints innocents’, rappelant les quelques dizaines d’enfants massacrés par la fureur d’Hérode après que les mages lui eurent annoncé la naissance d’un autre roi. ‘Saints innocents’ : ainsi les nomme la tradition - sans doute vaudrait-il mieux parler de leur faiblesse, victime d’une violence aveugle, plutôt que de leur ‘innocence’ ou de leur ‘sainteté’…
Quoi qu’il en soit, je trouve judicieux ce choix de l’Eglise : il nous préserve de nous laisser bercer par les guirlandes et les douces musiques de saison et nous ramène d’emblée à notre quotidien terrestre, tressé d’autant de violences, de détresses et de douleurs que de raisons de fêter et de nous réjouir.
Le calendrier liturgique des lendemains de Noël est une douche froide salutaire qui nous réveille de ce que les festivités autour de l’enfant de la crèche peuvent avoir d’infantilisant, au risque d’éblouir nos yeux et d’assoupir notre esprit critique ! Car contrairement aux calendriers de l’Avent, l’horloge du monde ne s’est pas arrêtée la nuit de Noël. L’histoire a continué et elle ne fut ni rose ni angélique : pour un enfant naissant, combien d’autres massacrés du côté de Bethléhem et combien d’autres encore aujourd’hui, victimes de la misère, de la malnutrition ou de la malveillance humaine ?
Voilà une première raison de fêter Noël : ce n’est pas dans nos festins, nos fastes ou nos rêves de grandeur, mais dans la faiblesse d’un enfant que Dieu nous a rejoints. Emmanuel, ‘Dieu avec nous, Dieu parmi nous’, Dieu qui partage notre histoire et nos histoires d’humains, sans cesse confrontés à la violence et au malheur.

‘Me voici !’ (Hinneni en hébreu) est un des noms de Dieu dans l’Ancien Testament. (Esaïe 52, 6)
C’est lui qui vient à nous dans la figure d’un enfant sans défense face aux fureurs d’Hérode.
Le ‘Me voici !’ de Bethléhem appelle à chercher Dieu, non du côté des cieux et des anges de gloire, des attributs de puissance ni des parures dorées dont les hommes adorent l’affubler, mais du côté de l’humanité la plus humble et précaire, du côté d’Attalens, de Rama ou de Kos et de Lampedusa, où affluent les naufragés actuels de l’oppression et de la barbarie.

L’Evangile de Noël pourrait s’arrêter là.
Mais la Bonne Nouvelle, ce n’est pas seulement que Dieu soit venu à nous sous les traits d’un enfant : c’est aussi que cet enfant aura survécu à la folie meurtrière d’un tyran et aux épées de ses soldats. Exilé, mais vivant ; fugitif, mais en route vers son avenir… qui est aussi le nôtre.
Voilà une deuxième raison de célébrer Noël : dans Noël, avec ou sans la crèche, il y a déjà la Croix, mais il y a également le tombeau déserté, la mort vaincue de Pâques.
La naissance de Dieu au milieu des humains va au-delà de la souffrance partagée et de la compassion : elle préfigure déjà la victoire de la vie sur la mort et de la solidarité humaine sur l’exil et sur les exclusions.
La force brute d’un empire n’a pu empêcher cet enfant de grandir et d’annoncer les bontés de Dieu sur la terre des hommes. Pas plus que Caïphe ou Ponce Pilate, plus tard, Hérode n’aura eu le dernier mot ! Aux deux bouts du parcours de Jésus, sa route demeure ouverte, dégagée, orientée à la vie…
Et cela nous ouvre une troisième raison encore de célébrer Noël. Si la venue au monde de Jésus inclut la croix du Vendredi saint et le sépulcre vide de l’aube de Pâques, elle porte aussi en germe les promesses d’une humanité nouvelle, l’espérance d’une Pentecôte.
Que Dieu se soit fait homme - et qu’il se soit fait enfant - nous invite à porter un regard de confiance sur l’être humain, malgré les tyrannies d’hier, les barbaries d’aujourd’hui et les détresses de toujours. Avec l’enfant Jésus, et en dépit de tant d’enfances massacrées, c’est l’humanité elle-même qui est destinée à grandir, à croître - croître, non pas en nombre, comme nous en avertissent à juste titre les savants d’aujourd’hui, mais en compassion du cœur et en intelligence de l’esprit.

‘D’Egypte j’ai appelé mon fils…’ : la citation par l’Evangile du livre du prophète Osée (Osée 11, 1) prend ici sa pleine portée d’espérance.
Par son passage en Egypte, d’où Moïse et son peuple avaient émigré au travers des flots et du désert vers une terre de prospérité promise, Jésus révèle le passage de Dieu en tous lieux de ce monde : il n’est nulle part où il soit étranger, aucun désert ni aucune mer, de même qu’il n’est nul lieu, nul temple, nul peuple qui puissent le retenir et se l’approprier ! Et son passage aimante notre humanité à la justice et à la paix, avec le prix de larmes et de lamentations que cela coûta à Bethléhem comme au Golgotha et que cela coûtera sans doute encore, au loin ou près de nous.

Dieu est présent au quotidien de notre histoire, avec ses ombres et ses lumières, ses espoirs et ses désillusions, et il nous ouvre un horizon d’avenir sans qu’il nous faille, pour combler notre besoin vital d’amour et de reconnaissance, nous tourner vers les alibis d’un ‘ailleurs’ idéal, des ‘il était une fois…’ des contes de fée ou du ‘grand soir’ des utopies.

Une remarque encore à propos du calendrier : il est heureux que l’année nouvelle ne commence pas le jour même de la Nativité, mais le huitième jour, celui où l’enfant salué par les mages reçut son nom : Jésus, Jehoshoua, ce qui veut dire ‘Dieu sauve’. (Luc 2, 21) Un nom porté non seulement par lui, mais par bon nombre de ses contemporains en Israël. A en croire Matthieu l’évangéliste, même Barabbas, le brigand arrêté en même temps que Jésus et dont la foule réclamait la libération, s’appelait en vérité Jésus Barabbas ! (Matthieu 27, 16) L’enfant de Noël n’avait pas un nom qui le distinguait du reste des humains : prêtres ou malfaiteurs, sages respectés ou inconnus sans grade, beaucoup d’autres aussi se prénommaient Jésus.

Tous ces Jésus nous appellent à laisser derrière nous sapins ornés et crèches illuminées pour entrer dans l’année nouvelle au rythme du commun des mortels, parce que c’est là, aux carrefours de notre quotidien en clair-obscur, que nous attend le Dieu de Jésus, l’Emmanuel.
‘La Parole divine a été faite chair ; elle a séjourné parmi nous, et nous avons vu sa gloire, pleine de grâce et de vérité…’ (Jean 1, 14)

La Bonne Nouvelle de Noël, c’est que Dieu s’est pris à notre humanité comme le vent aux voiles d’un navire - et le navire avance ! Du passage de Dieu, il reste une trace indélébile que pressent la foi : l’humanité est comme un gant de cuir durci qu’aurait tenu, tendu, tiédi la main même de Dieu. Quoi que fassent désormais les hommes pour s’en défaire et s’en défigurer, l’empreinte restera - et le gant assoupli…

Noël, c’est la naissance de Dieu au cœur de notre histoire, Emmanuel au creux de nos espérances et de nos exils, mais Noël, c’est aussi une naissance, une renaissance de l’humain, l’aube d’un jour nouveau d’humanité dans la grâce de Dieu, depuis que sa main a revêtu le gant de notre condition.
Laissons donc Dieu naître, non seulement à Bethléhem, mais en chacun de nous, comme nous y invitait Delphine Collaud avant-hier, citant un mystique de l’Allemagne baroque (Angelus Silesius), et laissons-nous renaître en Dieu : qu’il nous façonne et fasse de nous ses ‘petites mains’ à l’œuvre dans ce monde, afin que 2016 soit pour nous et pour tout enfant d’homme, d’Attalens à Lampedusa, un temps de paix, de bienveillance et de bénédiction !

Dans la figure d’un enfant sans défense, contraint aux chemins de l’exil, Dieu manifeste sa présence: celle-ci est à la fois un appel à la compassion et une promesse pour l’humanité, l’emportant sur la violence et sur la mort…

Détails

Avec la participation de
Virginie Ruegger
Orgue
Simon Péguiron
Musique
Aurélie Matthey, violoniste, et Yoël Cantori, violoncelliste