Comment se positionner face au Mal radical

image

Écouter le culte :

Je ne sais pas comment vous les avez ressenties, mais ces paroles de Jésus… ouf !
C’est vraiment le choc frontal : elles nous heurtent de plein fouet. Difficile de continuer à beurrer sa tartine ou à faire un sudoku sur le coin de la table. C’est d’ailleurs une expérience qui se répète pour moi depuis un autre choc, celui du départ de notre fille Marie.

Que de textes bibliques ont pris une dimension vraiment phénoménale. C’est comme si on les voyait soudain en 3D. Dont ces appels au bonheur paradoxal des Béatitudes ; c’est tout sauf banal. Et ces audacieux “il vous a été dit… mais moi je vous dis” de Jésus.

En fait, j’aurais choisi les mêmes passages sans ce drame, mais ils n’auraient pas trouvé, c’est évident, le même écho. C’est comme une nouvelle sensibilité, voire une nouvelle fragilité. Une forme de nudité et d’exposition à l’incandescence de ces paroles de feu. Et si ces textes parlent dans des situations aussi extrêmes, ça veut dire qu’ils tiennent la route pour nous aider au quotidien. « Qui peut le plus peut le moins », dit le proverbe. Alors je vous propose qu'on se laisse irradier par leur lumière.

« Tu crois vraiment que ça ira ? », m'a-t-on d'ailleurs demandé il y a plusieurs semaines déjà. Impossible de répondre alors, il fallait juste oser quitter le port. Impossible de garantir une traversée sans tempêtes, mais si on a confiance au navire... Et puis, face au Mal radical, ne faut-il pas des paroles elles aussi radicales ? Un traitement à la racine pour éradiquer ce qui agresse et pouvoir se reconstruire. Mais évidemment, il faut se savoir entre de bonnes mains, surtout pour une traversée délicate.

À l’époque, Jésus bénéficiait déjà d'un bon capital-confiance. Pour preuve sa popularité, mais il y va très progressivement; il prend la mesure de cette foule de petits, d’assoiffés, de méprisés avec des attentes énormes. Jésus les regarde et s'en va dans la montagne. Une ascension qui a duré bien davantage que les quelques mots qui l'évoquent.
Un temps de marche, de silence, de mise en condition.
Un espace donné pour cheminer.
Puis, il s’adresse aux disciples et, au-delà, à cette foule anonyme, en voyant pourtant les manques des uns et les richesses d’autres. En y voyant des attristés, des affamés, des pauvres, des persécutés, mais aussi des artisans de paix, des miséricordieux, des doux, des purs de cœur. Et il s’adresse à eux tous pour qu’ils deviennent ensemble des heureux, et par-delà à nous toutes et tous pour que nous devenions des heureux !
Ensuite, il les missionne : la lumière du monde, le sel de la terre : c’est vous ! Il les ouvre à leurs potentialités : c’est leur vocation qui fera leur bonheur. Pourrait-il en aller autrement pour les chrétiens d'aujourd'hui ?

Jésus en arrive à la référence absolue de tout ce peuple : la Loi, la Torah. Non pas abolir mais accomplir ; non pas en surface mais en profondeur, quitte à déplacer les lignes, à déstabiliser, à faire éclater les vieilles outres. Et il ose l’impensable : “il vous a été dit… mais moi je vous dis”. Ce n’est pas un lapsus ; il récidive à cinq reprises en abordant des questions clés, jusqu’à la plus sensible en deux phases : la loi du talion et l’amour de l’ennemi. Ou, plus prosaïquement, la vengeance et les limites de l’amour du prochain.

Qu’en faire dans ma vie, dans notre situation ?
Moi, ma femme, notre fille, les parents de Lucie, et tant d’autres confrontés dans leur chair et leur coeur au Mal radical. Et qu'en faire quand on se sent à des lieues de toute catastrophe et que nos existences se déroulent au fil d'une eau parfois agitée mais pas déchaînée? Ou que faire quand l'ennemi semble tapi dans l'ombre ? En clair, comment se positionner face au Mal radical ?
Et là, c’est le choc : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent. Ah ! Cet impensable, cet incommensurable, cet inépuisable amour ! Face au Mal radical, Jésus proclame bel et bien un évangile radical: la Bonne Nouvelle très remuante d'un amour illimité, sans condition préalable. Non pas un amour des uns, les proches, ceux qui nous aiment et la haine des autres, les ennemis, ceux qui nous menacent - plus souvent du reste parce qu'ils sont des inconnus qu'autre chose - mais un amour du prochain sans le moindre filtre préalable. Bloquer tout accès à la haine par l'amour de l'ennemi et la prière. La prière pour ne pas crouler sous un fardeau porté seul. Confier à Dieu l'ennemi, lui qui ne veut pas la mort du pécheur mais qu'il se repente et qu'il vive, affirmait déjà le prophète Ezéchiel, et se sentir ainsi libre de l'aimer, de souhaiter son salut.

C'est un évangile radical, qui a eu un retentissement énorme quand les premiers chrétiens subissaient le martyre, et toujours depuis là.
C'est l'amour qui désarme, et il est plus fort que la haine. Et si quelqu'un l'a appliqué jusqu'au bout, c'est bien Jésus. Muet comme la brebis devant ceux qui la tondent lors de son procès. Implorant le pardon sur ceux qui ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Le pardon sur les meurtriers du Dieu fait home, l’échelle d'une nation et d'un Empire ligués contre le Messie ! Le Christ nous invite à entrer dans une dynamique de plénitude, la plénitude d'un amour profondément désintéressé quant à soi et intéressé au plus haut point par son prochain, quel qu'il soit. C'est pour cela que nous avons toujours affirmé que quiconque se tourne sincèrement vers Dieu peut recevoir son pardon.

Il y a plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui se repent que pour 99 justes, parole de Jésus. Pas de demi-mesure, pas de demi-amour possible pour ses disciples ! C'est la règle de Saint-Augustin : « aime et fais ce que tu veux. »
Et ces mots lumineux du Patriarche Athënagoras :
« Il faut mener la guerre la plus dure qui est la guerre contre soi-même. Il faut arriver à se désarmer. J'ai mené cette guerre pendant des années, elle a été terrible. Mais je suis désarmé.
Je n'ai plus peur de rien, car l'Amour chasse la peur. »

Alors je sais, ce genre de propos est exploité par les tyrans de tout acabit. Mais vivre désarmé de cet amour qui chasse la peur…
Voilà, dans ce premier approfondissement de la Torah, Jésus pose le principe d'un amour inconditionnel pour tuer la haine. Je l'ai dit, le choc est frontal et il est massif.
Avant cela, il commente ce qu'on appelle la loi du talion, qui était un réel progrès visant à canaliser la répression sauvage. Une punition à la mesure de la faute pour ne pas faire changer le mal de camp et transformer les victimes en bourreaux. Il pose là le principe d'une certaine forme de non-violence, ou plutôt, il propose un choix des armes inédit pour les victimes. Pour leur bien, pour notre bien, mais c'est toujours le choc : ne résistez pas au méchant, ou alors avec les armes du dépassement:
- En faisant plus que ce qu'il exige, en donnant plus que ce qu'il veut prendre.
- En désamorçant la violence : tendre l'autre joue, ce qui ne signifie pas se laisser taper dessus avec le sourire... Désamorcer la violence plutôt que dégoupiller la grenade.
- Et à celui qui veut emprunter de toi, ne tourne pas le dos. Je crois que ce n'est pas que matériel, et je trouve cela très beau : ne pas tourner le dos à qui que ce soit.

En allant au-delà de la loi du talion, Jésus nous fait complètement sortir du système de la rétribution qui est terriblement présent dans nos modes de pensée et d'action. Ni prime au mérite ni peur de la punition. L'évangile radical est celui du Juste subissant nos injustices.

J'ai beaucoup entendu : « que vous ayez vécu ce drame, vous un pasteur qui consacre sa vie à Dieu et aux autres ! Vous un couple qui a tant donné à sa fille ! »
Je comprends l'intention, mais pourquoi ? Cela aurait-il été plus ''normal'' pour d'autres ? Aurions-nous dû être épargnés de ce Mal radical qui frappe tant d'autres hommes, femmes et enfants de par le monde ? À moins qu'il ne faille se demander si on n'y est pas pour quelque chose, finalement ! Vous voyez l'impasse ?
Que ce soit le karma, le talion, ou quoi que ce soit d'autre, c'est toujours la rétribution en toile de fond. Eh bien non : personne ne peut être la victime malheureuse ou le bénéficiaire privilégié d'un mécanisme préréglé ! Mais tout le monde peut être aimé de Dieu, même l'ennemi. C'est ça, l'évangile radical et, en effet, il coupe le Mal à la racine.

Enfin, par rapport à tu ne commettras pas de meurtre. Soit un des dix commandements qui semble aller de soi. On a pour la plupart l'impression de ne pas être concernés.
Le "mais moi" je vous dis de Jésus évoque la colère. Je peux vous dire que ça nous parle face au Mal radical. « Ah, je le tuerais ! », qui ne l'a jamais dit ou au moins pensé ?

De façon particulière depuis le départ de Marie nous essayons de ne pas céder à la colère. Face au très grave comme pour le plus banal. C'est tellement mieux de renouer les fils du dialogue. Et c'est tellement fort, et inattendu, que le lésé prenne l'initiative. Si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi... Rejoindre l'autre dans son enfermement pour le désincarcérer. Prendre l'initiative non de se justifier ou de régler ses comptes. Mais de la réconciliation. C'est tout bonnement extraordinaire, et ça change la vie! On se sent mieux, moins lourd, plus libre d'avancer.

Voilà les réflexions que m'a inspiré cet évangile radical. Qui nous donne un élan de vie, d'ouverture et d'espérance. Je suis tenté de paraphraser Jésus pour conclure : Il vous a été dit : défends-toi, protège-toi, méfie-toi, ne t'expose pas ! Mais moi je vous dis : largue les amarres, quitte le port et deviens heureux ! Du bonheur contagieux des Béatitudes. Qui rend le sourire aux affligés et bénit les artisans de paix.

Comment vivre quand on est confronté au pire? Et comment s’en inspirer dans la banalité du quotidien? Pour le pasteur Antoine Schluchter, la Bonne Nouvelle de Jésus ne connaît pas de limites ! À la lumière de son expérience, il envisage un Évangile radical face au Mal radical.Le 13 mai dernier, la mort de Marie, fille du pasteur Antoine Schluchter, a révolté et bouleversé tout le pays. Les mémoires sont profondément marquées par l'enlèvement et l'assassinat de la jeune fille par un déséquilibré récidiviste. Comment le pasteur peut-il, dès lors, encore évoquer avec crédibilité un message de réconciliation et d'amour des ennemis ?

Trois mois après le drame, Antoine Schluchter et sa famille, cherchent à trouver dans l'espérance d'un Évangile radical un antidote au Mal radical. Témoignant de sa spiritualité et de l'extraordinaire vague de solidarité qui n'a pas tari, le pasteur Antoine Schluchter nous propose sa prédication en forme de manifeste intitulé : se réconcilier et aimer ses ennemis.

Détails

Avec la participation de
Marc Halbritter et Bernard Martin
Orgue
Myriam Clerc
Musique
Nikita Pfister au tympanon