« Tu seras un Homme, mon fils ! »

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Écouter le culte :

En guise d’apéritif, trois scènes glanées dans le vaste champ du monde.
1° La première remonte à quelques années : le dessinateur Burki avait produit une série de cartes de Noël, dont l’humour cinglant avait su cerner l’essentiel. Sur l’une d’elles, figurait un homme debout sur le rebord du monde. Et pointant un doigt rageur vers le ciel étoilé en criant : « Descends, si tu es un homme ! »
Prodigieux, le cœur du message chrétien en une phrase et quelques coups de crayon. Car il est descendu, il a relevé ce défi incroyable et pour cela, il s’est fait homme. Mais pas en bandant ses muscles ou en bombant le torse. Ni par une quelconque démonstration de force, comme le sous-entend l’expression.
2° Seconde scène entendue l’autre matin sur cette antenne, le couronnement du Tsar Nicola II, entré triomphalement dans Moscou sur un cheval blanc. Avec un faste et un prestige inimaginables, sur une musique de Jean Sibelius. Certes, il y a aussi eu l’entrée triomphale de Jésus dans Jérusalem, mais sur un ânon ! Ainsi que son sacre, quelques jours plus tard. Une couronne d’épines pour diadème et une croix pour trône.
La comparaison s’arrête là : Mon royaume n’est pas de ce monde. Mais au départ de tout : « Descends, si tu es un homme ! »
3° Bien moins sérieuse, la scène inaugurant chaque épisode de la série Benny Hill. Une ruelle sombre, une grande tache de lumière venant d’en haut. Puis soudain, Benny Hill tombant au beau milieu. Et se relevant tant bien que mal, avec sa démarche dégingandée si typique. Parodie à peine voilée de l’envoi d’un messager céleste. Le ressort comique tenant dans le contraste entre l‘attente de la vedette et la maladresse caractéristique du personnage.

En fait, chacune de ces trois scènes dit quelque chose de l’Epiphanie. Le couronnement du Tsar sa dimension royale, soulignée par la présence des Mages. L’apparition de Benny Hill sa dimension céleste, soulignée par la présence de l’étoile. Et l’interpellation de Burki la dimension de l’incarnation du Fils de Dieu : « Descends, si tu es un homme ! »
Je reste scotché à cette phrase et cette illustration géniales. Parce que dans le fond, être un homme, c’est quoi :
- Être un mâle dominant, aller se battre dehors pour je ne sais quel honneur ? C’est l’idée derrière l’expression.
- Naître avec une cuillère en or dans la bouche et avoir tout ce qu’on veut ? C’est ce que croient encore certains.
Et au fait, Hérode était-il un homme ? Lui qui a régné en despote absolu en ne tolérant aucune opposition et traité de façon totalement inhumaine ses adversaires potentiels. Est-il jamais descendu de son piédestal pour rejoindre ses semblables ? Lui qui, au lieu d’adorer l’enfant, a commandité le massacre des saints innocents.
Evidemment, on sent que c’est autre chose être un homme, faire preuve d’humanité. Rudyard Kipling s’y est essayé avec brio dans un poème mémorable ainsi conclu :
Si tu sais rester noble en parlant à la foule,
Si tu sais rester simple en côtoyant les rois,
Si pas plus que l'ami l'ennemi ne te foule,
Si tout homme t'est cher mais nul n'a trop de poids ;
Et si tu peux remplir la minute exigeante
De secondes valant la course que tu fis,
La Terre t'appartient et - leçon plus grisante :
« Tu seras un Homme, mon fils ! »
C’est beau et riche en enseignement, comme tout le poème du reste. On pourrait trouver bien d’autres textes, actuels ou anciens, sur le sujet. D’inspiration variable : être un homme, c’est quoi ? Vaste question ! Dans une interview récente, le chanteur Julien Doré, s’est montré lapidaire : « Être un homme, c’est essayer d’être un peu moins con. »
Traduit autrement, plus sage, davantage capable d’aller à l’essentiel. D’avoir, pour nous chrétiens, vous savez l‘intelligence des Ecritures. De nous laisser saisir par elles pour mieux saisir le sens des événements. Alors, ce récit de l’épiphanie peut-il nous aider à être moins c…, plus humains ? Nous faire aller au cœur des choses en tant qu’hommes croyants ?

Ce récit unique contient-il des vérités universelles ? Que nous dévoile-t-il de Dieu, mais aussi des hommes que nous sommes ? Peut-on en extraire, sans lui faire violence, de quoi faire notre miel ?
Dans ce récit de l’épiphanie, on découvre quatre catégories d’hommes. Et avec elles, quatre façons de vivre en humains. Épiphanie signifie à la fois apparition et manifestation. Cette histoire combine à merveille l’apparition mystérieuse du Sauveur. Et la manifestation des sentiments humains, les options de vie des uns et des autres.
Première option, on peut vivre en despote, cf. Hérode, au mépris des autres. Je n’y reviens pas, mais quels résultats désastreux !
Deuxièmement, on peut vivre de façon servile, en esclaves du pouvoir. Dans un sens, c’est le cas des religieux d’alors et la source n’est pas tarie. Ce qu’ils disent est juste, mais suivi d’aucun effet. Ils retournent à leurs affaires, soumis au despote au lieu de suivre les Mages. Laissant libre cours à sa fureur sans la dénoncer ; ils ne sont plus prophètes. On peut ainsi vivre en esclaves du pouvoir despotique des médias. Ou en esclaves d’un pouvoir proche de son ethnie, de son clan. Ou confondre pouvoir spirituel et pouvoir temporel. Ou – et c’est certainement le pire – perdre tout pouvoir d’interpellation. Se taire, accepter tous les excès, encaisser et croire frileusement.
Les deux autres catégories sont aussi liées l’une à l’autre, mais avec leurs spécificités. La troisième, c’est celle des chercheurs qui se laissent émerveiller. Dont la science est sans prétention et pour qui le matériel n’évacue pas le spirituel. À la manière d’un Théodore Monod, curieux de tout même de l’éternité. Curieux de découvrir « comment ce sera là-haut », a-t-il dit un jour.
François Hollande, à l’affût de formules, entend « réenchanter le rêve français ». Nous avons certainement désenchanté le monde au nom d’une raison prétentieuse. Et nous sentons bien qu’il nous manque quelque chose. Le monde a un goût amer, parce que le sucre est resté au fond de la tasse. Et on n’a pas remué, comme l’écrit si bien Philippe Zeissig. Il s’agit de réenchanter non pas un rêve national, mais le monde dans son entier. Se laisser emmener vers des espaces inconnus, découvrir de nouveaux horizons. Oser suivre un signe d’en-haut, ce qui nous déplace et nous met en mouvement.
Oh, je les aime, ces hommes qui suivent l’étoile à dos de chameau. Ne comptant ni le temps ni la distance ni l’effort ou l’inconfort. Soudain, elle disparaît sous les lumières de la ville : pollution lumineuse, dirait-on. Et c’est vrai, le soir, quand j’ai une réunion en plaine, les lumières empêchent de voir. Mais quand je rentre au chalet et que je vois ce ciel rempli d’étoiles, je rends grâces !
Là, une seule a suffi : certainement la bonne étoile ! Oui, je les aime, ces hommes avec leur mystère et leurs questions sans réponse : Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Ces hommes qui ne soupçonnent pas le mal, ne cèdent pas aux intrigues de palais, s’apprêtant à revenir renseigner Hérode au retour de Bethléem. Sans un rêve inspiré…
Je les aime, ces hommes pour qui s’agenouiller est un honneur. Et pour qui ce roi annoncé par les astres est un cadeau; et non une menace. Ces hommes qui ont cheminé longuement juste pour lui offrir leurs présents. Repartant par un autre chemin, et certainement avec autre chose en eux.
Ils représentent la quête humaine authentique qui ne peut qu’aboutir à cet enfant. Ils nous disent les bonnes surprises de la grâce. Ils interpellent mages, sages et savants de tous les temps. Réenchantons le monde dans son entier, en humbles chercheurs de sens. Inclinons-nous devant l’enfant de la promesse qui a promis d’être toujours avec nous.
La quatrième catégorie est représentée par les parents de Jésus. Comment vivent-ils tous ces événements ? Dans le récit, ils se contentent d’accueillir ces manifestations si particulières. Ils sont membres du peuple élu et ils ont une mission très spéciale. Offrir au monde Jésus, l’élu par excellence.

N’est-ce pas une belle image de l’Eglise ? Des gens de la maison, peut-être « nés entre deux pages de bible », comme on dit ? Cet accueil simple et libre qui refuse toute servilité ? Mais aussi toute vanité : ni grand discours ni cheval blanc. Oui, je l’aime, ce jeune couple dont la vie est bouleversée. Qui a tenu le coup et s’est laissé emporter dans cette grande aventure. Allons-nous tenir le coup, nous église de Jésus-Christ ? Nous laisser emporter de Bethléem à Golgotha ? En passant par Jéricho et ses infirmes, Capernaüm et son désordre légendaire ? La Samarie maudite des demi-frères et les rivages païens si menaçants ? Continuerons-nous à offrir Jésus à ce monde bigarré ? Saurons-nous accueillir les hommes venus de partout, en quête de sens ? Être un homme, un humain croyant, n’est-ce pas un peu tout cela ?
Enfin, au centre de tout le récit, candidat hors catégorie, l’enfant Jésus. Je l’aime, cet enfant sans défense qui tient l’avenir du monde dans ses mains. « Pour un Dieu, quel abaissement ! », chante-t-on à Noël. On ne dit rien de lui, mais il est là, descendu de son ciel !
N’est-ce pas un peu tout cela, être un homme et un homme croyant ? Et ce Dieu qui se fait homme, n’est-ce pas le modèle suprême ? Alors que tant d’hommes se prennent pour des dieux ! N’est-ce pas ces humains illuminés par l’épiphanie qui vont dans la bonne direction? Qu’il s’agisse des Mages d’alors, de savants curieux à la Théodore Monod ou d’humbles familles, de croyants qui vivent l’évangile de tout leur cœur.

Une dernière scène pour terminer : « Des hommes et des dieux », le film. L’évangile les pieds dans la boue humaine. Vécu accroché aux flancs d’un village du Maghreb. Le témoignage au risque de sa vie, le souci de la cohérence jusqu’au bout. Moines mais ni seuls ni isolés : une forme d’incarnation du message. À reproduire, adapter, personnaliser au gré de nos contextes de vie. Parce qu’il est descendu, il s’est fait homme, il est apparu parmi nous et il a manifesté ce qui gît au fond des cœurs.
Comment être un homme ? Je reprends les quatre options de vie pour un mot d’ordre final.
Premièrement. Refuser la prétention des despotes. Il paraît qu’un groupe de chrétiens fondamentalistes a prié pour la mort du chanteur Georges Michael, gravement malade, parce qu’homosexuel. Quoi qu’on pense de cette pratique, c’est du despotisme monstrueux !
Deuxièmement. Refuser la veulerie et la transparence, oser dire non, ne pas tolérer l’intolérable.
Troisièmement. Accepter de partir encore et toujours à la découverte d’un monde à réenchanter.
Et quatrièmement. Accueillir le Christ dans nos vies, le laisser grandir en nous et l’offrir ainsi au monde.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Yves Dénéréaz
Orgue
Pierre Pilloud
Musique
Pierre Pilloud, clavier
Jean-Daniel Courvoisier, haubois