Son et lumière sur la montagne: la Transfiguration du Seigneur

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Prédication du dimanche 6 août 2017 Champex Culte radiodiffusé.

Chers amis, chers frères et sœurs, réunis dans cette chapelle de Champex ou qui nous écoutez sur les ondes,

La solennité de la Transfiguration attestée en Orient depuis le 5e siècle est fêtée en Occident au mitan de l'été, le 6 août.
Bien sûr, ici à Champex, le choix de la date nous semble tout à fait adéquat… tous les éléments sont réunis pour le justifier: on est monté sur la montagne; la lumière qui y est particulièrement intense nous invite à penser à Dieu avec une ardeur renouvelée; les nuages qui ne sont jamais très loin dans un jeu de cache-cache nous révèlent et nous soustraient en un clin d’œil, des alpages, des forêts, des cimes et peut-être une présence que l’on devine puissante et peut-être même terrifiante. Car ici, les orages et le grondement du tonnerre qui se répercute sur les parois des rochers sont particulièrement impressionnant. La montagne fascine depuis l’aube de l’humanité: ses attraits, ses hauts sommets, ses dangers, sa beauté, son inaccessibilité ont poussé les humains à chercher, malgré tout à la gravir, à la découvrir, à la vaincre, même au prix fort, comme Edouard Whymper et ses compagnons vainqueurs du Cervin ou Ueli Steck, gloire de l’alpinisme hélvétique, décédé le 30 avril dernier au Népal. Ici l’amour, la passion et le désir se conjuguent au-delà de la raison.

On comprend d’autant mieux les disciples disant à leur maître: c’est chouette ici ! faisons du camping! Etablissons notre camp de base!

Mais bon me direz-vous, là, ce n’est plus de la théologie… et le pasteur semble divaguer plus que Pierre, Jacques et Jean. D’autres me diront que ce récit biblique, rapporté par les trois évangélistes Matthieu, Marc et Luc est si difficile à comprendre qu’il vaut mieux se concentrer sur les problèmes bien plus concrets et plus sérieux de notre monde: le réchauffement climatique qui fait fondre les glaciers et menace l’humanité, l’insupportable déséquilibre qui fait que pendant que certains jouissent de vacances ou d’une retraite bien méritée au milieu d’une nature paradisiaque, d’autres bravent des creux de trois mètres sur des esquifs pourris dans une Méditerranée où à chaque instant des passeurs sans scrupules les abandonnent à une mort probable sinon certaine…

Alors face aux impératifs théologiques et éthiques comment parler de ce récit inondé de manifestations surnaturelles pour le moins étranges? Que faire de ce récit qui nous emmène hors des réalités, dans des sphères que ne renieraient pas la littérature et le cinéma fantastique ? Avec ses effets spéciaux de lumière, d’apparitions, de fumigènes et de voix off*, le récit de la transfiguration nous emmène plus dans le monde du spectacle que dans celui de la réalité où le disciple de Jésus est sensé s’engager…

Un tel récit ne nous conduit-t-il pas droit dans le piège d’une spiritualité qui, négligeant les problèmes concrets de notre monde et de l’humanité, transforme la foi en paradis artificiel, en opium du peuple, en échappatoire bien commode devant les exigences de la raison et la difficulté de l’action?

Le récit de l’Evangile lui-même nous rend attentif à ce danger: les disciples, saisis par la vision, aimeraient que cela ne s’arrête jamais, mais la vision s’estompe et les voilà ramenés à la raison par une parole: Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le…

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Ecoutez-le comme vous avez écouté jusqu’ici Moïse et Elie… Car bien sûr ces deux-là, ne sont pas des morts revenus se promener sur terre…
Ils sont la Loi et les Prophètes personnifiés, c’est-à-dire l’Ecriture hébraïque dans sa totalité. Moïse et Elie, ce sont les témoins de l’Alliance, convoqués avec Abraham et tant d’autres sur la Montagne.

Moïse, c’est l’homme du Sinaï, ce lieu où Dieu lui a révélé sa gloire et son nom, c’est à dire sa véritable identité (Exode 33 :19). Une identité qu’il dévoile dans sa bonté, sa compassion et sa tendresse sans cesse renouvelées, car Dieu est amour. Moïse, c’est l’homme du buisson ardent, image de ce feu de l’amour qui nous embrase mais ne nous consume pas.
Elie c’est l’homme de l’Horeb, autre montagne mythique qui est peut-être la même montagne mystique. C’est l’homme qui perçoit que Dieu ne se trouve ni dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu dévorant, ni dans aucune plaie apocalyptique, parce qu’il est le souffle fragile presque imperceptible de la Vie. Elie c’est l’homme d’un autre buisson, le genêt sous lequel Dieu a disposé le pain et l’eau. Le genêt, image de ce Dieu qui restaure les forces de son fidèle par une double portion du viatique et qui prend soin de chacun de ses enfants.

Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le! Comme vous avez écouté Moïse et Elie qui n’ont rien fait d’autre que de parler de lui … Ecoutez-le, quand il vous dit que le chemin de la foi est aussi escarpé qu’un sentier de montagne, que la souffrance et la mort ne seront pas épargné au Fils de Dieu, car il a accepté de se faire Fils de l’homme… Ecoutez-le, quand la vision s’estompe et qu’il vous ramène sur terre… Ecoutez-le encore quand il vous dit de taire vos expériences spirituelles pour mieux retrousser vos manches au service de votre prochain…

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Car c’est là que réside le grand paradoxe de la Transfiguration:  d’un côté, il y a la lumière, il y a une vision, il y a l’œil: nous voyons Dieu sous la forme d'un homme, le visage resplendissant, rayonnant plus que le soleil » comme le dit Anastase le Sinaïte dans une homélie du 7e siècle ; d’un côté il y a cette fulgurante vision, où l’homme Jésus apparaît sous les traits du Dieu éternel de qui procède toute lumière, une vision splendide tellement merveilleuse que les disciples aimeraient la prolonger et même l'éterniser: le bonheur ne serait-il pas de s'installer dans cet instant devenu éternel, afin de posséder Dieu sur l'heure, face à face et pour toujours.

Ce côté-là, c’est le côté de l’expérience spirituelle qui a toujours eu la cote dans le monde religieux et même aujourd’hui chez ceux qui ne se rattachent plus à une tradition religieuse… on en a pas fini avec le surnaturel, avec les guérisseurs au bénéfice d’un « don », avec les pèlerinages (celui de Compostelle ou du Kumano Kodo au Japon), avec les retraites au fin fond d’un monastère, d’un ashram, d’un désert ou d’une vallée de l’Himalaya…

La Transfiguration nous parle d’une expérience de ce type, une expérience fondamentale, l’expérience de l’Esprit… Qu’on l’appelle conversion, nouvelle naissance, illumination, réalisation de soi, éveil ou de toute autre façon, il est souvent bien difficile d’en rendre compte et ne vaut la plupart du temps que pour celui qui en est le bénéficiaire… Elle doit être relatée avec précaution, et pas n’importe quand et pas à n’importe qui … Car aux yeux des hommes elle paraîtra folie ou affabulation… L’expérience spirituelle touche là ses limites et on comprend pourquoi Jésus recommande à ses disciples de ne rien dire de l’expérience vécue…

C’est ce qu’exprimera fort bien l’apôtre Paul quand il parlera avec réticence, « en usant du langage de la folie », « d’un homme en Christ, qui fut, il y a quatorze ans, ravi jusqu'au troisième ciel - si ce fut dans son corps je ne sais, si ce fut hors de son corps je ne sais, Dieu le sait. Et je sais que cet homme - si ce fut dans son corps ou sans son corps je ne sais, Dieu le sait - fut enlevé dans le paradis, et qu'il entendit des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme d'exprimer. (2 Corinthiens 12 :1ss).

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De l’autre côté du paradoxe de la Transfiguration, il y a le brouillard, les nuages qui nous arrachent à cette vision. Bien sûr la nuée est encore une référence à l’Exode où elle signale la présence de Dieu au dessus de la Tente de la rencontre ou encore guide les Hébreux dans le désert. Mais ici la nuée voile la vision et les trois disciples ne voient plus qu’un homme seul: sans Moïse, sans Elie, sans la lumière éclatante, plus brillante que le soleil qu’on ne peut voir de face… Ils ne virent que Jésus seul: Jésus dans son humanité, dans son humilité et dans sa finitude. De ce côté-là, il y a le brouillard de la réalité du monde avec son cortège de misères, d’injustices, de violence dont j’aimerais comprendre le pourquoi et le sens. Et au milieu de ce monde, ce maître qui parle de ses souffrances et de sa mort prochaine.
Mais les disciples ne veulent ni l’entendre ni envisager qu’il puisse mourir, comme certaines personnes aujourd’hui ne peuvent accueillir un diagnostic grave ou fatal posé par un médecin.
Le Soleil ne peut pas disparaître, Dieu ne peut mourir n’est-ce pas?
Ce côté-là, c’est celui de l’oreille: le côté de la Parole, le côté des Ecritures que j’aimerais bien comprendre… mais la Parole divine n’est-elle pas embrouillée, n’est-elle pas dite du milieu d’un épais brouillard? La question des disciples sur Elie: « Pourquoi les maîtres de la loi disent-ils qu'Élie doit venir d'abord? » montre qu’il ne va pas de soi d’entendre résonner la Parole que ce soit au milieu des nuées …ou des textes.
Ce maître que les disciples sont invités à écouter leur dit de ne pas se méprendre quand ils lisent les Ecritures… Elie est bien mort tout comme Moïse, même si on ne sait plus où se trouvent leurs tombeaux - ce qui n’exclut pas qu’ils soient aussi « en Dieu ». Il n’en demeure pas moins que ce qui est important de comprendre, c’est que Dieu continue à susciter des Moïse et des Elie… Ils sont toujours parmi nous ! à vous de les voir et de les écouter… Jésus donne ici une belle leçon d’exégèse… Il transfigure la manière de recevoir les Ecritures.
La parole ne peut être confondue avec le texte et les Ecritures méritent de se laisser éclairer par les lumières de la raison autant que de l’Esprit…
Ce côté-là du paradoxe, c’est le côté de la foi rationnelle, celle qui peut accepter que l’homme soit la mesure de toute choses et qui n’exclut pas que la raison ne soit pas suffisante… C’est le côté d’une foi en souffrance qui sait que l’expérience spirituelle ne nous épargne pas les questions ni les épreuves.
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Chers amis, chers frères et sœurs, voilà ce, qu’au-delà du caractère fantastique de la vision qu’ont eu Pierre Jacques et Jean sur la Montagne, la Fête de la Transfiguration nous rappelle aujourd’hui!
Elle interroge deux aspects de la foi, l’expérience spirituelle et la dimension rationnelle et nous invite à ouvrir non seulement nos yeux et nos oreilles, mais surtout nos cœurs et nos pensées à la présence de Dieu.
Non pour fuir les réalités difficiles de ce monde, mais pour nous laisser inonder d’une lumière créatrice. Que notre vie soit lumineuse et se nourrisse de l’amour infini de Dieu. Cet amour dont le Christ a rayonné sur la Montagne de la Transfiguration aussi bien que dans chacun des gestes d’amour et dans son enseignement. Qu’il se reflète dans nos vies! Amen.

Le 6 août est la fête de la Transfiguration. Sur la montagne, là où la terre s'exhausse dans la lumière, nous sommes invités à discerner la « porte du ciel » et à nous interroger sur la nature de la lumière: une lumière qui jaillit du Christ au coeur même de l’humilité de sa condition d’être humain. Une lumière qui donne sens à l’histoire de notre monde et à notre vie.

Détails

Avec la participation de
Jacqueline Emery
Orgue
Gérald Chappuis
Musique
Roland Volet, trompette