Fais quelque chose!

Chapelle des Arolles, Champex-Lac (©Sabine Pétermann-Burnat)

Écouter le culte :

Pour le récit de la tempête apaisée, chez Marc, les disciples de Jésus ne savent pas très bien quoi faire de leur maître, Jésus. Quand la tempête se lève sur le lac, et Jésus dort, ils ne lui parlent pas, et quand ça devient vraiment sérieux, ils paniquent et ils le réveillent : « Maître, nous sommes en train de mourir : ça ne te fait rien ? » Puis, quand Jésus se réveille et (enfin !) il fait quelque chose, il calme la tempête, Marc nous dit : « Ils éprouvèrent une grande frayeur ».

Autrement dit, quand ils ont l’impression que le Seigneur ne fait rien, ils l’engueulent ! Et quand le Seigneur agit, ils ont peur ! Eh oui ! Quoi qu’il fasse, le Seigneur, ses disciples ne sont jamais contents…

Ça vous arrive d’engueuler Dieu ? Ou du moins d’être tenté de le faire ?  Que faire quand la Création, qui est censée être tellement ordrée, autour de nous, semble chaotique ?

Ici en Suisse, nous avons le privilège de vivre dans l’un des plus beaux pays au monde. Des montagnes formidables, des lacs aux couleurs d’une beauté exceptionnelle, des forêts, des rivières… Une nature qui inspire des photos magnifiques à toutes les saisons. Puis des cultures à faire rêver une bonne partie de la planète : les vignes, les vergers, les champs de blé et de colza, et tant d’autres produits de la terre.

J’aime me promener dans ce pays fantastique. Et j’ai la chance d’habiter au centre du Valais, où je ne suis jamais à plus de quelques minutes de marche d’un joli sentier. J’aime faire des photos, et quand j’en envoie à ma famille en Amérique, on me répond : « Comment va la vie là-bas, au Paradis ? »

Comme notre commune est située au bord du Rhône, j’aime beaucoup marcher le long du fleuve, sur la digue ou sur les berges. Entre les villages de Leytron et de Riddes, on passe sous plusieurs ponts. Sous l’un de ces ponts, un graffiti attire le regard, peint sur les fondations du pont, en grandes lettres d’un mètre de haut, facile à lire depuis l’autre rive, comme une sorte de cri du cœur : « POURQUOI MOI ? »

Oui, même dans un pays qui semblent être un « paradis » pour les gens qui vivent loin d’ici, derrière les belles photos, au-delà des apparences, il y a des souffrances. Ici, comme partout.

Ce qui me frappe dans ce graffiti, c’est le côté personnel : « Pourquoi MOI ? » Les sociologues et d’autres ont bien souligné l’aspect très individualiste de notre société moderne.

Mais on peut remonter très loin dans l’histoire, environ 3000 ans, et citer le livre biblique de Job, qui ose interpeler Dieu sur ses souffrances d’un point de vue très personnel, même si les souffrances décrites ont touché bien d’autres personnes autour de Job. Je crois fermement que nous avons le droit de parler très franchement à Dieu de ce qui nous embête personnellement. Les Psaumes sont remplis d’exemples, comme la fameuse question du Psaume 22 que Jésus reprend sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Plus personnel que ça, c’est difficile…  « POURQUOI MOI ? »

Mais peut-être que vous, personnellement, ce matin, vous vous dites que ça ne va pas trop mal. Pas de gros problème de santé, pas quelque chose que vous appelleriez « souffrance », même si tout n’est pas forcément « tip-top in Ordnung » dans votre environnement personnel.

Vendredi matin, avant-hier, j’ai écouté un petit reportage sur La Première de la RTS, La Matinale. Peut-être l’avez-vous aussi entendu, nos amis qui nous écoutez ce matin à la radio. On parlait du « Blues du dimanche soir » : l’angoisse qu’on ressent lorsqu’on fait le bilan du weekend et on pense à ce qui nous attend le lundi matin.

Côté externe, il y a les exigences du travail ou de l’école : ce que vous n’avez pas terminé le vendredi, ou les mails que vous recevez pendant le weekend (si vous les consultez, bien entendu !).

Côte interne, une sorte d’injonction à soi-même de faire des choses formidables pendant le weekend. Si le « bilan » le dimanche soir n’est pas à la hauteur des attentes, si on n’a fait que le ménage et les courses, on est déçu. Mais si on est arrivé à se laisser vivre et à s’amuser un peu, on culpabilise parce qu’on n’a pas avancé avec les choses qu’on devait faire…

Tout ça vous parle ? Vous êtes en bonne compagnie. D’après une étude anglaise récente, il paraît que c’est un phénomène qui touche une personne sur deux… et je pense que ce n’est pas seulement en Angleterre.

Mais quelles que soient nos difficultés personnelles, je pense que, à travers les paroles de l’apôtre Paul dans sa Lettre aux Romains que nous avons lues ce matin, Dieu aimerait élargir notre regard. Alors que nous avons de plus en plus tendance, surtout dans notre société actuelle, à regarder nos difficultés en tant qu’individu, Paul ouvre notre regard, en nous parlant non pas seulement de notre souffrance personnelle, mais de la souffrance de toute la Création :

« La création elle-même sera libérée un jour du pouvoir destructeur qui la tient en esclavage et elle aura part à la glorieuse liberté des enfants de Dieu. Nous savons, en effet, que maintenant encore la création entière gémit et souffre comme une femme qui accouche. Mais pas seulement la création : nous qui avons déjà l'Esprit Saint comme première part des dons de Dieu, nous gémissons aussi intérieurement en attendant que Dieu fasse de nous ses enfants et nous accorde une délivrance totale. » (Romains 8, 21-23)

Paul ne fait pas de séparation entre la souffrance de la Création et celle des enfants de Dieu. Leurs destins sont intimement liés. En cela, son épitre d’il y a 2000 ans est d’une actualité extraordinaire.

Dans le dernier numéro d’un journal paroissial de l’Église réformée en Valais, le thème choisi était « Foi et écologie ». On nous parle de la responsabilité donnée à l’homme d’entretenir la Création et de la protéger, comme nous lisons dans Genèse 2, 15 : « Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour cultiver le sol et le garder. » Mais quand on regarde la manière dont l’être humain a assumé sa responsabilité vis-à-vis de la Création, l’évolution du monde à notre époque, et toutes les catastrophes naturelles qui frappent notre planète chaque année, il y a de quoi être découragé, voire révolté.

Oui, comme les disciples dans la barque où Jésus dormait, on peut avoir envie de crier notre révolte. Comme dans ce récit dans les « Petites histoires pour l’âme » du prêtre italien Bruno Ferrero, où il raconte :

Un saint homme se promenait dans la ville lorsqu'il rencontra une petite fille en haillons qui demandait l'aumône. Il tourna ses pensées vers le Seigneur : « Dieu, comment peux-tu permettre une telle chose ? S'il te plaît, fais quelque chose ! »

Le soir, le téléjournal lui montra des scènes de mort, des yeux d'enfants agonisants et des corps mutilés. Il pria à nouveau : « Seigneur, tant de misère. Fais quelque chose ! »

Dans la nuit, le Seigneur lui dit clairement : « J'ai déjà fait quelque chose : je t'ai fait, toi ! »

(Bruno Ferrero, « Fais quelque chose ! » in Piccole storie per l’anima, vol. 1, 15 juillet)

Mais… que peut faire une seule personne, face à l’immensité du chaos qui nous entoure ?

Dans le journal paroissial qui parle de « Foi et écologie », l’un des articles fait la distinction entre « espoir » et « espérance », disant que de dire « j’ai l’espoir que ça change » ne nous implique pas dans le changement. Alors que l’espérance met en mouvement, motive pour se mettre au service, participer, s’engager.

Un exemple, dans cette dernière « Petite histoire pour l’âme » de Bruno Ferrero, « Le sens de la vie » in Piccole storie per l’anima, vol. 1, 16 août :

Un professeur termina son cours, puis prononça les paroles habituelles : « Y a-t-il des questions ? »

Un étudiant lui demanda : « Professeur, quel est le sens de la vie ? »

Quelqu’un, parmi les étudiants qui se préparaient à quitter la salle, éclata de rire. Le professeur regarda longuement celui qui avait posé la question, cherchant par son regard à savoir si la question était sérieuse. Il comprit que ça l’était. « Je vais vous répondre. »

Il retira son porte-monnaie de sa poche puis sortit un petit miroir tout rond, pas plus grand qu’une pièce de monnaie. Puis il dit : « J’étais un petit enfant pendant la guerre. Un jour, j’ai trouvé dans la rue un miroir qui avait volé en éclats. J’ai ramassé le morceau le plus grand ; c’est celui-ci. J’ai commencé à jouer avec, et je me suis amusé à diriger la réflexion de la lumière dans les coins où le soleil ne brillait jamais : des trous profonds, des crevasses, des placards.

J’ai conservé le petit bout de miroir. Et quand je suis devenu un homme, j’ai fini par comprendre que ce n’était pas seulement un jeu d’enfant, mais une métaphore de ce que je pouvais faire dans ma vie. »

« Je suis moi aussi le fragment d'un miroir que je ne connais pas dans sa totalité. Mais avec ce que j'ai, je peux envoyer de la lumière – la vérité, la compréhension, la connaissance, la bonté, la tendresse – dans les recoins sombres du cœur des gens et changer quelque chose chez quelqu'un. Peut-être que d'autres personnes verront et feront de même. C'est en cela que réside pour moi le sens de la vie. »

Que nous puissions, nous aussi, trouver des moyens à notre portée pour envoyer la lumière du Christ aux recoins sombres de notre monde.

Amen.

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Le pasteur réformé vaudois Christian Vez a sorti une nouvelle traduction des Psaumes en 2019, dans un langage et des images de notre époque.

Lisons le Psaume 8.

La terre chante la grandeur de Dieu

Dieu si mystérieux, entre le ciel immense et la terre si belle, c’est définitivement la terre qui chante le mieux ta richesse et ta bonté.

Pour réduire au silence ceux qui contestent jusqu’à plus soif ton existence, tu as choisi la voix des nouveau-nés.

C’est ton rempart ultime, ton arme secrète paradoxale.

Quand je réalise tout ce que tu as fait : les galaxies, les trous noirs, les nébuleuses, l’immensité de cet univers qui n’en finit pas de grandir, je me pose bien des questions.

Je me demande : mais qu’est-ce donc que l’être humain là au milieu ? Il est minuscule.

Comment se fait-il que tu penses à lui ?

Plus encore, comment se fait-il que tu te préoccupes de lui ?

Tu l’as créé à ton image, si bien qu’il s’en faut de peu qu’il ne se prenne lui-même pour un dieu, tant il peut faire de choses.

Tu lui as donné la faculté d’imaginer, de créer, d’aimer, et même de guérir et de pardonner.

De qui tiendrait-il tout cela sinon de toi ?

De plus, tu l’as doté d’un pouvoir incroyable sur la planète tout entière : il peut conquérir les pôles, gravir les plus hautes montagnes, explorer les jungles les plus hostiles.

Là où il vit, il est parvenu à domestiquer le bétail et à triompher des bêtes sauvages.

Son emprise sur son environnement s’étend jusqu’à la stratosphère et au fond des océans.

Tu lui permets de disposer de tout ce qui vit sur terre, au risque de le voir saccager et anéantir le monde des vivants qui le fait vivre pourtant.

Dieu si mystérieux, puisse la terre chanter encore longtemps ta richesse et ta bonté !

La Bible nous présente un monde créé par Dieu, qui semble censé tout gérer parfaitement depuis cette création. Et pourtant, tant de choses vont mal, voire très mal, autour de nous… et, tout naturellement, on a envie de crier: «Pourquoi? Fais quelque chose!»

Quel éclairage peut-on trouver dans la Bible pour nous aider dans ce dilemme?

Détails

Avec la participation de
Doris Zermatten pour les lectures
Orgue
Margarita Aeberli
Musique
Yuliya Bauwens, soprano, Marius Marcus, ténor, et Matthias Seidel, basse