Une femme dont on n'a rien dit

Chapelle des Arolles, Champex-Lac (©Sabine Pétermann-Burnat)

Écouter le culte :

Chers frères et sœurs, connaissez-vous la cathédrale de Lausanne ? Si ce n’est pas le cas, je vous suggère de profiter de vos vacances ou d’un prochain week-end pour vous y rendre, car elle est magnifique.

La cathédrale, ou Notre-Dame de Lausanne, est consacrée à l’Annonciation de la Vierge Marie. C’est pourquoi sur le portail d’entrée, on voit sculpté l’ange Gabriel qui s’adresse à la Vierge agenouillée. Et si vous entrez et parcourez la cathédrale, vous découvrirez alors ce qui constitue sa merveille : son portail peint. Ce portail date de 1230 environ, et il exalte l’assomption de Marie, c’est-à-dire sa mort, sa résurrection et son couronnement au ciel par le Christ.

Ainsi dans notre cathédrale, nous voyons le résumé en images de la vie de la mère de notre Seigneur. Or ce qui est intéressant à Lausanne, et particulier, c’est que la Vierge n’est pas représentée assise sur un trône, aux côtés et à l’égal de son Fils. Non ! De taille beaucoup plus petite, les mains jointes et les cheveux défaits, Marie est semblable à la Bien-Aimée du Cantique des cantiques, et à ce titre, elle symbolise l’Église. L’Église dans sa relation intime avec le Christ, l’Église dans sa prière, l’Église qui est exaucée, l’Église enfin qui est promise à la vie éternelle. Marie est donc une figure de l’Église, une image des croyants.

Alors bien sûr, Calvin avait de bonnes raisons, trois siècles plus tard, de supprimer le culte des saints et avec lui toute la doctrine qui s’était développée autour de la Vierge Marie. Car à force d’exaltation, elle avait pris toute la place et envahi la foi chrétienne. Il fallait donc bien rappeler que c’est Jésus-Christ, le sauveur du monde et que c’est par la foi en lui et non par des neuvaines et des pèlerinages, que nous sommes sauvés.

Mais voilà, comme dans tout mouvement un peu extrémiste, la Réforme calvinienne a été très loin, trop loin dans ses suppressions, de sorte que Marie reine des cieux et devenue brutalement Marie reine des laissés pour compte et des oubliés. Mais dans le fond, pourquoi ? N’est-elle pas d’abord et avant tout un personnage biblique ? Alors qu’est-ce qui nous empêche d’y réfléchir ce matin ? Rien ! 

Et heureusement, parce que Marie, en vérité, a beaucoup de choses à nous dire et à nous révéler. Sa plus grande révélation consiste à nous dévoiler un peu, le visage de Dieu. En choisissant Marie, Dieu, en effet, expose son projet pour l’humanité. Il se dit lui-même. Dans la lecture de l’épître de saint Jean, nous avons entendu cette définition radicale de Dieu : Dieu est amour. Eh bien son amour consiste précisément à faire confiance à l’humain, à s’en remettre à lui, sans savoir avec certitude, sans être persuadé que l’homme ou la femme choisi.e en sera capable. Dis-moi qui tu aimes, et je te dirai qui tu es.

En aimant assez Marie pour la choisir comme mère, pour lui confier son Fils, Dieu se montre, Dieu se livre, Dieu se manifeste. Il se découvre comme un Dieu très humble, très discret, qui ne veut jamais forcer, ni obliger l’humain. Il lui parle, avec une voix d’ange pour lui demander de le porter, de le mettre au monde, de l’écouter, de le suivre et de lui faire confiance.

Seulement attention, il ne suffit pas d’être porteur de Dieu pour que la vie soit simple, facile et agréable. On aurait plutôt envie de dire en suivant l’histoire de Marie, que c’est même tout le contraire. En effet, si Dieu était Dieu comme on en rêve, comme on voudrait qu’il soit, il déciderait de tout. Alors un Dieu tout-puissant aurait fait en sorte que Marie soit accompagnée par un homme comblé de reconnaissance par une telle responsabilité. Or on le sait bien, ce n’est pas le cas. Joseph doute, il veut même renvoyer sa fiancée. Première épreuve !

Et puis un Dieu tout-puissant n’aurait-il pas mobilisé une sorte de clinique privée pour que la mère de son Fils accouche dans les meilleures conditions ? Un Dieu tout-puissant peut-être, mais pas notre Père des Cieux ! Il fait confiance à sa Création. Il n’empêche, elle n'a même pas une petite place à l’auberge, elle doit mettre au monde son enfant dans la paille, parmi les animaux. Beurk ! Quelle horreur ! Deuxième épreuve !

Les années passant, Jésus devenu adulte, l’évangile nous reparle soudain de Marie. Mais ce n’est plus la petite jeune fille comblée de grâce, et qui dit oui. Marie désormais est une mère bousculée, bouleversée. Elle ne comprend plus son fils. S’il était vraiment le fils de Dieu, ne devrait-il pas accomplir parfaitement tout ce que la Loi demande ? Au lieu de quoi, il conteste tout. Il ose même affirmer : Moïse a dit, mais moi je vous dis… je vous dis autre chose ! Euh Moïse quand même - le fondateur de la religion juive, et puis lui, le petit charpentier de rien du tout… Alors Marie se met à douter, elle ne croit plus que Jésus est le Fils de Dieu. Elle pense au contraire qu’il est habité par le diable, qu’il a perdu la tête.

Elle traverse l’épreuve difficile, le moment que nous traversons tous, lorsque les obstacles s’amoncellent devant nous et que l’on ne comprend plus Dieu, que l’on doute de son amour. Il faut alors déconstruire ses croyances d’enfant pour parvenir à une foi nouvelle, une foi adulte. Troisième épreuve !

Et comme si cela ne suffisait pas, elle va devoir aller encore plus loin, et puiser tout au fond d’elle-même pour trouver les ressources suffisantes pour traverser la douleur suprême, la pire douleur pour une mère : assister à la mort de son enfant. Et quelle mort ! Dans des douleurs atroces et d’une manière infâmante. Quatrième épreuve, la plus terrible !

Vous comprenez alors mieux pourquoi Marie nous est présentée comme un symbole de l’Église ; une Église qui, bien qu’aimée et choisie par Dieu, traverse et assume néanmoins la vie humaine telle qu’elle est, avec sa somme d’épreuves, de souffrances et d’incompréhensions. Marie, figure de l’Église et modèle pour la foi. Parce que nos vies sont comme ça, pleines d’obstacles et d’imprévus, pleines de questions et de pourquoi qui nous obligent dès lors à approfondir et remodeler sans cesse notre foi.

Mais il reste un dernier épisode de la vie de Marie. Un épisode central, le point d’orgue de sa vie, sa présence à la Pentecôte. Marie aussi reçoit le Saint-Esprit ! Assurément, elle l’avait déjà reçu lors de la conception de Jésus, mais alors dans une sorte d’acceptation passive. A la fin de sa vie, après tant d’afflictions, elle le reçoit encore. Mais ce qui a changé, c’est elle. Parce qu’après tant d’épreuves, elle est encore là. Elle aurait pu abandonner, se détourner de ce Dieu si imprévisible. Eh bien non, elle est là.

Et c’est le dernier message qu’elle a à nous transmettre. Parce qu’elle a su convertir l’acceptation passive de sa jeunesse en vigilance, en persévérance et en désir sans cesse renouvelé, elle est encore une fois la figure du croyant. Du croyant temple de l’Esprit, du croyant exaucé, du croyant couronné, du croyant promis à l’éternité.

Alors qu’en pensez-vous ? Marie, un personnage à oublier ou à méditer et à imiter ?

Depuis les origines, le rêve de l’être humain est d’être Dieu, ou, à défaut, de pouvoir dicter à Dieu ce qu’il devrait faire. Si Dieu existait, il devrait bannir les guerres, rétablir la justice, donner un toit, un travail et un revenu à chacun, et éradiquer toutes les maladies. Or Dieu, dont le nom est aussi le Tout-Autre, ne se laisse pas enfermer dans nos désirs. Son projet pour l’humanité est totalement différent. Dieu est Amour et ce qui l’intéresse, Lui, c’est l’être humain réel, avec son potentiel, ses capacités, son intelligence… et sa fragilité.

C’est pourquoi le Seigneur n’a pas hésité à choisir pour mère de son fils, une femme dont on ne sait rien: sans origine, sans parenté, sans titre, sans culture…. Et même sans mari! Cette jeune inconnue a pourtant osé défier les lois de son temps, elle a eu suffisamment de force et de courage pour assumer une maternité compliquée et pour faire une place à son fils dans la société. Et l’Église, dans sa sagesse, l’a prise comme modèle de la foi. Car la vie de Marie récapitule parfaitement le cheminement du croyant fait de confiance et d’incompréhension, de doute et d’espérance. En contre-partie, cette femme - dont on n’a rien dit - nous oblige à revisiter nos (fausses) images de Dieu.

Détails

Avec la participation de
Doris Zermatten pour les lectures
Orgue
Marin Piguet
Musique