Un nouvel élan pour envisager l'avenir

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TAAAAAAAAH ! C’est le bruit caractéristique d’une porte que l’on claque. Violemment ! C’est un bruit que vous n’entendez certainement plus, chers frères et sœurs, mais qui vous rappellent peut-être des souvenirs. Car c’est un bruit fréquent, lorsque dans une famille, il y a des adolescents !
Je voulais tout d’abord imaginer un dialogue d’ados, à propos de leurs parents. Et puis j’ai réalisé que le vocabulaire des adolescents ne serait pas tout à fait compatible avec un culte et surtout, que lorsqu’il s’agit de parler des parents, la meilleure métaphore reste encore la porte claquée avec violence. Cette porte que les jeunes referment pour mettre fin à un dialogue qu’ils estiment impossible. Il y a souvent des jurons qui accompagnent ce geste, mais pas toujours, parce qu’il est si parlant en lui-même qu’il n’a pas besoin de mots pour être compris.
Pourquoi vous me cherchez tout le temps? Pourquoi vous êtes tout le temps après moi ? Pourquoi vous ne me lâchez pas les baskets ? Pourquoi vous ne me faites jamais confiance ?
La maman a beau répondre – parce que vous savez bien que dans ce cas-là, c’est la mère qui parle, le père, lui, fait semblant de ne rien entendre – « mais mon chéri, ton papa et moi étions tout angoissés… » ça ne suffit pas. Ou plutôt si, ce ton geignard et culpabilisant a pour effet certain de déclencher les hostilités. Et votre ado s’enfuit et ça fait : TAAAAAAH ! A voir le sourire de l’un ou l’autre jeune qui est devant moi, je peux vous dire, chers auditeurs, qu’ils se sont reconnus !

Mais alors, ils doivent aussi avoir reconnu Jésus, le jeune Jésus, comme l’un des leurs ! Parce que le recouvrement de Jésus à 12 ans au Temple, ce n’est pas triste non plus. Il est loin le temps du joli bébé Jésus qui faisait des risettes aux moutons dans sa crèche. 12 ans après, le bébé est devenu un pré-ado qui n’a pas grand chose à envier aux grands ados. En tout cas pas l’humeur !
Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous ? Ton père et moi, ne te cherchons tout angoissés ?
Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être dans le domaine de mon Père ?
Euh… Incompréhension ! Incompréhension des parents. Comme toujours ! Saint Luc a même réussi, pour nous faire éprouver l’ambiance de l’intérieur, à rendre son propos assez obscur pour que les exégètes hésitent quant à la traduction exacte des paroles de Jésus. Ce qui provoque notre incompréhension, à nous aussi, lecteurs d’aujourd’hui.

Mais, n’est-ce pas toujours comme ça avec les adolescents ? Ils disent des choses que les autres parfois ne comprennent pas. Ce qui rend la communication si difficile et leur sentiment, souvent justifié, d’être des incompris.
C’est difficile l’adolescence, c’est vrai. C’est une période pénible à traverser, parce qu’on est coincé entre deux mondes. On n’est plus un gosse, même si on a encore quelquefois des terreurs d’enfant. Et l’on n’est pas encore tout à fait un adulte, même si on a des désirs de grands. Seulement expliquer tout ça, parvenir à ressentir tout ce qui bouge en soi, tout ce qui aspire à naître, tout ce qui remue et tout ce qui fait peur et l’expliquer avec des mots, c’est impossible ! Alors nos jeunes restent avec des expressions inabouties, des phrases inachevées sur les lèvres et avec le sentiment récurrent que personne, vraiment personne ne les comprend. Et c’est si violent ce sentiment, ça fait si mal, que seule une porte claquée de toutes ses forces peut en exprimer la charge douloureuse.
Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être dans le domaine de mon Père ?
Pourquoi on te cherchait ? Le domaine de ton Père ? Mais c’est qui ton Père ? Ca aussi c’est typique de l’adolescence. A un certain moment, nos jeunes se sentent tellement éloignés de leurs parents, tellement étrangers, tellement différents dans leur choix, leur goût, leurs attentes, qu’ils ont l’impression de ne plus être de la même famille, de venir d’ailleurs, de n’avoir rien de commun avec « ces gens-là ». Pourquoi on te cherchait ? Le domaine de ton Père ? Mais c’est qui ton Père ?

Oui, c’est qui le père de Jésus ? Noël n’est pas assez loin pour que vous l’ayez oublié ! Pourtant Marie, elle, semble l’avoir oublié. Ton père et moi nous te cherchions… Ne sait-elle plus, 12 après, que le Père, le vrai Père de Jésus, c’est Dieu ?!
Pourtant Marie… Vous savez tous qui est Marie ! Cette jeune fille vierge que l’ange Gabriel a visité à Nazareth pour lui demander d’être la mère du Sauveur. Mais, est-ce que vous savez aussi que dans l’évangile de Luc, Marie est présentée comme l’image, l’exemple de la vraie chrétienne ? La croyante selon le cœur de Dieu. Marie, cette petite jeune fille inconnue de tous, qui n’a d’autre titre de noblesse que sa foi, sa confiance en Dieu.
Eh bien voilà que Jésus doit apprendre à sa mère, que son véritable père, c’est Dieu ! Jésus doit apprendre à Marie, c'est-à-dire symboliquement à tous ceux qui, comme elle, veulent être des chrétiens, des disciples du Christ, que notre vrai père, ce n’est pas notre père de chair, c’est Dieu.
Pour Jésus, c’est évident. Mais même pour nous autres : celui qui nous a véritablement engendrés, véritablement désirés, celui qui nous a vraiment donné la vie, c’est Dieu. Ce Dieu que Jésus-Christ nous a appris à appeler Notre Père des Cieux. Oui, nous sommes tous enfants de Dieu, fils et filles du même Père, c’est d’ailleurs pourquoi je peux vous dire « chers frères et sœurs ». Ce n’est pas une pieuse formule de pasteur ! C’est la vérité la plus profonde de notre humanité. Tous, nous sommes de la même famille, jeunes et vieux, noirs et blancs, riches et pauvres, chrétiens et non-chrétiens, croyants et incroyants. Tous, nous sommes sœurs et frères, parce que filles et fils d’un seul et même Père, Notre Père des Cieux.
La Bonne Nouvelle, c’est donc qu’au-delà de nos parents charnels, faillibles, limités, nous avons chacun un Père qui nous a désirés, nous aime, nous accueille tel que nous sommes, nous pardonne nos péchés et qui veille sur notre vie. Tous. Qui que nous soyons et quoique nous ayons fait. Tous nous sommes aimés, désirés, pardonnés, sauvés.

Ne saviez-vous pas qu’il me faut être dans le domaine de mon Père ? Cette dernière parole, je vous l’ai dit, reflète le grand art narratif de l’évangéliste Luc, qui veut nous faire sentir de l’intérieur l’incompréhension qu’ont pu éprouver les parents de Jésus, comme tous les parents face à certaines paroles de leurs adolescents. Mais il y a encore autre chose. Les exégètes, ces fameux spécialistes de la Bible, nous font remarquer en outre que saint Luc emploie un verbe très particulier : il me faut…il me faut être dans le domaine de mon Père ?
Ce verbe il faut revient souvent dans l’évangile, comme une sorte de leitmotiv, mettant en évidence la nécessité absolue, le destin de Jésus, en vue du salut du monde. Il me faut, c’est là ma destinée, c’est là, la raison de ma venue dans le monde : être dans le domaine de mon Père, être chez mon Père, comme le traduit la Bible œcuménique (TOB). Bien sûr, vous me direz : ça c’était la mission du Christ, mais nous ce n’est pas pareil, on n’est que des humains. On ne doit s’occuper que des choses de la terre.

Vous le croyez vraiment ? Etre disciple, être comme Marie, être chrétien, c’est vivre comme Jésus a vécu, penser de la même façon que lui, agir de la même manière que lui, inspiré par le même Esprit. Or cet Esprit lui a inspiré une parole dure, tranchante !
La parole de Jésus à 12 ans, au Temple, est la première parole qu’il prononce. C’est la première fois qu’il ouvre la bouche, qu’il dit quelque chose, qu’on entend sa voix. Parole essentielle donc. Parole qui a elle seule résume tout le programme de vie de celui que nous appelons Christ et Seigneur. Et cette première parole est une parole qui coupe, qui sépare, qui met de la distance.
Les exégètes, toujours eux, nous disent même qu’elle doit être historique, tellement elle a frappé les consciences. On se souvient de Jésus de Nazareth comme d’un homme qui était capable de trancher des liens, même les liens aussi puissants que ceux de la famille au Moyen-Orient. Il était capable de cela, parce qu’il savait que seule notre relation à Notre commun Père des Cieux pouvait engendrer des rapports nouveaux – rapports où l’on n’attend plus tout de l’autre, où l’on ne se construit plus en dépendance de l’autre, où les manques et les fautes des autres ne nous détruisent plus.
Il savait donc que seule notre relation à Notre Père des Cieux pouvait guérir nos blessures affectives les plus profondes et garantir ainsi la création d’une humanité nouvelle.
Une humanité où il n’y aurait plus de jalousie entre les êtres du fait de leur origine justement : de la qualité ou de l’incapacité de leurs parents ; de la richesse ou de la pauvreté de leur famille. Une humanité nouvelle où les êtres ne se jugeraient plus à leur tête, leur look, la couleur de leur peau ou l’épaisseur de leur portefeuille, mais où chacun regarderait l’autre avec tendresse, comme un fils ou une fille du même Père, un enfant bien-aimé du même Dieu.

En ce début d’année, nous pouvons tous nous demander ce que nous en ferons, sur quels chemins nous conduiront nos pas. L’évangile de ce jour nous trace un horizon : le sens de notre vie, comme de toute vie humaine, c’est d’être avec Dieu, auprès de Dieu et de s’occuper des affaires de Dieu, c'est-à-dire de participer à la construction du Royaume. Un Royaume où chacun aura sa place, où l’amour et la paix iront de concert, où la justice et la vérité s’embrasseront. Il y a certes encore beaucoup de travail pour construire ce Royaume et nous avons besoin des forces de chacun pour y parvenir.
Mais si tous, là où nous sommes, nous commençons à regarder l’autre comme une sœur, comme un frère, avec amour, respect et confiance – sur nos bancs d’école, à nos places de travail, à la maison, dans nos lits d’hôpitaux, dans nos maisons de retraite, dans nos prisons – si tous, nous commençons à regarder l’autre comme un frère, comme une sœur, alors nous aurons posé notre propre pierre dans cette grande œuvre qu’est la construction du Royaume de Dieu.
Car se savoir enfant de Dieu et vouloir créer une famille aux dimensions du monde qui fasse sortir des étroitesses et des limites de sa famille d'origine, loin de nous éloigner de nos semblables, nous rendra au contraire plus proches et plus aimants, désireux d’incarner dans des attitudes du cœur et des gestes concrets l’amour dont nous sommes tous aimés.
Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Mina Balissat
Musique
Groupe de Gospel, direction Roger Puati