Comme le Christ sur la croix, déchiré entre deux parties, sans jamais prendre parti

Chapelle des Arolles, Champex Lac (©Sabine Pétermann)

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Je ne sais pas si vous avez bien écouté les textes de ce matin, mais je pense que nous sommes massivement exhortés à être vigilants, à veiller à garder notre bleu de travail, à attendre le retour du Maître. Et le tout pas nécessairement dans une atmosphère de tristesse, mais en étant actif. 

Dans l'évangile de Luc, le maître qui revient d'un mariage, ce n'est pas triste, mais gare à nous si nous ne sommes pas vigilants. Gare à nous si nous buvons, si nous nous assoupissons. Et puis, si on ne fait pas le travail de veilleur et que notre travail est par exemple de sonner l'alerte pour une nation, les conséquences peuvent être très graves. 

Et voici qu'au milieu des textes d'Ézéchiel et de Luc, il y a ce texte de l'épître de Paul aux Galates. Paul, vous le savez peut-être, est contemporain de Jésus. Il est juif comme lui. Mais probablement que Paul n'a jamais rencontré Jésus et qu'il ne l'a jamais entendu. Et Paul, il ne va pas tellement parler de l'enseignement de Jésus dans ses lettres, des rencontres que Jésus a fait au quotidien comme dans les évangiles. Paul a rencontré le Christ dans une conversion un peu miraculeuse. Lui-même ne parle pas de conversion mais d'apocalypse, de révélation, parce que comme juif, il n'a pas besoin de se convertir. Mais sur le chemin de Damas, voilà que le Christ ressuscité lui apparaît et lui dit : "Pourquoi me persécutes-tu ?" Paul voit les premiers chrétiens, cette secte juive naissante qui est comme une excroissance du judaïsme, comme une menace. Lui-même dit qu'il a persécuté les chrétiens et après cette rencontre miraculeuse sur le chemin de Damas, voilà qu'il change son fusil d'épaule et voilà qu'il annonce à son tour ce message de l'Évangile, ce message qui libère. Et qu'il va l'annoncer non seulement à la communauté juive qui l'entoure, mais il va l'annoncer aux nations, c’est à dire aux païens.

Nous sommes à l'époque de l'Empire romain, qui est réparti tout autour du bassin méditerranéen, et Paul va voyager pour les premières communautés chrétiennes. Et parmi ces communautés chrétiennes, celle de Galatie, c'est la région d'Ankara, en Turquie actuellement. Paul va amener sa vision de l’évangile, de ce qu'est le christianisme naissant. Mais il ne faut pas oublier que si aujourd'hui nous nous référons à Paul comme à une référence incontestable, à l’époque Paul est contesté de partout. Et on voit bien dans le texte de l'épître aux Galates qu'il y a de la concurrence. Et cette concurrence, c'est quoi ? Dans le texte que nous avons entendu ce matin, il y a une tendance que l'on pourrait dire judaïsante dans la communauté des Galates qui voudrait que pour devenir chrétien, il faille d'abord se faire juif. Et le signe du judaïsme, c'est la circoncision. Et Paul, lui, a la conviction que tout être humain qui rencontre le Christ, qui croit en son œuvre, est sauvé. Chez Paul, l’œuvre du Christ, c'est d'abord la mort sur la croix de Jésus et sa résurrection par l'action du Père. Ce qui nous libère de toute nécessité de nous justifier, c'est ce qu'on appelle la théologie de la croix. Et pour Paul, croire dans cette œuvre, c'est la seule condition pour pouvoir se dire chrétien. On devine un peu, dans le contexte de l'épître aux Galates, que Paul dénonce une certaine forme d'opportunisme.

Vous savez qu'au cours de l'histoire, plus souvent qu'à son tour, c'est un peu risqué d'être juif. Et bien là, il semble que c'est encore plus risqué d'être chrétien, membre de cette religion naissante, que d'être juif, puisque cela nous protègerait de nous faire circoncire, c'est à dire d'avoir au moins la marque physique de la marque du judaïsme. Mais Paul, lui, s'expose. Il ne veut pas de compromis, Il est radical. Il est zélé. Alors il va lutter contre ça.

D'un point de vue historique, dans l'Empire romain, on n'a pas le droit de circoncire des adultes. D'un point de vue sanitaire, ce n'est pas sans risque. Mais enfin, voilà qu'il y a cette tendance dans l'épître aux Galates et Paul va lutter contre, et il lutte contre en affirmant haut et fort cette théologie de la croix et cette théologie de la croix nous dit quoi ? Eh bien, elle nous dit que Jésus sur la croix incarne l'opposé de qui est Dieu. Si Dieu est amour, Jésus sur la croix est la haine, si Dieu est la paix, Jésus sur la croix est la guerre. Si Dieu est la fidélité Jésus sur la croix est la trahison. Mais comment est-ce possible ? Eh bien, il ne faut pas oublier que la croix est un châtiment, une mise à mort. Et avant d'être le symbole du christianisme, c’est un outil de torture. La croix, c'est l'infamie. 

D'un point de vue historique, on peut dire que le Nouveau Testament est né de la réponse que les premiers chrétiens vont essayer de donner à cette crise majeure qu'est la crucifixion de Jésus. Ce n'était certainement pas prévu au programme. Et pour aller au bout de cette logique, il faut accepter que quand Jésus sur la croix dit « Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? »  Cet abandon est réel ! Jésus, le Fils de Dieu, sur la croix, vit l'abandon de Dieu. Quand nous avons l'impression, en suivant l'actualité, qu'il y a des peuples aujourd'hui qui sont comme abandonnés de Dieu, il faut nous rappeler que Jésus sur la croix est abandonné de Dieu. Mais il faut aussi nous rappeler qu'au troisième jour, Dieu, parce qu'il est souverain, choisit de ressusciter le Christ d'entre les morts. Pas par mérite, pas pour affirmer sa puissance, mais parce qu'il est Dieu. Dieu choisit au jour de Pâques d'affirmer sa réconciliation avec ce qui est l'opposé de lui-même, ce que nous, nous ne pouvons pas accomplir. Dieu l'accomplit parce que Dieu est Dieu. Il choisit de se réconcilier avec ce qui est l'opposé de lui-même. Dès lors, avec l'apôtre Paul, on peut dire que plus rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu. Si nous avons l'impression que nous ne sommes pas dignes de cet amour, si nous avons l'impression de porter en nous-mêmes une partie sombre, la nuit, cela n'empêche pas la réconciliation de Dieu avec nous. Bien au contraire. Luther, qui, vous le savez peut-être, va découvrir cette justification par la foi en lisant les épîtres de Paul, va parler d'un joyeux échange avec Dieu. Dieu prend sur lui notre faute et nous donne le pardon. Nous, de par notre nature, nous allons de la vie à la mort. Le Christ, de par sa nature, va de la mort à la vie. 

On a parlé tout à l'heure du lac de Champex. Eh bien, si tout à l'heure vous allez y plonger une tête, ce pourrait être le rappel de votre baptême. Ce baptême qui est en fait une immersion dans les eaux du chaos et du tohu-bohu, et en nous immergeant dans l’eau, nous mourons avec le Christ, et en ressortant de l'eau avec la bénédiction de Dieu, nous ressuscitons avec le Christ à une vie nouvelle. Paul dit encore « Car ce qui importe, ce n'est ni la circoncision, ni la circoncision, mais la nouvelle création ». Il nous dit un peu avant dans l'épître aux Galates : « Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n'y a plus ni Juif, ni grec, il n'y a plus ni esclave, ni homme libre. Il n'y a plus l'homme et la femme. Car tous vous n'êtes qu'un en Jésus Christ. Et si vous appartenez au Christ, c'est donc que vous êtes la descendance d'Abraham. Selon la promesse, vous êtes héritiers. » Nous vivons dans un monde où il y a beaucoup de clivages. Il y a beaucoup d'étiquettes. Si vous ne mangez pas de viande, vous portez un nom. Si vous ne consommez pas de produits d'origine animale, vous portez un nom. Si vous mangez de la viande, vous portez un nom. Si vous êtes comme tout le monde, d'une certaine orientation sexuelle ou même d'orientation sexuelle multiple, vous portez des noms. La nouvelle création, c'est l'affirmation qu'il y a quelque chose qui précède notre nature, qui précède nos pratiques, qui précède notre morale. Cette nouvelle création, c'est que toutes et tous, qui que nous soyons, en plaçant notre confiance en Dieu, nous ne sommes plus justifiés par nos œuvres, mais par l'œuvre du Christ. Dès lors, « il n'y a plus ni juif, ni grec, ni esclave, ni homme libre. Il n'y a plus l'homme et la femme. Nous ne sommes qu'un. En Jésus-Christ, cette nouvelle création. » 

Nous avons à l'affirmer, à la proclamer, à l'attendre, à la faire venir comme le Royaume, pour que toutes et tous nous puissions vivre ensemble dans la paix, dans la joie et dans l'harmonie. Amen.

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L’Evangile nous appelle à être responsable et à faire le bien. Mais qu’est-ce qui relève de ma responsabilité et qu’est-ce qui relève de la responsabilité de l’autre, du groupe, de l’église, de l’humanité dont je fais aussi partie ? Nous ne sommes pas tout-puissants, dès lors comment faire le bien dans les limites de cette finitude ? Est-ce en imitant le Christ sur la croix, déchiré entre deux parties, sans jamais prendre parti ? 

Détails

Avec la participation de
Aldo Ravedoni, pour les lectures
Orgue
Margarita Lazareva Aeberli
Musique
Luna Bauwens au violon (6 ans)