Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?

Temple Saint-Vincent, Montreux (©Alexandra Urfer Jungen)

Écouter le culte :

Chères amies, chers amis, chères auditrices, chers auditeurs de la RTS, chers frères et sœurs, comment ne pas se laisser interpeler ce matin par cette question de Jésus que nous pouvons lire dans l’Évangile selon Luc (18, 8) ? 

En effet, pas plus tard que cette semaine, un grand quotidien romand titrait : « Les églises se vident, leur financement demeure », et à la page suivante, le titre en gras et en lettres de grande taille parlait de la « fuite des fidèles ». Des églises désertées, des fidèles qui fuient…

J’entends Jésus nous remonter les bretelles : Vous, les gens d'aujourd'hui, vous n'avez pas la foi ! Je vais rester avec vous combien de temps encore ? Je vais vous supporter combien de temps encore ? Vous n’avez pas la foi !

Mais qu’est-ce que la foi ? Comme on est en train de la perdre à la vitesse grand V on ne sait plus très bien de quoi on parle quand on parle de foi !

Qu’est-ce que la foi ? Un sentiment religieux ? Croire que Dieu existe ? Obéir aux lois et aux règles d’une religion ? Une crise mystique qui dure ? Une démarche irrationnelle ? Aller à l’Église tous les dimanches ? Croire, comme disent les vaudois.es, qu’il y a « kèchose » au-dessus de nous ? Être capable de faire des miracles jusqu’à guérir un épileptique ou déplacer une montagne ? Ce ne sont pas les définitions qui manquent, ça vous pouvez le croire (sic) !

Et sans doute il y a autant de réponses possibles que de personnes, même si on peut distinguer deux grands courants.

D’un côté, la foi de ceux qui ont été touchés par la grâce, qui ont vécu une expérience personnelle intime et pour qui la dimension émotionnelle ou affective est la plus importante.

Et de l’autre, la foi de ceux qui pensent comme Origène au 2e siècle ou Thomas d’Aquin au 13e siècle, que la foi est l'adhésion de l'intelligence à la vérité.

Sans entrer dans les difficultés à traduire le mot hébreu « eMoûNaH » (être sûr, avoir confiance), ou même « pistis », le mot grec du Nouveau Testament, on a pu s’apercevoir dans les textes entendus ce matin les difficultés à saisir ce qu’est la foi !

Peut-on imaginer que le mot foi a un sens identique pour :

  • le maître de la Loi de Moïse qui interroge Jésus sur la valeur centrale de la religion d’Israël,
  • l’apôtre Paul qui définit la foi en opposition à la Loi,
  • et le simple villageois de Galilée, père d’un enfant épileptique qui, dans une incroyable tension dramatique, crie en pensant que la guérison de son fils dépend de sa foi : « Je crois, mais viens au secours de mon incrédulité ! » ?

Bien sûr que non !

Pour le scribe, docteur de la Loi, la foi correspond à un système fait de commandements et d’observances rituelles qu’il s’agit d’observer parfaitement en lisant et méditant jour et nuit la Thorah, la Loi de Moïse.

Pour Paul, la foi ce n’est plus un système, des doctrines, des observances rituelles, c’est le chemin que Jésus-Christ m’a ouvert pour me permettre de rencontrer Dieu dans sa grâce et dans son amour.

Et dans le récit de la guérison de l’enfant épileptique, la foi est encore indéfinie, comme un balbutiement, comme les premiers pas de l’enfant qui découvre la station debout mais craint à tout moment de tomber.

Nous le découvrons à l’intérieur-même des Écritures, la foi est multiforme, le mot renvoyant parfois à un contenu, un enseignement : « la foi qui croit que » ; et d’autre fois à une décision ou une attitude spirituelle : « la foi qui croit en ».[1]

Alors de quelle foi Jésus parle-t-il quand il dit : « Vous n’avez pas la foi ? »

Comment entendre son avertissement quand il demande : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

Les textes entendus ce matin nous éclairent. En tout premier lieu j’aimerais dire que la foi, c’est une affaire de rencontre. Dans sa rencontre avec le docteur de la Loi, Jésus cite l’Écriture. Il la connaît, il adhère à la Loi, il la récite, il l’accomplit. Jésus est juif. Il se situe dans la droite ligne de l’histoire spirituelle du peuple juif et de son interlocuteur. Mais ce qui ébranle le scribe et ses auditeurs, c’est qu’il habite l’Écriture de sa lumière, en rayonnement de douceur, sans limite. Il l’habite de l’Esprit saint qui fait vibrer les lettres et les mots.

La foi, c’est ensuite une affaire d’écoute. La citation que Jésus fait du Deutéronome (Deut. 6, 4) est très précise et plus que complète. Il cite en premier lieu les deux premiers mots : « Écoute Israël… ».

Ainsi, la foi, c’est d’abord une écoute : c’est se tourner vers un Dieu qui nous parle, c’est être en relation avec celui qui nous a appelé à la vie et à la liberté qui nous met debout, qui nous met en route.

Et la suite nous dit qu’on peut se tourner vers Dieu de quatre façons au moins :

  1. Avec son cœur, mis en première place. Jésus sait que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas.
  2. Deuxième façon : avec son être tout entier.
  3. Troisième façon : Jésus souligne à l’intention de son interlocuteur, « avec sa pensée, son intelligence ». Il sait à qui il parle, et il sait que la foi est pour certains « adhésion de l'intelligence à la vérité ».
  4. Quatrième façon : de toute ta force ! Non pas de la force brute, mais de la force puissante de l’amour.

Jésus cite un second texte que le scribe connaît bien, que l’on trouve dans le livre du Lévitique (19, 18), qui justement parle de l’amour du prochain aussi fort que celui que je me porte : « aime ton prochain comme toi-même » !

Nous voyons ici que la foi, c’est tout de suite après le regard tourné vers Dieu un regard tourné vers l’homme. La foi est un axe à deux pôles constitué de Dieu et de l’homme.

L’homme, l’humain, c’est particulièrement celui qui est faible, malade, pauvre, migrant, déraciné, perdu, en dépression, en prison, victime de l’injustice ou de l’oppression… la liste n’est pas exhaustive, hélas.

Il n’y a là-dedans rien de théorique : une foi qui n’est pas tournée vers son prochain pour prendre soin de lui est une foi vide.

C’est sans doute ce que Jésus reproche aux disciples qui n’ont pas su venir en aide au père désespéré de l’enfant épileptique. Dans son exaspération affectueuse, on l’entend dire à ses disciples – qui eux aussi, n’en sont qu’aux balbutiements de la foi : « Tournez vos regards vers Dieu, ayez foi en lui et en toutes circonstances, favorables ou non, priez et agissez sans relâche… Quand on aime, on ne compte pas ! »

Dans sa colère bienveillante, Jésus sans doute veut faire entendre à ceux qui deviendront un jour Apôtres, que la foi, c’est un refus obstiné de la fatalité car Dieu est maître de toute choses et il est amour !

Il y a dans cette dernière définition de la foi un début de réponse à la question du déclin des Églises qui résonne comme une litanie à mes oreilles depuis que je suis pasteur, soit il y a bientôt 40 ans. 

J’entends bien l’avertissement de Jésus : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

Cette question est à méditer, à travailler. Elle se pose à chacun d’entre nous individuellement et, collectivement à l’Occident démocratique, pétri de valeurs judeo-chrétiennes en passe d’être complétement oubliées.

Pour ma part, j’aimerais faire mienne la formidable foi de Jean Calvin, qui vivait, dans un temps de ténèbres où rien n’était assuré, témoignée dans une lettre à l’empereur Charles- Quint en 1543 :

« L’instauration de l’Église est l’œuvre de Dieu et ne dépend pas plus des espoirs et des opinions de l’homme que la résurrection des morts ou tout autre miracle de ce genre. [...]

Mais il convient d’ouvrir une brèche dans la muraille de notre désespoir. Dieu veut que son évangile soit prêché́ ! Obéissons à ce mandat, là où sa voix nous appelle ! Quel sera le résultat et quel avenir ? Ce n’est pas à nous qu’il appartient ».[2]

Amen.

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[1] Au 4e / 5e siècle déjà, le théologien Augustin distinguait bien entre « la foi qui croit en », c'est-à-dire la confiance comme attitude spirituelle et existentielle (Augustin parlait de la « fides qua creditur », en latin), et « la foi qui croit que », c'est-à-dire l'adhésion au contenu d'un credo, la foi de l'Église, le « dépot à conserver et transmettre » comme diraient les lettres à Timothée (Augustin parlait de la « fides quae creditur » en latin).

[2] Calvin, Supplex exhortatio ad invictiss. caesarem Carolum quintum (1543), in Joannis Calvini opera quae supersunt omnia, Eduard Cunitz, Johann-Wilhelm Baum, Eduard Wilhelm Eugen Reuss, éd., Brunswick, C.A. Schwetschke, 1863-1900, volume 6.

Foi, espérance et amour: cette série de trois cultes méditera sur les trois vertus résumant l'essence du christianisme.

Mais qu'est-ce que la foi? C'est d'abord une écoute. Pour Israël, c'est en partant du sommaire de la Loi qu'on s'ouvre à la foi. Cela, en vue d'une rencontre. Une rencontre vivifiante qui ouvre une brèche dans la muraille du désespoir.

Détails

Avec la participation de
Blaise Chappuis pour les lectures
Orgue
Martine Reymond
Musique
Diane Gagnon à la trompette, et le choeur d'hommes de Chernex-Montreux, sous la direction d'Andrea Longo