En duplex avec Antananarivo avec le pasteur Andrianjatovo Rakotoharintsifa

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Olivier Calame :
Chers paroissiens de Montreux,
Nous n'en avons pas l'habitude, mais aujourd'hui, nous sommes écoutés. Nous le sommes même doublement. Nous sommes en effet écoutés par environ dix mille personnes en Suisse romande et un peu au-delà. Et puis nous sommes aussi écoutés par une personne, très loin, tout là-bas, au centre de Madagascar. Dix mille personnes dans les environs, une personne à un autre bout du monde. Qu'est-ce que ça nous fait ?
Et, en y réfléchissant, quelles oreilles nous intriguent le plus ? Lesquelles sont les plus déstabilisantes ? Celles des dix milles personnes en Suisse romande ? Pas si sûr ! Certes, le nombre est là, mais, globalement la culture est la même, l'Eglise se vit de manière semblable, avec les mêmes types de problèmes, les mêmes défis.
Par contre, les oreilles de ce pasteur à Madagascar pourraient bien nous intriguer ou nous déstabiliser un peu. Oui, que va-t-il penser de nous ? Que va-t-il penser de notre musique ? Là-bas, on entonne les chants spontanément à quatre voix. Et on les chante de tout cœur, sans retenue ! Que va-t-il penser de nos chants et de notre façon de chanter ?
Et que va-t-il penser de notre liturgie ? Est-ce qu'elle correspond à ce qu'il connaît ? Que va-t-il encore penser de notre façon d'exprimer la vie, la foi, l'espérance ? C'est tellement différent dans le contexte malgache... Oui, ces oreilles qui nous écoutent, elles nous interpellent ! Oui, ce pasteur malgache est en quelque sorte un aiguillon pour nous ce matin.
Mais en fait, si, plutôt que de ressembler à une sorte d'espion qui pourrait penser tant de choses de nous dans l'ombre, sans s'impliquer, si nous avions affaire à un ami, à un frère dans la foi, qui accueille tout simplement ce que nous sommes ? Oui, si ce frère n'était pas une menace de plus dans ce monde, mais une chance, celle d'être écouté positivement, celle d'ouvrir un partage, un dialogue.
Alors Tovo, tu es là avec nous depuis un quart d'heure, tu as écouté, alors, dis-nous : est-ce qu'on doit t'accueillir comme une chance ou comme une sorte de menace?
Tovo Rakotoharintsifa:
Comme une chance assurément! Car je suis là comme un visiteur étranger qui ouvre l'horizon de votre culte dominical ! Mais il est vrai que la venue d'autrui est toujours menaçante pour tout enfermement sur soi. Encore une fois, je te salue, Olivier, et je salue fraternellement dans l'amour du Christ les paroissiens de Montreux et ceux qui nous écoutent à travers les ondes. C'est une nouvelle expérience pour moi que de participer en duplex à un culte. Je suis très heureux de te retrouver, mon ami Olivier, à l'autre bout du fil.
Dieu merci, l'auditoire vaudois ne m'est pas étranger, car le Seigneur m'a donné l'occasion de voir l'EERV et de rencontrer des frères et des soeurs dans les paroisses et les familles.
Mon séjour dans le pays de Vaud était pour moi une occasion d'édification et d'élargissement de mon horizon intellectuel et spirituel. Je salue à travers les ondes ces amis dont je garde en mémoire les visages et les paroles, que ce soit à Malley, à Ouchy, à Chailly, à Saint-Marc, à Dorigny ou ailleurs.
Olivier Calame :

Tes souvenirs, tes salutations et tout ce que tu dis de ton passage chez nous touche certainement beaucoup de gens ! Merci beaucoup pour ce regard attentif et amical ! Tu es donc plutôt une chance pour nous ! Nous voilà tout de même un peu rassurés !
Il est vrai que tu as une oreille déjà exercée à la Suisse et à l'accent vaudois ! Tu as vécu six ans à Lausanne pour ton doctorat. Il est vrai aussi que durant les quatre ans passés à Madagascar, je me suis exercé l'oreille au joli accent des malgaches francophones et aux belles intonations de la langue malgache ! Nous n'avons donc plus, l'un et l'autre, des oreilles complètement extérieures au monde de l'autre. Mais il a fallu du temps pour apprendre à écouter l'autre, sa culture, sa façon de vivre, de prier, pour se sentir à l'aise dans son milieu.
C'est un peu comme Pierre, dans le texte biblique que nous avons entendu, qui se rend compte "que Dieu est impartial et qu'en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui." Pierre s'en rend compte, mais il met du temps à l'intérioriser.
Au début de cet épisode, Dieu lui fait comprendre qu'il ne faut rejeter aucun homme (cf Ac. 10, 28), même s'il nous répugne, même si ses habitudes nous choquent, même si sa foi et ses valeurs nous semblent trop différentes des nôtres. Pierre entend cette volonté de Dieu, mais lui, il a depuis toujours entendu dire, comme le dit le texte "que c'était un crime pour les Juifs d'avoir des relations suivies ou même quelque contact avec des étrangers." (Ac. 10, 28)
On ne change pas comme ça des évidences aussi fondamentales! On peut en accepter l'idée, on peut le comprendre, on peut le savoir, mais de là à le vivre, il y a souvent un très grand pas ! Et c'est justement un peu plus loin dans le texte que Pierre va faire un pas de plus en disant : "Je me rends compte que Dieu est impartial et qu'en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui." (Ac. 10, 34)
Il a passé de la réception d'un message de Dieu à une appropriation personnelle. Ce n'est plus "Dieu vient de me faire comprendre", mais "Je me rends compte". Il y a déjà un bout de chemin de fait ! Et à la fin du texte, il faudra encore que Pierre passe par la question : "quelqu'un pourrait-il empêcher de baptiser par l'eau ces gens qui, tout comme nous, ont reçu l'Esprit Saint ?" (Ac. 10, 47)
Même si les païens dont il est question ont reçu l'Esprit Saint, Pierre évoque un instant la possibilité qu'il leur soit empêché de recevoir le baptême. Il montre une dernière résistance qu'il lève en même temps. Tout cela parce qu'il lui a fallu du temps, beaucoup de temps pour lever les a priori et les évidences de sa culture religieuse et de sa foi.Pour Pierre, quel parcours ! Et pour nous, frères et sœurs d'ici ou d'ailleurs, quel parcours aussi de questionner tout ce qu'on a construit en nous d'a priori, d'évidences depuis notre enfance ! Quel parcours pour rejoindre réellement l'autre dans sa différence !
Tovo Rakotoharintsifa :
Oui, c'est un immense parcours ! Pour nous autres aujourd'hui, à Madagascar ou en Suisse ou partout ailleurs ! Mais c'est là le début de l'Eglise !
Oui, même si humainement, nous opposons souvent beaucoup de résistances, Dieu met fin au régime de discrimination religieuse et ethnique, car en Christ il veut être le Dieu de tous les peuples. Dieu ne voit pas les humains d'après leurs particularités, faciale, ethnique ou économique, mais d'après leur vocation originelle à devenir ses vis-à-vis, des partenaires de l'Alliance.
L'Eglise doit ainsi rompre avec tout ce qui sépare les humains les uns des autres. C'est un tournant décisif dans l'histoire du christianisme primitif : l'Eglise du Christ ne peut plus être considérée comme une entité nationale ou culturelle mais une identité qui relie les hommes entre eux au-delà de toute autre identité. Voilà la vocation que chaque église locale a à respecter et à réaliser.
En ce qui concerne les églises romandes, elles ont appris à reconnaître la présence de Dieu parmi les autres peuples à travers l'oeuvre missionnaire à l'extérieur et les contacts directs avec les étrangers sur place. Toi, Olivier, tu étais chez nous, à Madagascar, pour nous apporter l'Evangile et nous éduquer dans la foi.
Moi, je me souviens toujours de l'accueil fraternel dont j'étais l'objet dans les paroisses et familles vaudoises et à l'Université, malgré les préjugés ambiants. Mais il faut que l'église soit toujours vigilante face à la recrudescence de la haine et de l'exclusion, au nom de la sécurité nationale et de l'identité locale.
Olivier Calame :
Oui, et la situation aujourd'hui dans le monde est bien là aussi pour le rappeler !Et dans ce sens, l'Eglise sait heureusement parfois jouer son rôle. Et ces derniers temps, combien de fois, partout dans le monde, les Eglises ont prié, se sont rassemblées ou ont pris position pour dénoncer la guerre qui a débuté cette semaine.
Même ici à Montreux, au marché couvert, nous avons vécu communautairement, il y a trois semaines, cette prière, catholiques, réformés, évangéliques, anglicans, adventistes; S'y côtoyaient entre autres des Américains et des Irakiens.
Et je lirai tout à l'heure une déclaration commune des Eglises et communautés chrétiennes, juives et musulmanes dans le canton de Vaud qui manifeste l'opposition commune à la guerre en Irak et à l'utilisation de Dieu de part et d'autre. C'est vraiment l'expression actuelle de ce qui s'est passé pour Pierre à l'époque.
Mais il est vrai que, malgré ces signes positifs, le décloisonnement ne va pas de soi, même chez les chrétiens. Pierre, tout chrétien qu'il était, a fait un long chemin, nous l'avons vu, pour reconnaître les païens comme des êtres aimés de Dieu au même titre que lui. Tout chrétien qu'il était, il s'est laissé convertir par l'Esprit ! Oui, c'est un travail constant de se laisser transformer, de se laisser convertir, pour accueillir cette disponibilité à l'autre, cette ouverture, ce non-jugement, comme nous le vivons par grâce aujourd'hui avec toi, Tovo!
En fait, comme tu le disais tout à l'heure, nous avons une identité plus profonde que toutes les autres identités : c'est notre identité en Jésus-Christ, l'identité dont le signe est le baptême.Cette identité de baptisé, donc cette appartenance au corps du Christ, permet de dépasser toutes les autres identités qu'elles soient ethniques, nationales, raciales, sociales, culturelles.
Je me rappelle de ce signe qui m'a toujours beaucoup touché lorsque j'étais pasteur de la paroisse internationale d'Antananarivo. Il était fréquent que deux hommes politiques importants, très présents dans la paroisse, l'un du gouvernement et l'autre de l'opposition, soient assis sur le même banc d'église. Cela illustre pour moi à merveille le dépassement des identités politiques par l'identité chrétienne.
Tovo Rakotoharintsifa :
Oui ! Et de même, aujourd'hui, Dieu est présent parmi vous, en Suisse, comme il l'est parmi nous ici à Madagascar, car son Esprit est pleinement à l'oeuvre des deux côtés. Cela nous unit dans la vérité, même si l'histoire nous réserve toujours des particularités locales tout à fait compréhensibles. C'est dans ce contexte que je t'ai rencontré à Dorigny et t'ai raconté notre pays; quelques années après, tu as décidé de devenir un envoyé de la CEVAA chez nous.
Oui, la vie en Suisse est foncièrement différente de celle que nous avons à Madagascar, mais la foi en Christ, cette identité baptismale, nous a rapprochés de façon décisive, nous a rendus capables de dépasser les clivages.
Désormais, c'est la présence de cet Esprit qui détermine notre être profond et l'acte baptismal en est le signe. Il appartient à la communauté de reconnaître publiquement et collectivement l'égalité des chrétiens de toute origine à travers le baptême.
Actuellement, nous, chrétiens et communautés chrétiennes, sommes invités à considérer le baptême, non plus comme un rite sectaire qui nous distingue des autres (c'est malheureusement le cas dans la querelle des dénominations!), mais comme la fête d'initiation qui nous introduit dans l'immense église de Dieu, qui rassemble tous ceux qui confessent le Christ.
Cela fait sauter beaucoup de barrières, mais malheureusement dans les réalités locales on constate parfois des discriminations ouvertes ou larvées, qui choquent les néophytes et les observateurs.
Comme tu l'as dit, ici ou là, la classe sociale, la caste, l'origine raciale pourraient intervenir dans les relations et les perturber, même en église. Nous sommes donc appelés constamment à revenir à la source de notre égalité, c'est-à-dire à l'effusion du Saint-Esprit sur tous les croyants, qu'ils soient de notre race ou pas. Cet événement surpasse nos scrupules et nos sensibilités trop humaines, et nous "convertit" à l'amour de Dieu pour l'autre. Et c'est le sens même de notre conversation en duplex aujourd'hui!

A Dieu seul la gloire, Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Martine Reymond
Musique
Patrick Marguerat, hautbois