Pour quoi Jésus est-il mort ?

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Dans le cantique que nous venons de chanter, nous avons affirmé que Jésus était mort à notre place. Auparavant, nous avions chanté qu’il était mort pour nous. A chaque fois que nous célébrons la Sainte Cène, nous répétons la phrase du Christ : « Ceci est mon corps qui est (livré, brisé, donné) pour vous ». Mais en quel sens faut-il comprendre cette mort de Jésus « pour nous » ?
Un ami pasteur me disait il y a quelques temps qu’il était très heureux de ne pas avoir à prêcher cette année à Vendredi saint. « A bon, pourquoi ? » lui rétorquai-je. « Parce que je ne crois plus à ce qu’on nous a enseigné au sujet de la colère de Dieu qu’il nous faudrait apaiser. » Et du tac au tac, je lui répondis : « Je n’y ai jamais cru moi non plus, ce qui ne m’empêche pas de trouver que Vendredi Saint est la principale fête de la chrétienté. »
Qu’est-ce qui donc nous rebute tant, mon collègue et moi-même, dans cette interprétation de la mort de Jésus pour nous à laquelle nous faisions allusion ?

L’interprétation traditionnelle de la mort de Jésus

La compréhension habituelle de la mort de Jésus remonte à un très grand théologien du XIe siècle nommé Anselme de Canterbury. En substance, il affirme que le péché de l’homme est si grand que les humains n’ont plus le moyen d’utiliser les sacrifices recommandés par l’Ancien Testament pour obtenir le pardon de Dieu. Il faudrait que, dans sa colère, Dieu anéantisse l’humanité. Mais, comme il en a pitié, il décide de payer à la place de celle-ci. Il entreprend même de sacrifier ce qu’il a de plus cher, son propre Fils. Et il envoie ce Fils être mis à mort en ce bas monde pour que sa propre colère, à Lui Dieu, soit calmée et même anéantie. Dès lors une histoire nouvelle peut commencer entre Dieu et les humains.

Objections

Je formulerai au moins quatre objections à cette manière d’expliquer la mort de Jésus. La première, c’est que, dans sa toute-puissance et dans son immense sagesse, Dieu aurait certainement pu trouver un autre moyen que le sacrifice pour faire comprendre aux humains qu’il les aimait, leur pardonnait et recommençait sur d’autres bases ses relations avec eux. La deuxième objection revient à dire que, puisque nous osons nous mêler de la psychologie divine en parlant de sa colère et de son amour, nous ne comprenons pas comment ces deux sentiments si contradictoires sont simultanément possibles dans la « tête » de Dieu. Une troisième objection est pour s’offusquer de ce que Dieu puisse nous demander de donner gratuitement et qu’Il soit Lui-même incapable de gratuité puisqu’il faut que quelque chose Lui soit sacrifié pour qu’en contrepartie Il pardonne. Enfin je dirai que la compréhension anselmienne de la mort de Jésus n’a rien de biblique.
Et d’ici j’entends déjà vos objections ! « N’avons-nous pas entendu tout à l’heure, dans la première des trois lectures bibliques, l’apôtre Paul interpréter la mort de Jésus en termes de sacrifice (Romains 3, 19 - 26) ? » « Certes, vous rétorquerai-je, mais pas dans le sens où Anselme a parlé du nécessaire sacrifice de Jésus ! »

Quand Paul parle de la mort de Jésus en croix…

Oh, je vous concède qu’il s’agit d’un texte fort difficile. Il est fondamentalement difficile parce que Paul y utilise trois langages différents : celui de la rédemption, celui de l’expiation et celui de la justice. Ces trois termes ne vous disent probablement pas grand-chose. Reste que ce qui d’abord nous intéresse ici, c’est que l’apôtre n’utilise pas seulement un répertoire pour dire le sens de la mort de Jésus, mais est obligé de recourir à trois registres différents. En utiliser un seul conduit nécessairement à tordre le sens de cette mort. Il en faut au moins trois et dans d’autres lettres, Paul en utilisera encore d’autres. Mais que veut-il dire par ces trois manières de parler ?

La rédemption

Le mot provient pour nous d’un mot latin qui signifie « racheter ». C’est le vocabulaire du marché aux esclaves. Dans l’Antiquité, un esclave pouvait acheter sa liberté. Quelqu’un qui voulait son bien pouvait aussi payer la somme qu’il valait à son maître et le rendre libre. Le vocabulaire de la rédemption est donc fondamentalement utilisé par Paul pour dire notre libération par ce qui s’est produit au Golgotha.

L’expiation

L’expiation fait allusion au deuxième texte que nous avons entendu tout à l’heure (Lévitique 16, 8 - 16a). Il y était question des sacrifices offerts par Aaron puis par ses descendants, une fois l’an, le jour du grand pardon – le Yom Kippour –. Ils devaient offrir un taureau puis un bouc respectivement pour leur propre pardon et pour le pardon du peuple. Le vocabulaire utilisé ici par Paul est donc celui habituel aux Juifs pour exprimer le pardon divin.

La justice

Enfin, Paul parle dans le registre de la justice. Depuis Martin Luther au moins nous savons qu’il s’agit chez Paul non d’abord de la justice par laquelle Dieu juge les humains, mais de la justice qu’il offre aux humains, de la justice par laquelle Dieu les déclare justes. Ici vous me direz que nous ne sommes guère avancés, car nous ne savons pas ce que signifie « être juste ». Et bien ! il s’agit d’avoir une certaine valeur aux yeux de… Cela signifie aussi « avoir un sens à sa vie, une raison d’être ». En mourant avec nous comme le plus malheureux des hommes, Jésus nous déclare que nous avons tous une infinie valeur aux yeux de Dieu.
Ces trois manières de dire le sens de la mort de Jésus se complètent magnifiquement. La liberté à l’égard de nos esclavages est libération de notre présent. Le pardon consiste à définitivement tirer un trait sur nos fautes passées. Quant au don d’un sens à notre vie, il ouvre notre avenir.

Réponses à trois questions fondamentales

Ces trois langages répondent aussi aux trois grandes questions que tout être humain se pose et d’abord à la question de la destinée. « Notre destinée est-elle décidée par nos gènes, par notre enfermement dans l’esclavage de notre péché etc… ? ou bien possédons-nous une certaine liberté à l’égard de tout ce qui nous détermine ? » Jésus vient nous répondre que Dieu nous veut fondamentalement libres. La deuxième question est celle de la vérité. « Comment vivre dans la vérité plutôt que dans l’erreur ? » Par son pardon, Dieu nous délivre de nos erreurs et nous promet qu’il est possible de vivre en vérité. Enfin il y a la question du sens de notre vie. Et là Jésus vient nous dire que nous possédons tous une valeur immense aux yeux de Dieu ce qui fait que nous sommes sur cette terre pour servir Dieu. Or qui aime Dieu est amené à aussi aimer son prochain comme soi-même.
« D’accord, mais comment cette liberté, ce pardon et cette raison d’être nous sont-ils donnés par la mort du Christ en croix ? »

Comment Jésus nous a-t-il libérés, pardonnés, rendus justes ?

C’est que la mort de Jésus n’est pas, en elle-même libératrice, porteuse de pardon ou génératrice de sens. Dieu nous a donné tout cela dans la personne et l’œuvre de Jésus. Il a été un homme libre et nous a appelés à la liberté, par exemple à l’égard de la loi. Il est venu nous dire de la part de Dieu que Celui-ci nous pardonnait une fois pour toutes nos fautes (cf. le père du fils perdu). Il est venu nous dire que le sens de notre vie consistait à vivre au service de Dieu et du prochain.
Or – et c’est ce que le troisième texte entendu tout à l’heure nous a rappelé (Jean 8, 31 -42) – quand on nous dit : « Je vous offre la liberté », nous nous étonnons : « Mais nous sommes des êtres libres et non des esclaves ». Quand on vient nous dire que nos fautes sont gratuitement pardonnées, nous nous scandalisons : « Encore de ces pessimistes qui voient tout en noir ! Nos fautes ne sont pas si grandes que cela ! Et puis les chrétiens ne sont meilleurs que les autres… ». Et quand on vient nous dire : « Je peux donner un sens à vos vies », nous nous disons : « Mais nos vies ne sont pas insensées. Nous ne sommes pas des vauriens ».
Ce scandale grandit encore quand nous comprenons que celui qui nous offre la liberté, le pardon et une raison d’être le fait de la part de l’Absolu. Alors, comme les contemporains de Jésus, nous cherchons à nous défaire de ce fou. Aujourd’hui nous l’enfermerions probablement à vie dans un asile psychiatrique. A l’époque, on ne connaissait que la mise à mort.
Jésus est donc mort parce qu’il nous avait offert de la part de Dieu liberté, sens et pardon. Il n’est pas du tout mort pour apaiser la colère de Dieu, mais bien parce que Dieu avait renoncé à toute colère et avait voulu nous manifester son amour, le don gratuit de sa liberté, de son pardon et de sa justice.
C’est exactement ce que nous nous sommes entendus dire dans les paroles de grâce de tout à l’heure : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné (à Noël, à Vendredi saint, à Pâques) son Fils unique afin que quiconque met en lui sa confiance ne meure pas, mais reçoive en partage la vie éternelle, c’est-à-dire la liberté, le pardon et une pleine valeur indépendamment de ses qualités ou de ses défauts » (cf. Jean 3, 16). Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Sean Bourquin
Musique
Desmond-Bryan et Malcolm-Killian Kraege, violoncelles