"Diriger nos pas dans le chemin de la paix"

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Le psaume de Zacharie qui nous a accompagnés au long de ces dimanches de l'Avent se termine sur la phrase que voici : « (L'astre levant) est apparu à ceux qui se trouvent dans les ténèbres et l'ombre de la mort, afin de guider nos pas sur la route de la paix (Lc 1,79).» L'attente par Zacharie de cet astre levant que devait être le Messie met d'abord en évidence les ténèbres dans lesquelles vit l'humanité, ces ténèbres qu'elle ne veut pas accepter comme caractéristique de sa situation.

1. Ténèbres

Et immédiatement remonte en moi une image: celle de cette route, au Sud de Paris, bordée de part et d'autre par de grands arbres. La journée d'été était radieuse. Par intermittence quelques arbres pourtant manquaient de feuilles, ce qui créait des zones de grand éblouissement. Une fois aveuglé par la luminosité estivale, la pénombre paraissait soudainement d'un noir d'encre. Et quand vous aviez à nouveau pénétré sous ce tunnel végétal, vos yeux s'accoutumaient et vous pouviez vous y retrouver jusqu'au prochain éblouissement. Ainsi une grande lumière met-elle en évidence la noirceur de nos ténèbres.
Une autre analogie existe avec notre texte. C'est celle générée par cette période où les jours sont bien courts et plus encore par ce 21 décembre encadré par les nuits les plus longues de l'année. Nous sommes ces temps-ci de ceux qui se trouvent dans les ténèbres. Or une partie de l'humanité qui a besoin de se divertir de cette obscurité met tout en œuvre pour atténuer cette pénombre naturelle. On fait la fête à n'importe quel prix et ainsi croit-on pouvoir se distraire des jours sombres qui rappellent trop toutes les autres obscurités de nos vies. Le contraste entre ces folles réjouissances et les difficultés, les solitudes, les amertumes que certains connaissent ces temps-ci ne peuvent que renforcer les noires perspectives chez ceux qu'habitent ces sentiments.

Mais sachons bien que ces déprimantes lumières de la ville ne sont encore rien par rapport à l'éblouissante lumière de Celui que les Ecritures appellent «l'astre levant». Sa lumière fait paraître tous nos efforts pour oublier nos obscurités aussi obscurs que ce que nous essayons d'esquiver. Elle met le doigt sur la profondeur de nos ténèbres. Elle nous révèle que ceux qui ressentent avec peine le poids de leur misère en ce jour, qui est le plus court de l'année, sont plus près de la vérité que ceux qui tentent de se divertir des misères de ce monde au moyen de chansonnettes doucereuses, de kilo, méga et gigawatts transformés en photons, de cadeaux qui trop souvent se révèleront inutiles une fois l'artificielle euphorie des festivités éteinte.
La lumière de Noël, c'est ainsi d'abord l'occasion - Zacharie l'avait remarqué et nous le fait une fois encore découvrir aujourd'hui - l'occasion de remettre le nez sur toutes nos obscurités. Mais Noël, c'est autre chose aussi - nous y viendrons guidés par Zacharie. Il importe, cependant, d'insister en ouverture de cette méditation sur ce que la prodigieuse lumière de Noël met de ténèbres en évidence. Si je le fais, ce n'est pas par plaisir de nous peser sur la tête et de critiquer notre société, mais parce le Benedictus insiste particulièrement sur ces obscurités. Et s'il y insiste, c'est pour mieux nous permettre de goûter à la libération que nous apporte la venue de Dieu parmi nous, Emmanuel. Ces obscurités, il les qualifie non seulement de «ténèbres», mais encore d'«ombre de la mort». (L'astre levant) est apparu à ceux qui se trouvent dans les ténèbres et l'ombre de la mort.

2. L'ombre de la mort

La mort porte, en effet, son ombre sur tout ce que nous sommes. Elle est naturellement présente non seulement au terme de notre vie, mais déjà en tout ce que nous rencontrons de négatif sur nos routes. Oui, tout meurt dans notre univers : les unicellulaires comme les étoiles. Et il n'y a pas de vie sans mort. La vie est un constant conflit avec la mort qui la nie, mais qui lui permet aussi d'être. Sans la mort, la vie n'aurait rien contre quoi exister. Elle ne serait tout simplement pas. Mais si elle est si naturelle, pourquoi donc la mort nous est-elle pesante ? Pourquoi ne la ressentons-nous pas comme quelque chose qui va de soi et même, en un sens, comme quelque chose de positif ? Pourquoi est-elle associée, par Zacharie déjà, aux ténèbres, à quelque chose d'ombreux ?
C'est que nous sommes terriblement attachés à ce que nous connaissons. Or nous croyons connaître la vie. Par contre, la mort nous angoisse parce que nous ne savons pas ce qu'elle nous réserve et que donc nous n'avons pas prise sur elle. Ce qui est ténébreux dans la mort, ce n'est rien d'autre que l'angoisse créée en nous par l'apparente négation de tout ce que nous sommes, par l'inconnu, le non-maîtrisable. Cette mort-là on peut la qualifier de mort spirituelle. «Spirituelle», car elle est fondamentalement définie par une absence de relation ou une mauvaise relation à Celui qui est Esprit et que nous nommons Dieu. Par opposition, la vie spirituelle consiste à vivre en confiance avec ce Dieu qui nous promet qu'il est maître de toutes choses, y compris de la mort. Alors - et alors seulement - la mort naturelle peut être reçue comme quelque chose de normal et à ce titre d'acceptable.
Mais encore faut-il être capable de cette vie spirituelle. Or tout nous dit - nos ténèbres enfin regardées en face, nos angoisses, l'ombre de la mort - que nous en sommes incapables. Il faut donc que l'astre levant, la lumière de Dieu vienne - comme dit Zacharie - nous «visiter», qu'elle nous «apparaisse». Notre conviction fondamentale de chrétiens, c'est que cela a eu lieu une fois pour toutes lors du premier Noël. Et si la lumière est venue nous visiter, c'était pour «guider nos pas sur la route de la paix».

3. Pour guider nos pas

Cette lumière doit d'abord nous guider. Nous avons besoin d'être guidés car la route de la vie reste obscure, pleine d'obstacles. Non ! la venue du Messie n'a pas aplani toutes les routes, effacé les collines comme on l'attendait dans l'Ancien Testament (Es 40). Là se trouve du reste la cause principale du scandale juif à l'égard de la foi chrétienne. Celui que nous reconnaissons comme le Messie ne saurait l'être aux yeux des adeptes du judaïsme parce qu'il ne correspond pas à l'image qu'ils se font du Messie. A preuve en particulier que les sentiers de montagne de la vie restent des sentiers et ne sont pas devenus par quelque miracle des autoroutes dès lors que Jésus est apparu. Notre lecture de la venue de Jésus consiste à affirmer, avec le juif Zacharie, qu'il nous faut toujours quelqu'un pour guider nos pas, car la mort, le mal, les angoisses sont toujours des réalités pénibles, insupportables, révoltantes. Notre certitude, c'est alors que celui qui seul peut nous guider, c'est ce Jésus en qui Dieu a manifesté sa lumière. Ce n'est pas, en d'autres termes, parce que Noël a eu lieu qu'on ne va pas passer à travers la mort, qu'il n'y aura plus de jours sombres, que toutes les embûches auront disparu. Mais, parce que Noël a eu lieu, nous avons un guide pour nous mener, malgré les embûches, «sur la route de la paix».

4. Sur la route de la paix

Ici nous pensons, comme de bien entendu, à la paix chantée par les anges de Noël : «Car Dieu nous dit: «Paix ici-bas, bienveillance envers tous les hommes !» Pour nous aussi, tels que nous sommes… Nous pensons également aux messages de paix, aux appels à la paix lancés chaque année le 25 décembre ou à l'occasion du 1er janvier. Or ces messages de paix, ces appels à la paix, il faut, au moins une fois chaque année, les répéter depuis 20 siècles ! C'est dire qu'il n'y a pas moins de guerres aujourd'hui que lorsque César se battait contre les Helvètes et les Gaulois ou que lorsque Antoine et Octave en décousaient pour le nez de Cléopâtre. Est-ce à dire que ce guide sur le chemin de la paix représente une belle illusion, un grand guignol ?
Toutes les sagesses, philosophies, psychologies, religions du monde répondront : «Non ! Il faut seulement cesser d'appeler les humains à vivre en paix les uns avec les autres, de leur faire la morale et de leur proposer de mettre en pratique quelque chose dont ils sont incapables !». De concert ils nous affirment que la paix ne pourra pas exister entre les individus, entre les clans, entre les nations aussi longtemps que les hommes ne seront pas en paix avec eux-mêmes. Alors on se met à faire de beaux, de louables et grands efforts pour tenter d'obtenir cette paix intérieure. Mais ces efforts se révèlent malheureusement vains eux aussi. La paix, nous ne pouvons, en effet, la créer en nous. Elle n'est pas à conquérir au terme d'une longue route. Il faut qu'elle nous soit donnée si nous voulons vivre paisiblement malgré les embûches du chemin. Et ici encore retentit le message de Noël perçu par Zacharie dès avant le jour de Noël : l'astre levant doit venir «d'en haut», d'«ailleurs» pour nous guider sur la route de la paix.

Loin de nous proposer comme les autres religions, un chemin pour vivre en paix avec Dieu de sorte que l'on puisse être bien avec soi-même et ainsi commencer à entretenir de bonnes relations avec notre prochain, le christianisme nous dit qu'il n'est pas non plus en notre pouvoir de vivre en paix avec Dieu. Nous ne pouvons nous réconcilier avec Lui, il faut que nous soyons réconciliés avec le Seigneur de nos vies. C'est pour cela que l'astre levant a dû faire irruption dans notre monde de ténèbres. Et dès lors que nous recevons cette offre de paix gratuitement faite avec Dieu, nous pourrons commencer à vraiment être en paix au plus intime de ce que nous sommes. Délivrés de nos angoisses, nous pourrons accepter la distance naturelle entre le créateur et ses créatures, nous pourrons nous accepter mortels et Lui Eternel; et nous pourrons aussi envisager de vivre en paix avec notre entourage, envisager de devenir des messagers de paix dans ce monde si agité, ombreux et ténébreux.

En ce temps de l'Avent, de l'attente, nous avons été conduits par Zacharie sur le seuil de l'étable. Nous voici avides de vraie lumière pour éclairer notre route. Nous savons que cette lumière est à la fois le phare éblouissant qui met en relief nos obscurités et la lumière paisible et apaisante qui nous permet de concevoir une vie autre. Dès lors revenez ici à Pully-Chamblandes ou ailleurs dans quatre jours, branchez à nouveau votre poste récepteur pour continuer d'être éclairés sur cette route de la paix. Chaque dimanche obscur ou lumineux, chaque jour que Dieu nous permet de vivre malgré le mal dans sa merveilleuse création, il faut que (l'astre levant) vienne visiter et revisiter ceux qui se trouvent dans les ténèbres et l'ombre de la mort, afin de guider leurs pas sur la route de la paix. Il lui faut venir NOUS visiter, nous qui sommes dans les ténèbres et l'ombre de la mort afin de guider nos pas sur la route de Sa paix.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Sean Bourquin
Musique
et Christine Dupuis (violoncelle)