Avoir un coin du ciel de Dieu en soi !

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Heureux ceux qui sont doux, car ils recevront la terre que Dieu a promise en partage !
Heureux les doux… ! Nous recevons, Frères et Sœurs, ce début de la 2ème béatitude comme une petite chiquenaude, un petit rien qui nous touche et qui nous est adressé, une chiquenaude pour ne pas dire plus.
Heureux les doux…
De quoi, pour le moins, se regarder une fois au moins, dans le miroir et oser se poser la question, yeux dans les yeux, devant le miroir : toi qui me regardes, est-ce que tu es doux ? Et si tu es doux, si tu te reconnais doux, au moins un peu, de quelle douceur es-tu ? De la douceur d’une bonne vieille sucette qu’on achète partout et qui colle aux dents et aux mains des enfants ?
Es-tu de la douceur du chocolat qui fond entre tes mains et qui fait parfois grossir ?
Es-tu de la douceur de l’abricot doré, bien mûri par le soleil et qui parfume et la main qui le saisit et la bouche qui s’en délecte ?
Es-tu de la douceur du miel de ces infatigables travailleuses que sont les abeilles ? Sans devenir par trop mielleux toi-même ?
Es-tu de la douceur suave et si fausse de celui qui parle pour amadouer parce qu’il veut vendre ou placer quelque chose qui ne sert à rien et qui ne vaut pas grand chose ?
Es-tu de la douceur du loup qui montre patte blanche avant de ravager la bergerie ?

Questions difficiles quand, à force de se regarder dans le miroir, yeux dans les yeux, on finit par devoir s’avouer à soi-même qu’on est de toutes ces douceurs-là ! Il faut donc se résoudre à reconnaître que cette douceur « heureux les doux… » dont parle Jésus ne fait pas vraiment partie du petit catalogue de douceurs que je viens d’énumérer. Il faut donc chercher ailleurs ou plus loin assurément.
Essayons de jeter un très simple regard sur le monde qui nous entoure. Essayons de jeter un regard sans prétention aucune sur ce monde dans lequel nous vivons aujourd’hui ! On ne peut qu’admettre qu’il est fait en grande partie d’agressivité, d’arnaque, de violence, de malhonnêteté, qu’il est fait d’entourloupes, de méfiance, d’irrespect, d’injustice.
Il est fait – ce monde qui nous entoure – de la raison du plus fort, de la raison du plus malin, de la raison de celui qui joue des coudes, qui marche sur les pieds des autres pour avancer et passer devant et qui prend du plaisir à abaisser, rabaisser celles et ceux qui sont en travers de la route qu’il veut s’ouvrir. La politique, l’économie, le sport même nous en a donné, chaque jour de cette semaine, de malheureux exemples, malheureux pour ne pas dire plus et pour en rester là !

Cette douceur dont parle Jésus, ne fait-elle donc pas partie de la nature humaine ? Bien sûr que si ! Elle fait, c’est sûr, partie de l’humanité, mais elle fait avant tout partie de l’humanité souffrante, de l’humanité laissée pour compte, bien plus que de l’humanité triomphante, c’est tout.
Heureux les doux… ! C’est heureux ceux qui ne réagissent pas devant l’injustice qui leur est faite. C’est heureux ceux qui ne répondent pas à l’agression par une autre agression, verbale ou physique. C’est heureux ceux qui restent calmes face aux mots ou aux propos violents, racistes. ceux qui restent calmes face aux paroles d’exclusion qu’on leur assène. Ceux qui, quand on les frappe sur une joue tendent l’autre joue ! Ceux qui refusent de mettre de l’huile sur le feu et s’en vont chercher une couverture pour éteindre le feu des mots, le feu des regards de mépris, le feu de la violence et du mépris.
J’ai pourtant bien conscience que ce n’est pas facile de mettre son poing dans la poche, pas facile, douloureux intérieurement et terriblement frustrant, mais je crois que pour en arriver là, il faut être habité par un coin de Dieu.

Avoir un coin du ciel de Dieu en soi. Avoir un coin de Dieu en soi c’est s’être ouvert, s’ouvrir au message de l’Evangile. C’est s’être ouvert, s’ouvrir aux mots de Dieu, aux paroles du Christ. C’est s’être ouvert, s’ouvrir à l’Esprit de Dieu qui vient donner les forces d’amour contre les forces du Mal, les forces de destructions, les forces de la raison du plus fort.
Par nature, parce que nous vivons dans ce monde tel qu’il est, et tant qu’on dira qu’il faut se battre pour exister, ce sera bien difficile de manifester de cette douceur dont nous parle Jésus. C’est vrai qu’il faut de la force intérieure, de la force du cœur, de la force qui vient de l’ailleurs de l’Evangile, de la foi au Dieu de paix que nous révèlent les Evangiles pour résolument mettre de la douceur face à toutes les agressivités dont nous sommes, trop souvent, les victimes.
Douceur, douceur, pas facile, c’est sûr, c’est vrai ! La douceur dont nous parle Jésus n’est pourtant pas de l’affadie, ce n’est pas plier les genoux à terre en signe de soumission, ce n’est pas non plus se résoudre à accepter tous les coups et devenir des victimes et croire que c’est ce que le Christ attend de nous, non !

La douceur c’est d’opposer aux coups reçus, aux rabaissements, à la violence, à l’agressivité, une attitude qui vient de la paix que Dieu nous donne, la paix de Dieu en nous, la paix de Dieu pour répondre à la guerre, la paix de Dieu comme réponse à toutes formes d’injustices, pour répondre à toutes formes de mépris, pour répondre à toutes formes d’abaissement.
Et c’est bien dans cette attitude-là que l’homme, touché par Dieu, par le Christ, vit et dit sa foi. La consommation de sucre est passée chez nous, par année, de 600 grammes dans les années 1700 à 35 kilos dans les années 90 et même à plus de 50 kilos dans les pays anglo-saxons.
Ces quelques chiffres pour vous dire, très simplement, que ce n’est pas parce qu’on mange du sucre qu’on devient plus doux. La douceur que Jésus attend de nous, que Dieu attend de nous, c’est une douceur qui vient du cœur et qui ne peut venir que du cœur.
Une douceur qui se dit et se vit. Une douceur qui prend ses racines, qui prend sa force dans les mots de Dieu, dans les mots du Christ, paroles et mots intériorisés et vécus. Il faut que notre cœur et notre tête se nourrissent de ces forces-là. Parce que, au nom de notre foi, nous avons à le dire et à le vivre. Témoignage pour nous, témoignage pour ceux qui croisent notre route, témoignage pour ceux que nous côtoyons, témoignage pour le monde qui nous entoure.

Dans ce temps du Carême qui nous mène à Vendredi Saint, la mort du Christ et surtout à Pâques, la résurrection, essayons, tout en douceur - à savoir petitement mais fermement - de devenir ces heureux dont parle le Christ, ces heureux doux parce qu’ils auront osé, face à l’agressivité et à la violence de la société qui nous entourent, poser des mots et des gestes de paix, de justice, d’amour et de pardon malgré eux et, surtout nous concernant, malgré nous. Et surtout envers et contre nous.
Malgré eux, malgré nous, parce que c’est toi seul, Seigneur, qui peut nous donner cette douceur-là, ces forces-là pour changer ce monde parce que tu nous donnes la terre en partage. En partage avant que nous retrouvions, sereinement, ta terre du ciel.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Sara Gerber
Musique
Jean-Pierre Gerber, basse