Comment donner de soi tout en restant bien avec soi?

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Écouter le culte :

Souvenez-vous !
- Vous avez rendu un service et on ne vous a pas spécialement remercié ;
- Vous avez régulièrement dépanné des voisins, des collègues et quand vous avez vous-mêmes besoin d’être dépannés, vous peinez à trouver quelqu’un de disponible ;
- Vous avez fait preuve de bienveillance envers d’autres par des attentions, des gestes sympathiques et voici que ces mêmes personnes semblent distantes à votre égard ;
- Vous vous êtes liés d’amitié et voici qu’avec ce qui s’est passé vous avez l’impression d’être trahi.

Pas facile à vivre ! Ça peut faire mal ! Et c’est là que l’on se dit au fond de soi : « Avec ce que j’ai fait pour elle, elle pourrait quand même bien me rendre ce service ! Quand je vois tout ce que j’ai fait pour lui et qu’il se permet d’agir ainsi ! J’ai été bien trop gentil, une fois de plus… »
La colère qui monte en soi, la déception et parfois la rancœur !
Et voici que l’Évangile nous dit : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » Pas facile !

J’aime cet évangile qui vient nous déranger, nous bousculer. Jésus choisit douze apôtres afin qu’ils relaient son annonce de la venue du royaume de Dieu. Les signes en sont la guérison de toutes les maladies et infirmités, l’expulsion des démons.
À première lecture, tant la première épître aux Corinthiens que l’évangile de Matthieu soulignent le fait que les apôtres, les disciples ont à apporter un message, à transmettre ce que nous avons reçu, à manifester nos possibilités personnelles de vivre et de témoigner l’Évangile.
Et pourtant, il y a déjà des indices sur lesquels il vaut la peine de s’arrêter. Oui, il y a au sein de l’évangile de Matthieu tout un cheminement. Être disciples ce n’est pas seulement apporter quelque chose, mais c’est aussi se reconnaître devant les autres et devant Dieu avec sa faiblesse et sa fragilité. Ils n’ont rien, ni chemise, ni chaussure. Ils seront rejetés comme le Christ. La suite de l’évangile de Matthieu le confirmera, puisque les disciples et finalement chacun d’entre nous seront identifiés à celui qui s’abaisse pour devenir comme un enfant. « Le plus grand dans le Royaume est celui qui s’abaisse et devient comme un enfant » (Matthieu 18 ; 4). Ainsi, le disciple est celui qui se reconnaît devant les autres et devant Dieu avec ses faiblesses et ses fragilités, mais, assuré - et ce n’est pas rien - de la seule présence de son Seigneur.

Je trouve qu’il y a ici une force incroyable pour chacune de nos vies.

Se reconnaître avec ses faiblesses, ce n’est pas se dévaloriser mais bien porter sur soi un regard de lucidité et d’authenticité. Ainsi, quand nous nous sentons fragilisés parce que nous peinons à accepter parfois que nos gestes, notre bienveillance, notre témoignage n’ont pas trouvé l’écho et l’accueil espérés. Autrement dit, quand nous prenons conscience que nous ne maîtrisons pas tout dans nos relations les uns avec les autres, cette prise de conscience pourrait d’autant plus nous encourager à la reconnaissance. Reconnaître avec reconnaissance ce qui nous est déjà donné dans notre vie de tous les jours, dans nos liens les uns avec les autres. Pourquoi ? Parce que ce qui nous est donné a d’autant plus de valeur puisque cela ne va pas de soi justement. N’est-ce pas ?

Christophe André, psychiatre à l’hôpital parisien de Sainte Anne raconte qu’avec ses patients, fragilisés justement par certains événements de la vie, il a réfléchi avec eux à la gratitude. Chacun a exprimé les raisons possibles d’être reconnaissant : des femmes et des hommes ont parlé de la reconnaissance pour des amitiés, pour la musique, pour le boulanger, le cuisinier, pour nos parents, pour un coucher de soleil. Ils ont finalement constaté que beaucoup de choses que nous vivons nous sont données.

En reconnaissant déjà ce qui nous est donné, nous sortons de la logique de l’efficacité. Si l’on monnaie l’amour en attendant quelque chose en retour, est-ce encore l’amour ? La tendresse, l’arc-en-ciel, l’éclat de rire, le poème… nos existences sont peuplées de ces réalités hors de prix qui nous mettent en joie et en mouvement. Les marchander, c’est les dénaturer. On ne peut que s’y ouvrir avec reconnaissance.

Oui, Seigneur, merci pour la richesse des liens et la joie qu’ils peuvent procurer dans ma vie. Merci parce que lorsque certaines relations révèlent ma fragilité, tu m’invites déjà à laisser s’ouvrir en moi un espace où la vie peut respirer autrement et à me remettre au diapason de la louange, de la reconnaissance.

Quand vous semez une graine d’amour, ne perdez pas de temps à la voir grandir, vous perdriez du temps pour en semer d’autres.
En vivant dans la plainte de ce que nous n’avons pas reçu en retour, nous nous désaccordons, écrit Francine Carrillo. La reconnaissance élève et relie, alors que la plainte sépare. La reconnaissance met debout, alors que la plainte met sur les genoux. Être reconnaissant, ce n’est pas nier les aspérités, les difficultés et les souffrances, mais c’est reculer d’un pas pour mieux s’étonner de ce qui frémit encore de vie et de joie sous l’écorce de chacune de nos journées.

Quand vous semez une graine d’amour, ne perdez pas de temps à la voir grandir, vous perdriez du temps pour en semer d’autres.
Et puis, l’évangile de Matthieu a cette parole interpellante : « Quand ta main droite donne quelque chose à un pauvre, ta main gauche elle-même ne doit pas le savoir » (Matthieu 6 ; 3). Le vrai don est celui dont je ne sais pas forcément le fruit qu’il a donné ou, pour le dire autrement, la confiance que seul Dieu le sait, lui qui voit dans le secret, nous est-il dit.

Quand vous semez une graine d’amour, ne perdez pas de temps à la voir grandir, vous perdriez du temps pour en semer d’autres.
Le printemps approche, nous verrons peu à peu les rougequeues faire leur retour, le milan noir avec sa queue échancrée et puis, un peu plus tard, les hirondelles et martinets.
Ces oiseaux reviennent, année après année, généralement au même endroit, reconstruire leur nid pour y nicher. À vous aussi chers paroissiens, chers auditeurs et auditrices, à chacun d’entre nous de vivre ses propres migrations en revenant, encore et encore à Celui qui nous reçoit avec tout ce qu’il y a de fragile en nous. Et cela, afin de construire et reconstruire avec Lui ce qui pourra donner naissance à nouveau à la reconnaissance.

Vous savez maintenant pourquoi il y a un « i » à chaque jour de la semaine ; lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche. Il y a un « i » pour ne pas oublier, jour après jour, de dire merci.

Amen.

Avec tout ce que j’ai fait pour elle, comment peut-elle me faire cela? Avec tous les services que je lui ai rendus comment peut-il ne pas répondre à ma demande?
Combien de fois attendons-nous quelque chose en retour de nos gestes ou de notre disponibilité? Bien souvent, la conséquence en est la déception, la colère, voire la rancoeur. Comment s’ouvrir aux autres, donner de soi tout en restant bien avec soi? Un chemin est-il possible?

Détails

Avec la participation de
Lucie Schwab
Orgue
Sara Gerber
Musique
Nicole Thomet, accordéon