Vaincre les gardiens de mort à Pâques

image

Le chef a dit : vous irez vous poster devant son tombeau. Et vous monterez la garde. Vous surveillerez les environs. Interdiction de vous éloigner. Je ne veux pas d’histoires, vous entendez, pas de remous. Les esprits sont suffisamment échauffés comme ça. Vous êtes là pour calmer le jeu, pour empêcher tout débordement et pour repousser quiconque s’approcherait du tombeau. Allez, rompez, a dit le chef.
Et me voilà, avec d’autres compagnons soldats, posté devant ce tombeau. Au milieu de la nuit. Heureusement, la lune est pleine et on y voit comme le jour.
On dit qu’il n’y a pas de sot métier, mais tout de même… Monter la garde devant un tombeau ! A quoi ça peut bien servir ? De quoi est-ce qu’on a peur ? J’ai vérifié : la pierre a été posée et scellée avec soin. Toutes les fissures ont été colmatées. Sécurité maximale.
Mais je ne suis pas ici pour discuter les ordres. Et puis, finalement, monter la garde devant un tombeau… c’est pas très dangereux… il y a des missions plus périlleuses…

Frères et sœurs, l’événement de Pâques a surgi dans un cimetière, au nez et à la barbe des gardiens de mort. Ce Jésus qu’on a crucifié, ce Jésus dont on a cru pouvoir se débarrasser, il continue d'être embarrassant. On a pensé qu’il suffirait de verrouiller son tombeau et qu’il suffirait d’y poster des soldats. Des gardiens de mort. Quelle étrange mission que celle de ces nouveaux serviteurs de l'État et de la Religion : ils doivent veiller à ce que rien ne bouge. A ce que rien ne se passe. Ils doivent s'assurer que la mort est souveraine dans l'obscurité des tombeaux. Ils sont là, debout, comme à la parade, pour que la mort continue de régner et les humains de se prosterner devant son pouvoir. Surtout que rien ne bouge…

J’entends un autre gardien de tombeau qui murmure en moi : "Je n’aime pas que ça bouge tout le temps autour de moi. J’ai besoin de m’accrocher à ce que je connais, à ce qui m’entoure, à ce que je comprends. J’ai besoin de stabilité et de sécurité. Pourquoi je changerais mes habitudes ? Elles me rassurent, elles balisent mon chemin. Faut-il être une girouette qui tourne à tous les vents ? Ou un de ces fétus de paille emportés au premier souffle ? J’ai ma façon de voir, et je la garde. J’ai mes habitudes, et j’y tiens. J’ai ma façon d’être, de faire, de vivre, et elle me convient."
Bon, pour être honnête, j’avoue qu’il y a en moi quelques zones grises. Quelques attentes insatisfaites. Je ne trouve pas ma vie toujours très passionnante. J’apprécie certes la routine, mais en même temps elle me pèse. Je n’aime pas être dérangé, mais en même temps je m’ennuie. J’attends de ma vie davantage que ce « toujours la même chose » qui finit par être lassant. Mes relations avec mes voisins de palier ou mes collègues de travail sont distantes et je ne fais rien pour les rendre plus conviviales. Il y a des problèmes dans ma vie de couple, et je ne suis pas capable d’en parler franchement et ouvertement. Je ne suis pas très satisfait non plus de mes relations avec mes enfant et avec mes vieux parents. Et je ne vous parle pas de tout ce qui va de travers dans notre société, de toutes ces contraintes qui me pèsent et me gênent comme un habit trop étroit. Je me demande si je suis vraiment vivant, et si je n’ai pas baissé trop facilement les bras. Est-ce que finalement j’aurais peur ? Peur de la vie, peur de l’avenir, peur d’aller mieux, peur de vivre autrement ?

Frères et sœurs, nous obéissons à la voix des gardiens de tombeau quand nous estimons qu’il est inutile de souffler sur les braises fatiguées de notre amour, et que nous le laissons s’éteindre plutôt que relancer notre joie de vivre. Nous obéissons à la voix des gardiens de mort, quand nous regardons notre vie, les autres, le monde, avec des yeux vides et un cœur sec.
L’événement de Pâques, l’inouï de Pâques, a mis en déroute les gardiens de mort. Pâques est une immense surprise pour celles et ceux qui n'attendent plus rien. Soudain, du neuf a surgi. Imprévisible et saisissant, comme quand l'avenir vient déranger la routine du présent. Soudain, la vie, ma vie, redevient intéressante, palpitante. Un amour plus fort que la mort a fait basculer et rouler la pierre. Dieu refuse que l'amour se glace dans le froid des tombeaux. Dieu a un projet d’avenir pour ses enfants. Rien ni personne ne peut contrer la nouveauté de Dieu. Rien ni personne ne peut empêcher Dieu d’ouvrir les portes de l'espérance. Rien ni personne ne peut le détourner de son projet de ressusciter l'amour en nous et entre nous.
Le texte raconte – avec beaucoup d’ironie ! – qu’au cœur de la nuit, de cette nuit où rien ne devait se passer, la terre a tremblé et la peur a paralysé les gardiens de mort. Leurs visages ont pris la couleur de la pierre, ils sont « devenus comme morts ». Un ange de lumière s’est assis sur la pierre roulée qui avait pourtant été si soigneusement scellée. Les gardiens de tombeaux sont mis devant l’échec de leur mission qui était d’ailleurs une mission impossible. Ils sont appelés – et nous avec eux – à accueillir et à servir désormais la vie de Dieu. Cette vie de Dieu qui nous relance dans la vie.

Nous avons chanté tout à l’heure : « La mort a cru le prendre, elle a dû le rendre. » (P&C N° 303) Ce n’est plus au cimetière, ni dans la pierre froide, qu’il faut chercher l’envoyé de Dieu rejeté par les hommes.
En ce premier matin de Pâques, deux femmes ont été confrontées à un événement absolument inattendu. Elles venaient visiter un tombeau, et voilà qu’en dépit des gardiens de mort, elles rencontrent l’espérance en personne qui leur annonce que la vie ne s’arrête pas devant la mort, que la vie ne s’épuise pas dans les rituels funèbres, que la vie n’est pas prisonnière d’un périmètre de cimetière. « Soyez sans crainte, leur dit le messager de lumière, je sais que vous cherchez Jésus le crucifié. Il n’est pas ici ». Les femmes venaient visiter une tombe, elles repartent avec une mission de vie. Le ressuscité lui-même les institue premiers témoins de l’événement. « Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée ; c’est là qu’ils me verront. »
Le Christ vivant n’a pas considéré comme un problème ecclésiastique de confier à des femmes la primeur de l’Evangile et de les choisir comme apôtres des apôtres. Elles sont chargées d’aller dire aux disciples de se rendre en Galilée, là où tout a commencé. C’est là qu’ils pourront tout recommencer, accompagnés par celui qui leur a promis sa présence et son soutien tous les jours, jusqu’à la fin des temps. Leur quotidien aura désormais avec lui la saveur de la confiance, de l’espérance et de l’amour.
La Bonne Nouvelle de Pâques est en marche dans les replis du monde et dans le secret de nos vies, mais elle n’est aucunement une invitation à fuir ce monde pour cultiver une spiritualité déconnectée de toute réalité. La fin de notre texte le dit bien : l’aube de Pâques s’est levée sur ce monde, mais nous n’en avons pas fini pour autant avec les gardiens de mort.

A Jérusalem, les chefs des prêtres et les soldats sont loin d’avoir rendu les armes. Ils n’ont pas pu empêcher l’irruption de l’événement de Pâques, alors ils vont tenter d’étouffer le message de la résurrection, de le discréditer, de le dénaturer en mensonge : « Vous direz ceci : ses disciples sont venus de nuit et l’ont dérobé pendant que nous dormions ». Quand Pâques devient mensonge, ça ne réveille et ça ne relève plus personne ! C’est une nouvelle tentative d’anéantir le crucifié !
L’Evangile de Pâques ouvre un dialogue difficile entre deux figures qui habitent notre vie spirituelle : la figure du disciple qui a rencontré en Jésus-Christ le Dieu vivant et la figure du gardien de mort qui cherche à étouffer la vie nouvelle. Ces deux figures se disputent continuellement en nous. Le disciple en nous est touché et mis en mouvement par la Bonne Nouvelle de Pâques, et immédiatement le gardien de mort insuffle le doute et parle de mensonge et d’illusion. Nous accueillons dans la foi la promesse d’un monde libéré des forces qui blessent la vie et toutes sortes de pesanteurs continuent de nous paralyser. L’élan de Pâques nous offre et nous ouvre des possibilités nouvelles, et notre gardien de tombeau intérieur nous souffle qu’il n’y a jamais « rien de nouveau sous le soleil » – parole elle aussi biblique ! Qui l’emporte, qui l’emportera en nous, du disciple de Jésus ou du gardien de mort ?
La Bonne Nouvelle de Pâques affirme que l’amour du Christ est une force de vie contre laquelle la mort elle-même est impuissante. Dieu a relevé son Envoyé crucifié. Il a légitimé sa mission. La pierre du fatalisme et de la résignation a été roulée. La vérité de Dieu a vaincu les mensonges des gardiens de mort. Le Dieu vivant est toujours en train de déjouer leurs plans. Il continue de les déjouer chaque fois que l’amour du Christ s’empare de nous, stimule nos engagements, nous mobilise pour servir et rénover ce monde, et nous entraîne dans l’avenir de Dieu. Il arrive alors que, confrontés à cet élan de vie, les gardiens de mort n’arrivent plus à suivre.

Amen !