Un grand festin

Eglise d'Ecublens (©AUJ)

Écouter le culte :

Nous voilà à table. C’est, je crois, une réalité que nous connaissons tous – que, sans doute, nous apprécions aussi. 

Et nous voilà à table, invité par Lévi, cet homme que Jésus vient de rencontrer et qu’il invite à le suivre. Curieusement, c’est le contraire qui se passe. Et Jésus se retrouve au milieu d’une bande de convives qui devaient être à la fête. Ben oui, quand on nous invite à un banquet, y pas de raison de faire la tête. On y va ! D’autant plus que, selon le récit biblique, il s’agit d’un festin et que la foule est nombreuse. Alors allons-y !

Nous voilà donc conviés à ce moment de convivialité. Un moment de convivialité dans lequel, Jésus, je dirais, vient placer, son grain de sel. Et de par sa présence, il nous invite à faire de ce moment, non seulement un instant de joie, mais aussi à lui donner du sens.

Comment arriver, les uns, les autres, à ce que des moments quotidiens, répétitifs, comme les repas que nous prenons, deviennent chaque fois des moments de fête ? Et pourquoi pas le dire, des moments importants, essentiels ?  Et oserais-je le mot :  des moments sacrés ?

Nos repas, qu’ils soient de fête, de communauté paroissiale ou autres, d’associations diverses, de famille, sont, me semble-t-il, de bons moments. Ou voudraient l‘être. Au-delà du manger et du boire, certes de qualité, souvent se distille un message qui me touche, qui me saisit.

Manger, ce n’est pas seulement engloutir des quantités de bons aliments, c’est profiter de cet instant avec mes proches. C’est échanger un regard. Parfois nos mains se frôlent : « passe-moi le sel ». Et tout au long du repas, ensemble, on discute. On parle de tout et de rien, de choses et d’autres, mais ce partage va au-delà de simples réflexions. Je me rassasie et en même temps je me construis. C’est dû à quoi ?

Parce qu’autour de cette table, je perçois une fraternité. Une vraie fraternité. Comme celle vécue authentiquement dans bien des cercles de notre existence. Peut-être que vous-même, vous faites partie d’une association de sport, d’un club du quartier, d’un groupe de chant... Comme le proclamait la chanson de Michel Fugain « qui s’assemble se ressemble ».

Pour moi, qui suis aussi aumônier des vétérans de la gym vaudoise, je mesure à chaque rencontre la solidarité qui existe. Et pas seulement dans les mots. Cela met en évidence, pour moi, l’importance du caractère communautaire. « Un pour tous et tous pour un », diraient les mousquetaires !

On voudrait que ces moments soient joyeux, sereins. Mais parfois ils sont sources de conflits, de tensions, de rejets. Rien qu’à se souvenir, en tant que parent, l’ambiance pas toujours très chaleureuse autour de la table. Souvent, en tant que père de famille, j’en profitais pour annoncer telle ou telle décision, telle ou telle sanction. Et le plaisir de la table n’en était plus un. Pourquoi d’ailleurs les mots « proche » et « reproche » sont-ils si ressemblants ?

D’où cette question : Qu’est-ce que je transmets aux autres en mangeant : du fade, de l’acide, des regrets, des remords ou, est ce que, comme un chant de gospel, je suis capable de chanter, malgré les coups durs de l’existence, et de danser sous la pluie ?

Dans le récit qui conduit notre réflexion, arrivent ces amuse-gueule (le mot est terrible !), voilà ces trouble-fête (autre mot terrible), ces maîtres de la Loi. Eux savent, moi j’essaie, j’expérimente, je tâtonne. Eux jugent. Lui, Jésus, justifie. Ce n’est pas la même chose.

J’aime que ce Jésus vienne bouleverser l’ordre. L’ordre des choses. L’ordre établi par ces messieurs de la Loi religieuse (dont je suis parfois ou toujours ?), par ces faiseurs de contraintes et d’obligations. Jésus vient me libérer des carcans qui m’asservissent. D’une certaine façon, il se compromet. Il se compromet avec ceux et celles dont la vie n’est pas un conte de sagesse. Il se compromet avec moi.

Jésus est là, assis, invité. Et au-delà de sa présence amicale, attentive, je perçois aussi son indignation. Certains murmurent, critiquent à voix basse. Lui, dit haut et fort ce qui ne va pas : « Les bien portants n’ont pas besoin de médecin. Ce sont ceux qui ont mal, qui ont du mal... ». Mal à vivre, mal de vivre, mal dans leur peau, mal de l’anxiété qui les ronge, des personnes qui ont besoin que l’on s’occupe d’elles. Peut-être que j’en fais partie ?

Et l’indignation manifestée devient aussi la mienne, presque une revendication :  dans cette foule rassemblée, pourquoi est-ce que je suis du mauvais côté de la barrière ? Parce que c’est comme ça ? Parce que c’est dit une fois pour toute ? Par qui ? Qui a décidé du barème, du critère ? Je suis un péager, et alors ? On me traite de pécheur ? Qui ? Et puis, j’ai pas le droit de vivre ?

Je dois avouer que j’aime savourer, saliver, apprécier. Bien souvent la vie ne m’en laisse pas vraiment l’occasion. Et avec ce que l’on me propose, j’ai dans la bouche, comment dire, une soif de saveurs qui s’exprime, un goût de reviens-y qui se manifeste. Alors d’accord, cette bonne nourriture qui est servie à profusion, j’ai l’impression d’être sous perfusion de bonnes choses ?

Je parlais de grain de sel. Oui je crois que ce Fils de Dieu relève ma vie et lui donne un goût d’existence. « Vous êtes le sel de la terre », ira-t-il dire. Vous, nous : « vous êtes », non vous deviendrez. Mais oui, ensemble, nous le sommes. Est-ce que ma vie, mes envies, mes projets, sont construites sur cette réalité ?

Oh, bien souvent, ma vie, et ma vie de croyant, c’est plutôt du grain à moudre. Les choses sont de plus en plus complexes. Des fois, j’y comprends plus rien ! Et chaque situation doit être examinée, réfléchie. Ça me perturbe.

Et pourtant, Jésus vient placer dans mon existence une sorte de grain de beauté ; lui dire qu’elle vaut le coup !

Ou plutôt, il vient y placer un grain de folie. Cette folie dont l’apôtre Paul parle dans sa lettre à ses amis de Corinthe (1 Cor 1, 18) : « La prédication de la mort du Christ sur une croix est une folie aux yeux de ceux qui se perdent. Mais pour nous qui sommes sauvés, elle est la puissance même de Dieu. »

Je le sais bien, chaque goût de base est un message. Entre ce qui est doux et sucré, parfois trop mielleux, l’acidité de certaines remarques, les regrets qui peuvent m’habiter, semblables à de l’amertume – entre tout ça, j’aimerais développer ce qui donne du goût à la vie. Ce qui lui donne du sens. Quitte à passer pour un fou. N’est-ce pas le goût de vivre qui est le plus important pour moi ? Et ce goût, est ce forcément dans la nourriture et la boisson que je le retrouve ?

Dans le projet du café du marché à Payerne que j’ai eu le plaisir de conduire pendant plusieurs années (je salue tous ces anciens clients qui me rappellent ces belles années !), souvent ces mêmes clients me demandaient : « Vous cuisinez ? ». Et avec un brin de malice je répondais : « Non, moi je goûte ! ».

Jésus, c’est lui le médecin, selon ce qu’il dit. En a-t-il les qualifications, les diplômes ? Médecin, est ce qu’il viendrait m’ausculter ? Ausculter ma vie ? Mais de quoi je me mêle ! Je me méfie de tous ces charlatans. En fait-il partie ?

Bizarrement, j’ai confiance en lui. Mais mes réticences, mes questions demeurent : Est-ce lui qui donne des couleurs à mon existence ? Est-ce lui qui donne des teintes qui peuvent la rendre attrayante et belle ? Je dis belle, mais est-ce que je ne devrais pas plutôt dire, apaisée, guérie (ou plutôt, en voie de guérison) ?

Et d’ailleurs, suis-je malade ? Malade de quoi, de qui ? Est-ce qu’on peut diagnostiquer un mal rien qu’en regardant la personne et en l’écoutant derrière un bureau ou derrière un écran ? J’ai du mal à le croire.

Jésus, médecin, partage un repas. Il ne joue pas au docteur. Il l’est ! Et il lance comme une invitation à le suivre et en même temps, à l’accueillir. Avec lui, je sors de ma zone de confort, de ma zone de connaissances. Le vertige me prend. Le vertige de ce qu’il donne à ma vie. J’étais venu grappiller quelques miettes et me voilà rassasié de vie. Plénitude.

Et ce n’est pas seulement mon estomac qui dit « j’ai du plaisir ».  C’est plutôt mon cœur, mon âme. Ce Jésus vient, non seulement mettre du baume à mon âme, mais il vient lui révéler sa grandeur, sa valeur. Il me dit qui je suis en vérité. Voilà ce qu’il me transmet par sa présence, son regard. Sa Parole.

En sa présence je me sens « tout chose ». Alors j’aimerais l’exprimer simplement : parfois je suis, moi, comme ces maitres de la Loi. Je dicte. Je classe. Je dis ce qui est bon et ce qu’il ne l’est pas. Moi aussi je murmure, je critique, je juge. 

Ma demande : que la force de son amour vienne détruire les fruits du mal qui sont en moi. Que sa hauteur de vue, sa hauteur de vie me gagnent et permettent que, comme Lévi, je le suive, et que j’offre ce que j’ai, ce que je suis, pour les autres.

Jésus donne à ce moment tout simple un relent d’éternité. Et voici que reviennent les paroles de ce prophète où il est question d’un festin, de vins fins, de mets succulents. Et dans le même mouvement dans ce texte, il y est dit : « La mort ne sera plus ». Oui en sa présence, à ce Jésus, je le vis, je le crois, la mort ne sera plus.

Même que les larmes seront effacées. Celles qui, un jour, dans ma vie, ont coulées, bien salées sur mes joues : quand je suis frappé par un deuil qui m’anéantit, quand j’apprends la tristesse d’un proche due à son état de santé, quand la souffrance d’un peuple m’écartèle, quand je regarde à la télé les nouvelles tristes et affligeantes du monde… Il y a bien des raisons de pleurer. Mais il y aussi des raisons d’espérer.

D’un simple repas entre potes, Jésus établit un chemin de sens. Du mal, il ne fait pas une barrière, un mur, une impossibilité. Il fait de moi un compagnon. Plus que, selon l’étymologie d’ailleurs, « celui qui partage son pain avec ».

Au-delà du pain ou de la nourriture qui est partagée, avec lui, à mes côtés, je suis un compagnon de route, d’activités, de convictions même. Il fait de moi un compagnon de vie.  « Fais route avec moi », c’est ce qu’il n’arrête pas de marteler.

Et en plus il me respecte, j’ai mon mot à dire ! Son hospitalité est sans conditions. Il y a de l’honneur dans l’air. Je suis accueilli. J’ai une place ! Nous avons une place. Avec lui.

Amen !

Toute l’humanité est invitée au repas du royaume puisque Jésus est celui qui rassemble. Jésus accueille dans sa présence, près de lui (pas seulement à sa table), toute personne. Et pour cela pas besoin de montrer «patte blanche».

Dans les textes bibliques, il existe un lien entre repas et éternité, entre fin de la mort et joie du partage autour de la table, avec des mets raffinés.

Détails

Avec la participation de
Diacre stagiaire, Snjezana Haldi, pour la liturgie, et Cathie Haesslein pour les lectures.
Orgue
Ezko Kikoutchi
Musique
Le choeur Denen's Gospel, sous la direction de Philippe Hugli, Michel Guignard au piano électrique et Alain Dessauges à la contrebasse.