La dignité offerte à tous

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Hier matin, plusieurs dizaines de jeunes catéchumènes, garçons et filles entre 11 et 13 ans ont sillonné les rues de la ville de Moudon pour vendre des fleurs. Ils ont été mobilisés dans le cadre des activités de la campagne oecuménique de Carême autour du thème : « Nous croyons. Tout travail doit respecter la dignité humaine. »
Vendre des fleurs pour la dignité. Des fleurs pour dire un combat, une lutte. Un espoir. « Dites-le avec des fleurs » De simples fleurs, éphémères, fragiles. Mais des roses tout de même ! Plus de 1000 roses qui, dans notre région de la Haute-Broye, ont trouvé acquéreur. Des fleurs contre l’exploitation. Contre l’injustice. N’est-ce pas dérisoire ? « Seule la fragilité de la rose peut exprimer l’éternité. » écrivait le poète Paul Valéry. Alors de qui la fragilité peut-elle exprimer la dignité ?
Peut-être celle de l’être humain, tout simplement. L’être humain : vous, moi. Capables du meilleur et du pire. Fragiles. Dans nos attentes et nos espoirs, dans nos envies et nos tentations, dans nos doutes et nos convictions. Avec dans l’aventure de la vie et de la foi, trois écueils possibles. Autour d’un triumvirat redoutable formé de trois verbes : avoir, pouvoir, vouloir.

Attaquons-nous au premier, avoir :
· « On nous fait croire que le bonheur c’est d’avoir… » chantait Alain Souchon. Oui, comme c’est difficile de résister aux sirènes de la consommation, de ne pas se précipiter sur les dernières nouveautés, sur les gadgets à la mode. La course est lancée ! Mais pire, nous sommes devenus, nous-mêmes, des biens de consommation. Nous, les personnes, sommes devenues des biens ; des choses tout juste bonnes à être utilisées, voire exploitées. Voilà ce qui met à mal la dignité ! Pour exemple : cette entreprise de ce coin de pays qui jette à la rue (à un prix sacrifié, comme on dit !) une centaine de ses collaborateurs – et ces jours-ci, se joue le dernier épisode de ce drame – alors, dans la tête de tout un chacun (et pas seulement des principaux concernés) se pose la question : aujourd’hui, qu’est-ce que je vaux ? Quel regard les autres vont poser sur moi ; et moi, quand je me regarde dans la glace ? Ne suis-je plus digne d’avoir une place, un travail, une reconnaissance ? Quel avenir, pour moi et les miens ?
· Deuxième tentation, pouvoir :
Comment, au jour le jour, se situer entre « la croyance selon laquelle nous pouvons tout faire et celle selon laquelle nous ne pouvons rien faire. » (A. Brink) ? La palette des possibilités est large, immense. Entre un enthousiasme délirant (je peux tout !) et l’inertie la plus crasse, la plus dépressive (je ne peux rien !). Quelle attitude adopter ? Quelle responsabilité endosser ? Sous les coups de boutoir des petits chefs, la dignité s’effrite.
· Et jamais deux sans trois, vouloir :
Vouloir perdre sa vie à la gagner ? Croire que tout est bon à essayer : tout expérimenter, tout réaliser, tout goûter. « Quand je veux, je peux. » nous bassine une certaine philosophie. « Le plaisir est à nous, y’en a pour tous les goûts, le bonheur est partout.» chante Noir Désir. Mais, dans nos trop-pleins, dans l’overdose de nos débordements, le dégoût, voire le rejet nous guettent. Fragilité de nos estomacs, mais plus encore de nos sentiments et de nos dignités. La machine est construite pour tomber en panne. Qui s’occupe alors du service après-vente ?
Trois écueils que nous connaissons bien mais qui peuvent aussi être des tremplins. C’est toute une question de regard. L’Evangile nous parle lui de conversion, de changement d’attitude, à laquelle le Christ nous appelle :
· Avoir : avoir soif et faim de justice, mais aussi de sens, de reconnaissance, de simplicité et de respect ! Tu es digne d’avoir la confiance de Dieu.
· Pouvoir : pouvoir reconnaître nos fautes, nos égarements. « C’est pas moi, c’est ma sœur, » nous dit la chanson. Quand on n’y est pour rien, on n’y est pour personne. Accepter d’être responsable.
Pouvoir prendre sa place dans la construction d’un monde renouvelé, d’une société taillée sur la mesure de Dieu. Quand la justice nous titille, quand la pureté nous interpelle, quand la compassion nous prend. Tu es digne d’être un artisan dans le projet de Dieu.
· Vouloir : comme Artémio, paysan du Pérou dont la vie quotidienne est une succession de recherche de petits emplois pour subsister et faire vivre sa famille : chauffeur de taxi, vendeur de cordes ou de boissons fraîches, déménageur, agent de sécurité, et j’en passe. « C’est tous les jours une nouvelle vie, » dit- il. Et plutôt que de se plaindre ou maudire le sort, il trouve une solution. La misère l’a rendu inventif. Tu es digne de prendre ta place au banquet du royaume de Dieu.
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Dignité, j’écrirai ton nom… Le bonheur est alors à portée de la main. Heureux êtes-vous, nous dit le Christ. Un bonheur certes fragile, incertain. Mais est-ce un mal ? La fragilité n’est pas un handicap, elle est une thérapie, mieux, elle est un faire-valoir. Car elle dit à temps et contretemps la valeur de chaque individu. L’appel à la pauvreté de cœur, au souci des autres, à la bonté et à la douceur, au respect, lancé par le Christ dans les béatitudes, cet appel peut ainsi résonner au plus profond de notre être et de notre identité. Là où nous sommes véritablement image de Dieu !
Voilà notre trésor, notre avoir, notre richesse. Et comme tout trésor, il s’agit de le découvrir, de le sortir de son écrin, de se l’approprier. Pour être à son tour, porteur de paix, de justice, de bienveillance; voilà une dignité qui n’a pas de prix et qui nous rend heureux. Les béatitudes nous révèlent le projet de bonheur selon Dieu. Un projet qui, d’après François Garagnon, nous entraîne alors dans les B-attitudes : le Beau, le Bon et le Bien.
A portée de la main, disais-je ! Car à l’instar des jeunes qui se sont mobilisés hier, notre passage à l’action est nécessaire, attendu, impératif. Il est temps de passer à la pratique. Peut-on dire à l’égard de la dignité : j’y crois mais je ne la pratique pas ? Alors en avant, en marche ! (comme certains commentateurs ont traduit le Heureux du début des béatitudes). En avant, en marche !
Le bonheur souhaité ne tombe pas du ciel, il est le fruit de nos engagements et de nos mobilisations. Faut il le rappeler, l’Evangile n’est pas une brosse à caresser dans le sens du poil. Il est plutôt poil à gratter! Force de contestation, de remise en question, d’interpellation. Cette dignité tant attendue, tant recherchée, sous nos latitudes comme partout dans le monde, est en devenir et elle a besoin de chacun de nous. Pour « quelque chose de nouveau, qui grandit déjà » comme disait Esaïe. (43, 19)

Au culte de l’enfance, avant la prière et les chants, nous partageons un goûter. Moment d’échange, de discussions ouvertes. Moment où les enfants qui le souhaitent peuvent glisser un sou dans la crousille pour un projet que nous soutenons, généralement en faveur d’autres enfants. Et dans le cadre de notre réflexion autour du thème : « béatitudes contre violence », les enfants ont décidé que, cette année, ils doubleraient le montant de leur soutien. En avant !
Doubler l’engagement. Multiplier les actes, les gestes. Les jeunes se sont mobilisés. Les enfants sont mobilisés. Qui est-ce qui manque à l’appel ? Pour que la dignité ne soit pas qu’un mot mais qu’elle se fasse visage. Celui d’hommes, de femmes et d’enfants qui se savent aimés, reconnus, accueillis dans l’amour de Dieu et celui des êtres humains.
C’est aux fruits produits que l’on voit la qualité de l’arbre. Visages d’hommes, de femmes, d’enfants qui accueillent et reflètent la lumière de Dieu. « Celui qui aime Dieu doit aussi aimer son frère, sa sœur, » nous dit l’épître de Jean. Pour être ensemble, dans la paix, accoucheurs d’une humanité renouvelée où Dieu, dans le jour naissant de cette nouvelle humanité, se donne à goûter, à partager, à voir.

Un vieux rabbin demande à ses étudiants à quoi l’on peut reconnaître le moment où la nuit s’achève et où le jour commence.
- Quand on peut sans peine distinguer de loin un chien d’un mouton ?
- Non, dit le rabbin
- Est-ce quand on peut distinguer un dattier d’un figuier ?
- Non, dit encore le rabbin
- Mais alors, quand est-ce donc ?
- C’est lorsque tu regardes le visage de n’importe quel être humain et que tu y reconnais un frère ou une sœur en humanité. Alors le jour commence.

Que ce regard d’accueil et de tendresse nous habite. Regard de reconnaissance sur le chemin parcouru, regard de confiance pour la route qui s’ouvre, regard de dignité sur ceux et celles qui font chemin avec nous.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Sylvain May
Musique
Without cloud, direction Diane Lokia