Quand Dieu s'invite

Eglise d'Ecublens (©AUJ)

Écouter le culte :

Estelle

Si Dieu était ton invité, quel type d’invité serait-il ?

C’est une question que j’ai aussi posée à plusieurs personnes autour de moi et j’ai été étonnée par la diversité des réponses.

Si Dieu était un invité, ce serait : « une personne bienveillante », « quelqu’un qui me secoue », « quelqu’un qui ne me ferait pas trop peur », « un chat errant », « l’invité en retard », « l’invité qui me pose un lapin », « une bonne vieille copine », « l’invité qui te suit partout pour donner un coup de main », « l’invité qui apporte un dessert même si tu lui as dit que tu en as déjà fait un »… Autant de réponses qui correspondent à autant de visions de Dieu !

Cher Patrice, j’ai une question spécialement pour toi qui a travaillé dans la restauration avant d’être pasteur : si Dieu était ton invité, quel type d’invité serait-il ?

 

Patrice

Je te réponds volontiers à partir de l’expérience vécue au café du Marché de Payerne avant 2019, c’est-à-dire en ayant déjà la double formation de pasteur et de cafetier. Pour moi, Dieu est avant tout respectueux. En tant qu’invité, il aurait réservé et dit à quelle heure il pense arriver.

Mais il est aussi celui qui arrive sans crier gare, racontant pourquoi il est en retard, ce qui l’a retenu sur la route et qui demande s’il y a encore une place. Histoire de nous déboussoler et promouvoir un vrai sens de l’accueil.

Quand on est restaurateur on est aux petits soins pour ses clients et on essaye même de devancer leurs envies, parce qu’on les connaît. Ainsi, par exemple, quand arrivait celui que rapidement toute l’équipe appelait Monsieur Poivre, on mettait sur sa table ce qu’il ne manquerait pas d’utiliser. Oui, chacune des personnes présentes a sa particularité, même gustative, sans parler des demandes particulières. Chacun.e est un.e invité.e qu’on essaie de satisfaire.

Alors envisager que Dieu en ferait partie… je trouve cela tout à fait intéressant, voire excitant ! Mettre, comme on dit, les petits plats dans les grands, me semble hautement recommandable, professionnellement parlant.

Mais le pasteur que je suis n’est pas sûr que cet invité apprécierait. Je l’envisage plutôt à la bonne franquette, d’ailleurs du genre anonyme. À la façon de Matthieu 25 où les gens demandent : « Quand t’avons-nous vu affamé ou assoiffé ? » Et la réponse fuse : « Toutes les fois que vous avez fait cela à l’un des plus petits de mes frères. » C’est dans ce sens que, quiconque venait au café demander à manger n’est jamais reparti l’estomac vide. Même en n’ayant aucun sou en poche.

 

Estelle

Si Dieu était ton invité, quel type d’invité serait-il ?

De mon côté, en lisant les textes d’aujourd’hui, j’ai plutôt l’impression que Dieu est un invité qui s’incruste : l’invité à qui l’on n’a rien demandé, mais qui vient quand même et qui s’installe sans te demander ton avis. L’évangile nous dit : « Si quelqu’un m’aime […], nous ferons notre demeure chez lui. » (Jean 14, 23). Non, mais enfin ! C’est quand même un peu gonflé de sa part ! Je n’ai jamais demandé à Dieu de « faire sa demeure » chez moi ! D’abord, il n’a pas prévenu, nous n’avons rien agendé, je n’ai pas eu le temps de lui préparer à manger…

 

Patrice

Oui, peut-être… Bien souvent, Dieu est cet invité-surprise à qui l’on n’a rien demandé. Mais je ne pense justement pas que ce soit le cas du texte d’aujourd’hui. L’évangile nous dit : « Si quelqu’un m’aime […], nous ferons notre demeure chez lui. ».

« Si quelqu’un m’aime », cela veut dire que la porte de son cœur est déjà ouverte, disponible à l’entrée de Dieu. Dieu ne vient donc pas totalement sans permission.

 

Estelle

Oui, mais bon… Même si la porte est ouverte, Jésus exagère. Jésus ne s’installe pas chez nous tout seul, mais en plus, il vient accompagné : le texte dit bien « nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure chez lui. » Ce n’est pas rien, comme visite ! Ce n’est pas la même chose de recevoir une seule personne, un ami, ou d’en recevoir deux-trois, voire d’organiser un repas de famille !

 

Patrice

Dans le fond, pourquoi pas ? Et si, « inviter Dieu », ce n’était pas exactement comme d’organiser un repas de famille ou un banquet entre amis ? La Bible nous encourage toujours à voir en l’autre la présence du Christ.

Et quand on regarde les êtres humains tout autour de nous, tous les tempéraments sont représentés : la personne bienveillante, la personne qui me secoue, la personne en retard, l’invité qui veut absolument donner un coup de main. À mon avis, ils sont tous à l’image de Dieu. Et il n’y en a pas un qui soit porteur de la présence du Christ moins que l’autre.

 

Estelle

OK, ça me va. Ta réponse me paraît tout à fait pertinente, tout à fait conforme à l’amour du prochain décrit dans les évangiles, mais il me reste un problème quand même.

 

Patrice

Ah oui ? Et lequel ?

 

Estelle

Celui de la durée. Les textes bibliques d’aujourd’hui nous répètent plusieurs fois que «Dieu reste», «Dieu demeure». Dans l’épître de Jean, ce n’est pas moins de six fois que le verbe est répété en cinq versets. Or, en grec, le verbe « demeurer » (μένω) signifie aussi : être stable, fixe, sédentaire, rester de pied ferme, tenir bon. En d’autres termes, Dieu ne s’invite pas seulement pour un petit moment, mais il s’installe, il s’accroche ! En général, lorsque j’invite des gens chez moi, c’est plutôt pour une durée déterminée : un repas, une nuit. Mais si la durée devient indéterminée, alors là, c’est un peu plus embêtant.

 

Patrice

Alors reprenons ensemble la première épître de Jean où Il est écrit : « Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour est parfait en nous. » (1 Jean 4, 12).

Dieu demeure donc dans l’amour que tu ressens pour tes proches, pour les personnes qui t’entourent, et l’amour que tu portes en toi n’a pas de durée déterminée. Ce n’est pas uniquement au moment où tu invites la personne chez toi que tu l’aimes. Non, l’amour est déjà présent avant et après son arrivée. Et bien, c’est la même chose pour Dieu : l’amour de Dieu est stable, fixe, voire sédentaire.

 

Estelle

Hmm… Un Dieu stable, fixe, sédentaire, et dont la présence n’a pas de durée déterminée… Tout cela me rappelle un peu le témoignage d’Etty Hillesum, jeune femme juive qui découvre la foi au moment de la Deuxième Guerre mondiale. Dans sa relation à Dieu, elle découvre en elle-même la présence d’un Dieu qui demeure : présent au-delà de toute durée, présent malgré la dureté de la situation, présent même lorsqu’elle ne s’en rend pas compte. Dans son journal, elle écrit : « Il y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits, il y a Dieu. Parfois je parviens à l’atteindre. Mais, plus souvent, des pierres obstruent le puits et Dieu est enseveli. Alors il faut le remettre au jour. »

Dans le fond, peut-être que Dieu est cet invité qui se tient au fond de mon puits intérieur : l’invité présent à l’intérieur de moi-même, mais auquel je ne fais pas toujours attention.

 

Patrice

C’est bien ce que je crois. Dieu est effectivement cet « invité du fond du puits » : un invité qui tient bon au-dedans de nous et qui ne nous laisse pas tomber. Comme l’a écrit Francine Carrillo dans J’aimerais que vivre tu apprennes : « Le Vivant s’invite, le Vivant demande à être nourri, le Vivant, cet essentiel voyageur, appelle notre hospitalité. La réponse nous appartient. Chacun à sa manière. Il n’y a d’Évangile qu’à travers la singularité des visages et la pluralité des chemins. »

Dans l’évangile que nous venons de lire aujourd’hui, Jésus nous promet qu’il ne nous laissera pas « orphelins », qu’il « viendra à nous » (Jean 14, 18). En disant cela, il sait pourtant que la réalité de la croix l’attend, qu’il devra nous quitter physiquement, mais il sait aussi qu’il restera avec nous.

L’amour de Dieu dépasse ainsi le temps et l’espace. Un amour qui se manifeste autrement que ce que j’attends ou autrement de ce dont j’ai l’habitude. Dieu reste lui-même. Il ne correspond pas à une représentation figée. D’ailleurs, c’est peut-être pour ça que nous avons du mal avec lui. Dans les récits bibliques qui précèdent la Passion, les réactions, même des personnes les plus proches, vont dans ce sens.

Voilà un Dieu qui se veut serviteur (et cela parle à l’ancien cafetier que je suis), mais surtout un être qui s’abaisse, qui refuse le pouvoir et qui va jusqu’à donner sa vie pour les autres. Voilà une façon de faire, je dirais de vivre, tout à fait différente. Et stimulante.

Et en plus cette attitude demeure au-delà des situations que je connais, bien au-delà du temps. C’est véritablement en lui et pour toujours, que je peux vivre pleinement cet amour, et placer ma confiance.

Avoir Dieu pour invité, c’est finalement ne pas se faire de souci sur la qualité du vécu. C’est l’accueillir, prendre du temps ; un peu comme Marie, la sœur de Lazare, qui se pose aux pieds de Jésus. Il a tellement de choses intéressantes à raconter que le reste est secondaire ! Un invité que tu reçois et qui, comme ça, te fait passer du bon temps, moi, j’en redemande !

Amen !

Dans l’évangile de Jean, Jésus dit: «Si quelqu’un m’aime […], nous ferons notre demeure chez lui.» (Jean 14, 23). Or de quel droit le Christ vient-il demeurer chez moi? Qui lui a permis d’entrer? Qui l’a invité? Pour combien de temps durera sa visite?

Être humain parmi tant d’autres, Jésus est un invité très proche, un invité qui me ressemble, un invité à l’image de tous les êtres humains de la terre. D’un autre côté, sa présence dans nos coeurs a ceci d’exceptionnel: il s’agit d’une présence stable, d’une présence «sédentaire», la présence d’un Dieu qui s’accroche et qui nous entoure de son amour jusque dans les situations de détresse.

Détails

Célébration
Avec la participation de
Avec la participation d'Estelle Pastoris, pasteure-stagiaire, pour la prédication et la liturgie. Jacqueline Hefti pour les lectures.
Orgue
Ezko Kikoutchi
Musique
Malik Besseghir à la guitare