Intercéder, Kesaco ?

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Écouter le culte :

« Demandez et on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira ». C’est le début du texte de l’évangile de Luc lu tout à l’heure. Ces paroles de Jésus conviennent tout à fait à une méditation sur la prière de demande, d’autant plus que Jésus insiste et ouvre sur ce qu’on pourrait appeler l’exaucement : « En effet, quiconque cherche trouve et à qui frappe, on ouvrira ».

Chers amis, permettez-moi tout de suite ici une question. Une sacrée question, une question iconoclaste même. Ça a beau être dans l’Evangile, ça a beau être des paroles de Jésus… de qui se moque t-on ? Qui se paie notre tête ?

Des preuves ?
Combien de cris montés vers Dieu pour la santé de l’un, le bonheur de l’autre, la guérison du troisième. Combien de prières montées des tranchées de 14 dont nous commémorons le 100e anniversaire. Combien de suppliques sur les quais de déchargement de Birkenau, Bergen, Belsen ou Maidanek ? Combien d’appels vers le ciel le 11 septembre lors de la destruction des tours de Manhattan ou lors de la chute du MD 11 de Swissair ?

Si la prière ça marchait, je veux dire si ça marchait automatiquement, ça se saurait. C’est d’ailleurs bien la critique des athées et de pas mal d’agnostiques : on s’invente un bon dieu pour se sécuriser.
Il n’empêche : on prie. On prie même énormément : un sondage de 2008 indique que 40% des Suisses prient régulièrement.

J’essaie d’en être, et vous qui m’écoutez ici dans ce lieu de prière et vous qui écoutez sur les ondes aussi, sans doute.
Quand on prie, quand on intercède, quand on demande, qu’on cherche, qu’on frappe… on fait quoi ? Que se passe-t-il ?

La toute première chose qu’il faudrait dire, c’est qu’on prie en général quand ça va mal, quand on est dans un creux. Quand ça ne va pas. Il y a un grand rapport entre la prière et la précarité. Saviez-vous que précarité et prière ont beaucoup à voir ? Comme le rappelait l’écrivaine parisienne Jacqueline Kelen lors d’une conférence sur la prière ici à Lausanne : l’étymologie du mot prière, c’est la même racine que précarité (preghiera en italien). La prière est le cri de notre condition humaine : précaire, limitée, mortelle, et en ce sens elle est terriblement intéressante. Quelque part, elle dit l’humain (l’humus). Elle exprime une partie importante de notre condition.
Dans un monde qui ne veut que la réussite, la performance, l’excellence, la prière nous permet d’être nous-même, d’entrer en nous-même.
Nos cris, nos suppliques vers le ciel sont une manière d’assumer, de prendre au sérieux toute une partie de nous-même.

Mais il y a plus. Demander, c’est mettre en mots, énoncer des paroles, c’est verbaliser. Mettre des « mots » sur des « maux ». Parler plutôt que se taire, extérioriser plutôt que renfoncer en soi. La prière, ce sont « des mots pour le dire », comme te titre du célèbre roman de Marie Cardinal : « Les mots pour le dire ». Parvenir à exprimer le malheur, ou la crainte, ou le manque : voilà une des fonctions de la prière de demande. Les « mots pour le dire » étaient une apologie, une glorification de la psychanalyse… Et la prière a ceci de commun avec la psychanalyse qu’elle est un discours qui s’adresse à une oreille bien souvent silencieuse, et c’est par le silence du psychanalyste que la prise de conscience peut advenir. En ce sens, le silence de Dieu est plus grand que sa parole, car c’est lui qui fait de nous des êtres qui se relèvent et se prennent en main !

Demander, mettre des mots, mais aussi chercher, un verbe de tous les jours, un verbe d’action, de mouvement, de déplacement. La prière est tout sauf l’acceptation de ce qui est. Un refus de la fatalité, une indignation. Inter-céder : cela signifie se mettre en travers du laisser-aller, se dresser contre la fatalité. Chercher, être en quête…

Enfin, frapper. Frapper à une porte s’entend (pas frapper son voisin !). Frapper à une porte, c’est s’intéresser à l’autre, c’est se décentrer de soi, se dépréoccuper de sa petite personne et étendre son regard d’amour au monde. La prière d’intercession s’ouvre aux dimensions du monde (c’est la raison pour laquelle on l’appelle prière universelle chez nos frères catholiques).

C’est bien tout cela, direz-vous, mais vous ne parlez que de demander, chercher, frapper... Pourquoi ne parlez-vous pas des autres mots entendus dans l’évangile de ce jour : recevoir, trouver et ouvrir. En effet, à demandez, cherchez, frappez correspondent ces mots : recevoir, trouver et ouvrir.

C’est ici un vaste sujet, celui de l’exaucement, celui de voir les intentions de prière aboutir. Obtenir une réponse.

Pour y entrer, continuons la lecture de notre texte. Si nous qui sommes assez moyens (on va dire) nous savons donner de bonnes choses à nos enfants, « à combien plus forte raison votre Père céleste donnera-t-il le Saint Esprit à ceux qui le lui demandent ? »
Le Saint Esprit ! Voici l’exaucement : recevoir le Saint Esprit.

Demander le Saint Esprit est la seule prière du monde qu’il est sûr et certain de se voir être exaucée. Pourquoi ? Parce que demander le Saint Esprit, ce n’est rien d’autre que de demander Dieu lui-même, la force de Dieu, la vie de Dieu, l’actualité de Dieu. Si on demande Dieu, c’est qu’on a la foi, et la foi nous met en relation avec Dieu. Ainsi, on peut affirmer vraiment sans aucun doute (c’est le cas de le dire) que c’est une prière qui est sûre d’être exaucée.

Notre prière consiste donc à demander à Dieu son Esprit, c'est-à-dire sa force sa vie, sa puissance, son dynamisme. Et ce n’est rien d’autre que ce que dit Saint Paul dans l’épître aux Ephésiens : « Que l’Esprit suscite votre prière sous toutes ses formes, vos requêtes en toutes circonstances ; employez vos veilles à une infatigable intercession ».
Et cet Esprit il le donne, puisqu’il le promet. Alors il se passe quelque chose d’étonnant, de surprenant, de désarçonnant.

La prière, notre prière va de moins en moins consister à demander à Dieu d’exaucer toutes nos demandes, mais elle va consister (accrochez-vous bien) à en quelque sorte exaucer les prières que Dieu lui-même nous fait. A exaucer Dieu. Si, si, vous avez bien entendu ! C’est le monde à l’envers (ce n’est pas la première ni la dernière fois que l’Evangile met le monde à l’envers !).

Exaucer Dieu.

Et Dieu, on sait bien ce qu’il nous demande. Il nous demande de nous aimer, de partager, de prévenir, de guérir, d’accompagner, de soulager, de libérer… Tout ça !

Vous l’avez bien entendu, chers amis. La nouveauté, la force, la capacité de l’enseignement de Jésus, c’est de nous inviter à exaucer les prières de son Père. Et voilà que notre vie en est changée, totalement bouleversée. Et elle devient plus cohérente.

Ainsi, notre prière, nous la ferons, nous la dirons, bien sûr, il faut demander (verbaliser), chercher (se mettre en route) et frapper (aller vers les autres), « Dieu sait ce dont nous avons besoin avant que nous ne lui demandions » (Luc 12, 30), mais il a besoin de nous entendre. Cependant, comme dans un même mouvement, nous nous demanderons immédiatement à nous-même ce que nous pouvons faire pour la réaliser.

Nous cherchons notre bonheur, Dieu aussi ! Nous cherchons la santé, la sécurité, l’amitié, l’amour… Dieu aussi ! Et Dieu le veut pour nous, mais pour les autres aussi. Tous les autres au près comme au loin.
Dieu veut le bonheur de l’autre, la justice pour l’autre, le partage, et il nous y incite et nous met à l’œuvre. Nous sommes donc faits pour nous entendre (et c’est de trop souvent l’oublier que se meurt notre monde).

Un petit truc pour s'en rappeler.
Lorsqu’on dit le notre Père, on peut ajouter les mots « pour nous et par nous… » aux trois premières demandes, « que ton nom soit sanctifié : pour nous, par nous… ». « que ton règne vienne pour nous, par nous … ». « Que ta volonté soit faite pour nous, par nous…

Et la prière devient en fait ce qu’on pourrait appeler un ajustement de notre volonté à la sienne, de nos désirs aux siens : La prière - dans sa forme enfantine qui demande toutes sortes de choses - deviendra plus adulte, plus mûre. Une vraie école d’humanité. Et notre monde en besoin !

Amen !

La prière de demande change-t-elle Dieu ? Change-t-elle les lois de la nature ? Si elle ne change ni Dieu, ni la nature, change-t-elle quelque chose ? Change-t-elle quelqu’un ?

La prière de demande semble universelle. Qui n’a pas, croyant ou incroyant, des soucis pour lui ou pour un autre ? Qui ne crie pas « au secours » une fois ou l’autre ? Mais quand on prie, est-on exaucé ? Les lois du monde et de la nature sont-elles suspendues ? Le pasteur Virgile Rochat approfondira cette redoutable question lors de ce culte.Prier aujourd'hui est un défi pour beaucoup de croyants.
Les croyants en connaissent l'exigence, la régularité et parfois la difficulté.
La prière accompagne les différentes étapes du culte et sont comme les marques de notre relation avec le Christ.

Troisième culte d'une série de cinq cultes radiodiffusés à la Cathédrale de Lausanne, ce culte s'inscrit dans l'événement Offices 2014, "La musique des heures", organisé par l'association "La passion au croisement des regards " en partenariat avec RTS Espace 2.
L'édition 2014 se déroule du 3 janvier au 18 février avec nombre de conférences, expositions, activités culturelles et spirituelles.

Détails

Avec la participation de
Marianne Wenker
Orgue
Jean-Christophe Geiser
Musique