Le temps d'un soupir (1/3): Élie, à sens et contresens

Cathédrale de Lausanne (©Flickr-REGIS COLOMBO, diapo.ch)

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Line Dépraz

Élie, un homme d’engagement, un homme de valeurs et de convictions, un homme de Dieu qu’on évoque souvent avec tendresse lorsque l’on relit son parcours du point de vue de sa fragilité, de sa dépression et de sa résilience. Vous excuserez l’anachronisme de ces mots, mais c’est probablement ainsi que l’on nommerait aujourd’hui ce qui lui est arrivé.

On relit donc son histoire avec compassion. Avec émotion, aussi, tout particulièrement quand on se représente ce moment si mystérieux où, devant la caverne, il se voile car Dieu vient le rencontrer. Et selon la croyance de l’époque, on ne peut pas voir Dieu face à face.

Élie, c’est tout cela, bien sûr. Mais c’est aussi un prophète qui, fort de ses convictions, a tué au nom de son Dieu. Ce n’est ni le premier, ni le dernier, me direz-vous. Mais cela n’excuse rien. Et l’actualité ne cesse de me convaincre que la violence, au nom de son Dieu, quel qu’il soit, n’est légitime en aucun lieu ni d’aucune façon.

Bien malin qui pourrait dire aujourd’hui jusqu’à quel moment Élie s’est senti pleinement légitime dans son combat pour le Dieu qu’il aimait. Toujours est-il, qu’après avoir commis des meurtres, le voilà contraint de se cacher. Pour cela, il s’enfuit dans le désert, apeuré, exténué. Ayant touché le fond, je l’évoquais, il va jusqu’à demander à Dieu de lui reprendre la vie.

Comme souvent, Dieu ne l’entend pas de cette oreille. Si bien qu’un ange est dépêché auprès d’Élie pour le nourrir, le désaltérer. Et lorsque ce dernier est suffisamment requinqué, comme on dit chez nous, il marche 40 jours et 40 nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu.

40 jours et 40 nuits : 40, ce chiffre que l’on retrouve tant de fois dans la Bible. Cette récurrence, elle est précisément le signe qu’il ne faut pas lire ce chiffre au premier degré. Toujours dans la Bible, quand un chiffre se répète, c’est qu’il n’est pas là pour nous renseigner sur une durée temporelle précise mais qu’il est à comprendre symboliquement et qu’il nous invite à réfléchir à ce qui est en train de se passer durant un laps de temps qui, au final, ne compte pas tant que ça.

Il y a les 40 jours du déluge pour Noé, qui débouchent, vous vous en souvenez, sur la nouvelle alliance et cette promesse qu’il n’y aura plus de déluge voulu par Dieu pour sanctionner les humains.

Il y a les 40 ans dans le désert qui voient le peuple des Hébreux passer du statut d’esclaves en terre égyptienne à celui de peuple libre.

À l’intérieur de cela, les 40 jours de Moïse sur la montagne pour recevoir de Dieu les dix Paroles. Ces commandements qui verbalisent un nouveau mode de relation à Dieu et aux autres en décrivant les clés d’un vivre-ensemble social.

Il y a encore les 40 jours que Jésus passe dans le désert à lutter contre des tentations avant d’entamer son ministère public basé sur la rencontre, l’amour, le pardon.

Chacun de ces épisodes, chacune de ces durées, révèle, en fait, un processus de transformation, un changement de paradigme. Les acteurs en jeu se découvrent à chaque fois une sorte de nouvelle identité qui débouche immuablement sur un nouveau type de relation à Dieu et aux autres. 

Nous sommes au cœur de cela aussi avec Élie qui reprend des forces avant de marcher durant ces fameux 40 jours et 40 nuits.

Et c’est là que j’aimerais passer la parole à Aurélie Netz, qui fait le lien entre ce temps de maturation, de transformation, et la pratique de la prière.

 

Aurélie Netz

La Cathédrale est une maison de prière. Durant plusieurs mois, les visiteurs ont déposé quelques 3500 intentions de prières sur le tableau d’affichage, juste derrière vous, devant la chapelle de Montfalcon. Une maison pour faire halte, griffonner quelques mots essentiels, tendre l’oreille du cœur et repartir.

Dans les mots que j’ai lus, comme dans l’histoire d’Élie, tout part d’un questionnement. L’harmonie n’est plus de la partie. Ça peut être une maladie qui frappe, une séparation, un coup du sort. Soudain, le monde ne tourne plus rond. Que faire ? Il y a la nécessité d’un temps d’arrêt.

En écrivant sa prière, chacun, chacune raconte son histoire, réfléchit à ce qu’il faudra peut-être changer et aux prochaines étapes à poser. Ici, on peut tout mettre à plat. Les billets racontent les déserts intérieurs que certains et certaines traversent. Pudiquement, se révèle ce temps particulier à habiter. Mais dans ce désert, tout n’est pas mort. Il y a comme les traces d’une fine présence. Une discrète présence qui veille.

L’arbre sous lequel Élie se pose – un genêt – fait peut-être partie de notre propre paysage intérieur. Un soutien contre lequel s’appuyer lorsque l’on fait face à nos zones d’ombre ou que nous expérimentons le désespoir. Un espace aussi pour s’adresser à nouveau au Divin.

Dans cet édifice, les personnes osent nommer leur vulnérabilité, écrire leur colère ou le découragement qu’elles traversent. Mais surtout, elles apprennent à demander de l’aide.

 

Line Dépraz

Par rapport à cette notion de demande d’aide, qui dit une aspiration à autre chose, le besoin d’un changement, j’ai souvent dit, en termes de spiritualité, ma conviction profonde, à savoir que le souffle d’un Autre me constitue… et que donc, je dois faire de la place en moi pour un Tout-Autre, et pour d’autres que moi. Sans eux, sans leur présence en moi, je perds une part de ma propre identité.

Faire de la place, en soi, à un autre que soi, est-ce que cette conviction résonne pour vous, Aurélie ? Est-ce qu’il y a quelque chose de cet ordre-là dans les prières que vous avez étudiées ?

 

Aurélie Netz

Absolument. Se remettre en route, grâce à la prière, c’est ouvrir la fenêtre à une brise rafraîchissante.

En relisant le texte, je rencontre un Élie tout proche, si semblable. J’ai été frappée par la voix du Seigneur et sa question que l’on peut résumer par « Où en es-tu ? ». Cette voix se fait entendre parce qu’Élie a vécu cette crise à la fois existentielle et spirituelle. Il est prêt à ce face-à-face avec lui-même et cet Autre qui veille.

Mais Élie n’a pas encore tout à fait lâché une part délicate de son identité. Peut-être celle à laquelle il tient le plus. C’est son fanatisme, sa certitude d’être celui qui connaît le Divin mieux que quiconque. Mais la voix lui indique une direction : il lui faut sortir de son enfermement intérieur comme de cette grotte.

Il reste à Élie à expérimenter encore le plus important : écouter de tout son être le Divin qui va se révéler à lui. Le vent, le tremblement de terre, le feu… Dieu n’est pas dans ce qui sème le chaos, nous dit le texte. Pourtant, dans son histoire, Élie a eu un faible pour ces manifestations spectaculaires, de celles qui séparent les familles et la société.

Mais, surprise, le Divin se donne à être éprouvé comme jamais auparavant par Élie. Il se révèle comme un doux murmure, une caresse. Pour le percevoir, cela demande de l’attention, une sensibilité nouvelle et une pleine présence à soi. Voilà, maintenant Élie est prêt à repartir dans le monde !

Ces prières rédigées entre les murs de la Cathédrale font partie de ces rituels qui rompent la solitude et le sentiment de séparation. Chaque personne esquisse, stylo à la main, les prochaines alliances à retisser avec soi, les autres et le Divin. Au cœur de la prière, une remise en route. Quelque chose change, ou plutôt quelqu’un…

 

Line Dépraz

Dans ce que vous dites, Aurélie, comme dans le récit biblique, je reste sensible au fait que Dieu n’est pas dans les éléments traditionnels qui disent sa présence et potentiellement sèment le chaos : le vent violent, le tremblement de terre, le feu. Par trois fois, il nous est dit que Dieu n’est pas là où on l’attend.

Alors où est-il donc ? Et bien ce qui me frappe, c’est qu’il se donne à reconnaître dans une voix ténue, dans une voix de fin silence.

Ce qui me pousserait à affirmer, ce matin, que Dieu n’est pas ce grand maître de l’univers qui déchaîne les éléments pour dompter et mâter les humains. 

Dieu se donne à rencontrer dans la vulnérabilité d’une parole. Une parole offerte. Une parole humble, complexe, à interpréter encore et toujours. Audible pour les uns, inaudibles pour d’autres.

C’est un pari osé. Venant de Dieu, ça ne m’étonne qu’à moitié.

Mais ici-bas, je crois que plus nous serons à accepter un tel credo, celui d’une parole offerte et non imposée ; une parole humble, complexe à interpréter encore et toujours. Plus nous serons à accepter cela, plus nous serons à grandir dans une capacité de dialogue qui nous permet de nous rencontrer plutôt que de nous affronter.

Merci, Élie, de nous le rappeler.

Merci, Aurélie, pour ce partage.

Pas toujours facile de repérer la présence de Dieu dans nos vies. On peut ouvrir grand les yeux, les oreilles, les bras sans pour autant le découvrir, le toucher, le ressentir. C’est qu’il est rarement là où on l’attend. L’expérience d’Élie est claire: Dieu n’est pas dans les éléments naturels. Ni dans le vent fort, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu. Ce n’est pas lui qui souffle, ainsi, le chaud et le froid dans nos vies. Il se donne à rencontrer dans la vulnérabilité d’une parole.

Une prédication dialoguée entre Line Dépraz et Aurélie Netz Melissovas.

Détails

Avec la participation de
Aurélie Netz Melissovas (anthropologue, aumônière auprès des jeunes placés en foyer, formatrice dans le cadre de l’EERV) pour la liturgie, Roger Clerc pour les lectures
Orgue
Jean-Christophe Geiser
Musique
Les Vocalistes Romands, sous la direction de Renaud Bouvier