Une autre famille?

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Écouter le culte :

Ah les familles, nos familles ! C’est à chaque fois tout un roman. Qui n’a pas quelque chose à raconter au sujet de sa famille ? Rien d’étonnant à ce que les sagas familiales des séries télévisées aient un tel succès. Chacun d’entre nous y retrouve un bout de son histoire ! Nos familles, c’est pour certains beaucoup de bons souvenirs, de repas partagés, de solidarité. Le terreau de l’enfance avec ses liens si puissants et cette sécurité si nécessaire pour bien grandir. Mais pour d’autres, ce sont des blessures, des incompréhensions, des conflits, des jalousies ou de la culpabilité. Bref de la souffrance. Heureusement, aujourd’hui on a fini d’idéaliser les relations familiales et ce qui restait sombre, secret peut sortir de l’ombre, les blessures surmontées et parfois guéries.
Dans un premier temps, on serait en droit d’imaginer trouver dans la Bible – qui pensons-nous contient un enseignement portant sur l’amour ! – on serait en droit d’imaginer trouver un modèle pour mieux vivre les relations familiales. Une sorte de mode d’emploi. Mais c’est bien mal connaître les récits et histoires familiales qui remplissent la Bible. Il y est souvent question aussi de conflit, de rivalité fraternelle et de désamour. Pensez à Caïn et Abel ou Jacob et Esaü. Ou alors on y découvre des relations complexes, des familles atypiques. Jusqu’à Jésus qui est né dans une famille fort peu conventionnelle (un père adoptif, Joseph, contraint d’accepter un enfant pas choisi. C’était à Bethlehem, vous vous en souvenez ?).
Mais alors on pourrait attendre que Jésus devenu adulte, enfin se montre un fils et un frère modèle. Et on tombe avec surprise sur ce petit épisode lu tout à l’heure, à première vue anecdotique, mais bien dérangeant quand même et pour tout dire un peu choquant. Alors que ses frères et même sa mère veulent lui parler, il les repousse assez sèchement en remettant carrément en question qu’il s’agisse vraiment de sa famille. Que veut donc dire Jésus par ses paroles et son attitude ? Beaucoup de choses en peu de mots.

On remarquera d’abord le moment où cela se passe. Jésus est en train d’enseigner à ses disciples, c’est-à-dire d’accomplir quelque chose d’extrêmement important à ses yeux (et aux nôtres !). Sa mère et ses frères veulent le déranger, l’interrompre. Peut-être pour l’avertir et le protéger des risques liés à sa mission (et on le comprend, n’est-ce pas le rôle souvent de la famille, en particulier des mères, de protéger ?). Mais Jésus ne veut pas être freiné, retenu. Il ne veut pas être dérangé à ce moment-là. Et c’est le premier message : la famille ne doit jamais être un frein à une vocation, un projet de vie. Et surtout pas quand il s’agit de suivre le Christ ou d’accomplir sa volonté. Et ils sont nombreux dans l’histoire du christianisme à avoir dû choisir entre leur engagement dans la foi et le monde, et leur famille qui s’y opposait. Et s’il y a à choisir, Jésus est clair : personne n’est tenu de renoncer à un grand projet parce que sa famille veut le retenir.
Plutôt que de voir dans cette prise de position un peu rude un manque d’amour de la part de Jésus pour sa famille, nous avons plutôt à y déceler sa souveraine liberté et celle qu’il veut donner. Jésus nous veut libres. Libres de répondre à ce que nous pouvons percevoir dans nos vies comme un appel ou simplement un choix de vie. Et même nos liens les plus profonds (et les liens familiaux le sont), même ces liens ne doivent en aucun cas nous retenir.
Mais Jésus ne s’arrête pas là. Il nous propose une autre famille. Et c’est son deuxième message dans ce passage. Cette famille, tous ceux qui le suivent en font partie. Ceux qui « font la volonté du Père », selon ses mots, c’est-à-dire ceux qui essaient avec persévérance d’obéir à Dieu et à sa volonté d’amour. Cette famille, elle est donc immense. Et comme je l’évoquais au début de ce culte, sans frontières. Ses membres sont présents sur toute la surface de notre planète. Cette famille a traversé l’espace et le temps. On y entre par le baptême, mais elle est aussi ouverte à chaque instant à tous ceux qui souhaitent s’y joindre. Comme dans une famille traditionnelle, chacun y a sa place particulière, son rôle à jouer. Comme dans une famille traditionnelle, le sens des responsabilités de chacun est primordial. Cette famille dont Jésus nous parle s’appellera l’Eglise. L’Eglise universelle. Celle qui contient les chrétiens de toutes confessions et de partout.
Nous vivons dans une société dans laquelle les liens sont fragiles, souvent peu durables. On peut être amené à changer de place de travail plusieurs fois dans une vie. On peut aussi être amené à changer parfois de conjoint, de ville ou de métier. A chaque fois des liens s’interrompent. Et des liens qui peuvent être très profonds. On vit parfois loin de sa famille d’origine ou même de celle qu’on a fondée. La terre est devenue un village. Pas de problème pour aller vivre à l’autre bout de la planète en laissant derrière soi ses proches. Pas de problème ? Vraiment ? Oui souvent il y a un problème : on ne voit plus souvent ses enfants ou petits-enfants, ses frères, ses sœurs. Ou alors on n’a plus envie des les voir. Ils nous ont blessés. Le Christ nous propose une autre famille. Une famille dont on retrouve des frères et sœurs, des pères, des mères où qu’on aille. Dans tous les pays. Et même à l’hôpital, en EMS, en prison.
Lors d’un voyage que j’ai eu l’occasion d’effectuer l’an passé au Liban, j’ai été une fois de plus très touchée de voir ces amis, frères et sœurs en Christ, membres des nombreuses églises locales, s’accrocher à une même Parole, aimer le même Christ et se démener avec souvent peu de moyens pour faire valoir dans leur pays exactement les mêmes valeurs chrétiennes que nous essayons de vivre ici en Europe : respect des autres, solidarité, amour fraternel. Dans un pays très différent du mien, je retrouvais une famille, très clairement. Même si les coutumes étaient un peu différentes, la langue aussi, la manière de manger ou de se vêtir, c’était bien ma famille spirituelle. Et j’ai fait la même expérience chaque fois que j’ai voyagé. En Afrique, aux Etats Unis et ailleurs. Et je pense que chacun de vous qui m’écoutez, chers amis, avez certainement fait de mêmes expériences. Dans ces moments-là, lors de telles rencontres, on mesure la portée des paroles de Jésus que nous méditons ce matin et qui sont relatées dans l’Evangile de Matthieu : « Quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, c’est lui mon frère, ma sœur, ma mère. » Frères et sœurs du Christ. Voilà ce que sont les chrétiens. Donc aussi frères et sœurs entre eux.

Est-ce à dire que nous devons selon Jésus faire moins cas de nos familles ? Celles qui nous ont portés et élevés, ou celles que nous avons fondées ? Et qui souvent nous restent très proches ? Jésus ne dit pas cela, mais peut-être nous invite-t-il à redéfinir ce qui est essentiel dans nos liens familiaux comme dans toute notre existence ? Peut-être nous incite-t-il à vivre nos relations et les relations familiales parmi d’autres, avec davantage de souci de l’autre, de son bonheur, de sa liberté. Peut-être que certaines mères devraient être encouragées à laisser s’éloigner un peu leurs rejetons devenus grands et les enfants devenus majeurs cultiver plus souvent des relations constructives et respectueuses avec leurs parents. Peut-être que le pardon, valeur si centrale de l’Evangile, pourrait davantage s’exprimer entre frères devenus ennemis ou cousins en conflits. Bien sûr ce n’est pas toujours possible, ni facile. Mais y penser c’est souvent déjà en réaliser un bout.
Et puis nous sommes dans le temps de la Passion. Et ce temps si particulier de l’Eglise nous rappelle la mort injuste de Jésus, trahi par ses plus proches amis, ses disciples, ceux-là même dont il dit dans nos versets qu’ils sont « sa » famille. Il nous est rappelé donc que même dans cette grande famille chrétienne et depuis le début, la réconciliation et l’amour ne sont jamais acquis, et que nous avons à construire des liens plus fraternels là aussi.
Chers frères et sœurs en Christ, nous pourrions être heurtés par ces paroles de Jésus qui rabroue sa propre mère et ses frères et sœurs. Nous pourrions être découragés de voir cette famille que Jésus a voulu créer avec ses disciples elle aussi remplie de rivalités et d’incompréhensions parfois. La famille chrétienne est loin d’être idéale. Nous pourrions être découragés, mais nous ne le serons pas pourtant. Car l’enseignement de Jésus, au-delà de l’aspect provocateur de ses paroles, nous dit une autre chose essentielle qu’il s’agit de précieusement garder et c’est là-dessus que je terminerai : si nous sommes de la même famille, c’est que nous avons le même Père et que donc nous pouvons vivre ensemble de la confiance placée dans ce Père avec P majuscule. Ce Père qui lui, à la différence des humains, ne déçoit pas et qui nous porte pour nous permettre de continuer sur nos chemins de vie, même quand ils sont douloureux ou solitaires. Que Dieu soit béni pour cela.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Irène Kernen
René Leresche
Orgue
Mina Balissat
Musique
Béatrice Jaermann, flûtiste