La résurrection de Lazare

©DR

Difficile d’être optimiste !
Cette semaine encore, nos journaux et la TV évoquaient en plusieurs pages la « grande faucheuse ». La mort avait atteint accidentellement l’un ou l’autre jeune sur les routes, d’innocentes victimes à Jérusalem et ailleurs, sans compter les décès dans les familles liés à la maladie ou à l’âge. S’il est banal de dire que nous sommes mortels, nous savons bien aussi qu’aucun destin, aucune mort ne l’est. Que c’est chaque fois un drame qui touche, bouleverse ou révolte, et nous laisse blessés et démunis.
En ce temps de la Passion, nous nous souvenons du chemin de Jésus lui aussi vers la souffrance et la mort. Chemin vers la croix, en butte à l’incompréhension, la violence et la haine. Et c’est au milieu de ce chemin, dans l’Évangile de Jean, que nous trouvons ce récit de la résurrection de Lazare. Comme une parenthèse, une lumière, un signe d’espérance au cœur même de cette route vers la mort. Un récit qui anticipe, puisqu’il nous parle déjà de résurrection.

Face à la mort, dans notre société occidentale, on observe plusieurs types d’attitude. Il y a le déni. On escamote la mort. On s’en va en catimini et les endeuillés doivent faire leurs étapes de deuil sagement, de manière adéquate, sans déranger et se faire éventuellement aider par un psychologue si ce n’est pas le cas pour surtout rapidement aller mieux, si ce n’est très bien. Sous peine de lasser, fatiguer ou culpabiliser l’entourage. Et si les psy peuvent bien sûr se révéler d’un grand secours dans bon nombre de situations, leur rôle n’est en aucun cas de remplacer la patience et l’amour des proches.
Ou alors on regarde la mort en face. On la nargue ou on se laisse entraîner dans ce qu’elle peut avoir de fascinant et cela peut se traduire par des conduites à risque, des actes violents, un goût malsain pour des scènes morbides.
Chez d’autres encore, c’est la déprime, le fatalisme, le découragement devant l’inévitable, résignés que l’on est à vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Dans le récit lu ce matin, nous découvrons une autre attitude possible. Celle de l’espérance soutenue par une présence : la présence du Christ qui redonne vie. Ni le déni, ni la fascination, ni la résignation.
Mais reprenons cette histoire. Marthe et Marie annoncent donc à Jésus que leur frère Lazare est gravement malade et attendent bien sûr que Jésus vienne le guérir. Et là nous avons une première surprise : contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, Jésus ne fait… rien ! il attend. Deux jours. Et si l’on compte le trajet qu’il se décide enfin à entreprendre, quand il arrive, cela fait déjà 4 jours que Lazare est mort.
Jésus semble volontairement temporiser. Mais ce n’est pas par indifférence, ni par manque d’empressement ou de temps (nous ne sommes pas au 21ème siècle !). Il déplace ainsi le projecteur posé par nous sur cette histoire : non, il ne s’agit pas d’abord de Lazare ici, mais le personnage principal est bien le Christ. Et à travers cet épisode de la résurrection de Lazare, des choses fondamentales nous sont dites de Lui et de l’attitude qu’Il attend de ceux qui placent leur confiance en Lui. Et pour que cela puisse être exprimé, il fallait que la maladie de Lazare aille jusqu’à la mort.

Les miracles, dans l’évangile de Jean, sont des « signes ». Que nous « signale » ce récit sur Jésus, et donc sur nous et notre relation à Lui, à la vie, à la mort ? D’abord, Jésus nous révèle d’emblée que, assez paradoxalement, bien qu’en route vers sa passion, il est déjà la résurrection et la vie. La résurrection, la vie qu’il donne ne sont pas seulement pour un au-delà encore lointain et hypothétique pour beaucoup, mais pour maintenant, déjà à percevoir dans notre vie de tous les jours, tout de suite. Et comment ?
Les paroles et les attitudes de Jésus dans ce récit l’expriment avec concision, mais de manière bouleversante. Des paroles et des attitudes appelées à inspirer les nôtres. Nous y découvrons un Seigneur humain et en même temps plein d’autorité. Je relèverai ici simplement 3 de ces attitudes et paroles :

Jésus pleure. Les larmes de Jésus… On pourrait aussi s’en étonner. Mais pourquoi Jésus pleure-t-il alors qu’il sait que Lazare va vivre à nouveau ? Larmes de compassion, larmes de vie. Pour revivre, pour faire revivre, il faut commencer par pleurer. Les larmes ne sont pas toujours et seulement l’expression d’une détresse définitive. Quand elles ne sont pas moyen de pression ou apitoiement sur soi-même, quand elles ne sont pas « ces fausses larmes qu’on sèche dans un truc en papier » comme l’évoquait Henri Dès dans une de ses chansons, elles peuvent devenir cette possibilité d’exprimer des émotions authentiques, possibilité de partager le poids de la vie, des chagrins et des angoisses. Comme une vanne qu’on ouvre et qui permet à l’eau de la vie de reprendre son cours. Les larmes de Jésus, début de la résurrection de Lazare. Les larmes, début de nos réconciliations avec la vie et la joie dans un temps d’épreuve.
Puis devant le tombeau, nous trouvons ces ordres de Jésus : « Enlevez cette pierre », puis « Lazare, sors ! ». Et ces deux ordres expriment toute l’autorité du Christ, même sur la mort. Ils résonnent aussi comme un refus de la fatalité. Une affirmation de cette possibilité de vivre même quand tout semble mort. Comme un encouragement à ne jamais désespérer et à discerner dans la nuit la plus sombre la lumière d’une espérance. Il y a au plus profond de chacun de nous cette capacité reçue de refuser l’adversité et de refuser de se laisser submerger par l’inévitable. D’ouvrir de nouveaux possibles. Et nous pouvons le décider. C’est vrai sur le plan personnel. C’est vrai aussi dans nos engagements sociaux ou même politiques pour le respect de l’autre, la liberté, la justice et la paix.
Enfin l’on voit sortir Lazare. Un peu effrayante, cette apparition : un linge sur la tête, des bandelettes sur le corps. C’est un mort-vivant ! Encore presque un mort. Et alors retentit ce nouvel ordre de Jésus : « Déliez-le et laissez-le aller ! ». Jésus a ouvert, il a rendu possible, mais c’est la solidarité, l’aide des amis, des sœurs qui fera vraiment de Lazare à nouveau un vivant. Invitation à la solidarité, à l’entraide, à être les uns pour les autres des acteurs, des soutiens de libération. Quand la vie reprend, quand l’espérance point à nouveau, alors il faut être là pour aider, pour fortifier, pour encourager. Comme la maman de l’oisillon qui aide son petit à finir de casser l’œuf. Ainsi Jésus commence, donne l’élan, ouvre à la vie, et la solidarité doit faire le reste. Et trop souvent lorsque, après un traumatisme, quelqu’un fait mine d’aller mieux et de revivre, il se retrouve bien vite largué et oublié. Savons-nous toujours rester attentifs à ce lent processus de guérison et d’ouverture à une vie retrouvée ?

Ainsi devant la mort et son cortège de douleur, autre chose nous est proposé. Autre chose que le déni, la fascination ou le découragement : des moyens pour revivre, continuer d’espérer, créer des lieux, des liens de solidarité.
Concernant la résurrection de Lazare, on parle parfois aussi de « réanimation » ou de « revivification ». C’est en effet une résurrection différente de celle de Jésus ou de celle promise aux chrétiens par Paul dans ses lettres. Car c’est une résurrection provisoire en somme. Juste un temps de vie de plus. Un jour Lazare est sans doute mort comme tout un chacun. Mais ce récit a été précieusement conservé jusqu’à aujourd’hui, relu et médité de génération en génération. Dans ce temps de la Passion, il nous rappelle que chaque jour de plus ajouté à notre vie souvent difficile et pleine de combats est une petite résurrection. Un jour à vivre encore parfois dans les larmes partagées, mais toujours dans la présence aimante de Dieu.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Anne Chollet
Musique
Paul Urstein, violon