Croyez… y a rien à voir!

©Alexandra Urfer Jungen

Écouter le culte :

Par les temps qui courent, chers amis, ce n’est pas à nous que Thomas a besoin d’expliquer l’importance de voir et de toucher. L’importance de se voir – si possible, « en entier » – et de se toucher pour confirmer que nous sommes vraiment vivants, vraiment là les uns auprès des autres, les uns pour les autres. Nous sommes incarnés et nos relations passent par notre corps. Nous nous en sommes rendus compte lorsque nous avons vécu des rencontres en visioconférences : on peut voir un visage, entendre une voix, se saluer, entrer en dialogue, débattre, mais ce qui manque, ce sont les expressions du corps, ce qui fait le caractère unique et tout à fait personnel de chacune et de chacun.

Dans le récit de l’Evangile de Jean qui parle des deux apparitions de Jésus ressuscité à ses disciples, on découvre l’importance de la vue et du toucher. Mais le passage se termine néanmoins sur cette béatitude : « Heureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru. » C’est bien sur ces mots que se conclut le récit des apparitions de Jésus, où ce dernier, de sa propre initiative, va se présenter à ses disciples en leur faisant voir ses plaies de Crucifié. Il accède même à l’attente de Thomas qui veut pouvoir toucher ses mains et son côté pour croire.

Le récit de Jean le dit sans l’ombre d’un doute : c’est la vue du Christ qui provoque la joie des disciples. C’est la vue du Christ et l’invitation à toucher ses mains et son côté qui conduisent Thomas à son impressionnante confession.

Pour nous, aujourd’hui, reste l’appel de Jésus à une foi sans filet visuel. Croyez… il n’y a rien à voir ! Il n’y a plus rien à voir ! Alors pourquoi, dans l’Evangile, cette insistance sur le besoin de voir et de toucher pour croire ?

Je reviens un instant sur le premier mot de la béatitude : Heureux… C’est le même mot grec que l’on trouve dans les Béatitudes du Sermon sur la Montagne chez Matthieu. André Chouraqui, écrivain, avocat, penseur et traducteur de la Bible, traduit le mot « heureux » par « en marche » ! « En marche ceux qui n’ont pas vu et qui croient ! » Entendu comme cela, ce verset ne sonne plus comme un reproche, mais comme une invitation à une démarche, qui pourrait bien mener de quelque chose à voir à quelqu’un en qui croire !

Aller de quelque chose à voir, à quelqu’un en qui croire…
Passer de la démonstration à la relation…
Passer du corps au coeur… 

Du coup, Thomas, n’apparaît plus, ici, comme un modèle de scepticisme à ne pas suivre, ou comme l’exemple du réaliste grossier et incrédule, mais comme un croyant qui, comme beaucoup d’entre nous, a besoin de voir et de toucher pour croire. Nous le disons souvent : nous avons besoin de voir des signes de la présence de Dieu dans nos vies, dans la vie des autres, dans la vie de notre Eglise, dans la vie du monde. Je pense à ce chant qui dit : « Nous avons vu les pas de notre Dieu, croiser les pas des hommes ». Nous avons besoin de voir des traces, des indices d’une Présence, pour affermir, pour encourager notre foi.

Et, en même temps, ce besoin d’incarnation de la Présence de Dieu et du Christ, ne peut pas résumer la relation que nous avons avec lui. Quelque chose a besoin d’être perçu par les sens, mais le fondement de notre foi est bien dans ce « coeur à coeur » mystérieux avec Jésus, au plus profond de nous-mêmes, là où aucune description n’est possible, là où aucune démonstration n’est plus nécessaire. Tout au fond de nous-mêmes, là où la relation ne s’explique plus, mais se vit et imbibe toute notre existence.

Alors oui, d’accord avec Jésus : en marche, tous les jours, pour passer du besoin de voir et de toucher, à l’accueil de la Présence du Christ qui se donne, mystérieusement, mais sans retenue.

Jésus lui-même accompagne notre cheminement de foi comme il a accompagné celui des disciples et de Thomas. Il ne joue pas à cache cache avec eux, ni avec nous.

Marie de Magdala leur a dit qu’elle avait vu Jésus. Elle leur a rapporté ses paroles. Mais qu’il est difficile de croire à partir du témoignage d’un autre… à plus forte raison d’UNE autre ?

Alors, le Christ fait le nécessaire pour mettre en route les disciples, du côté de la foi. Il les rejoint dans leur enfermement, dans leur peur et dans leur repli sur eux-mêmes. Il les rejoint là où ils sont, là où ils en sont. Il ne fait aucun reproche. Il se montre. Il montre Celui qu’il est : le Crucifié, un Seigneur qui manifeste sa gloire et sa puissance dans une vie d’homme, jusque dans la mort. La vie du Christ est vulnérable et fragile, mais elle est approuvée par Dieu, qui en fait un passage vers une vie nouvelle, réconciliée et ouverte sur l’éternité.

Avec ce qui est vu, il y a ce qui est entendu : « La paix soit avec vous », dit Jésus. Ce n’est pas un appel au calme. C’est l’affirmation qu’en lui, le Christ, la communion avec Dieu est possible puisque le passage est ouvert. Et peut-être bien que la joie des disciples n’est pas simplement celle de revoir leur Maître et ami. C’est la joie profonde de ceux qui se découvrent accueillis par Dieu, réconciliés avec Dieu, reliés à Dieu et associés à l’oeuvre de Dieu.

« Comme le Père m’a envoyé, je vous envoie… » Rien que cela, chers amis ! Nous sommes envoyés pour prendre le relais. Nous sommes envoyés pour porter l’annonce reçue du Christ : « La paix avec vous ». Nous sommes envoyés pour dire : plus rien ne peut vous séparer de l’amour de Dieu. La réconciliation est donnée. Les chemins sont ouverts. Toute chose est nouvelle. N’est-ce pas là, une manière de « remettre les péchés » ?

Et cela chers amis, je crois profondément que nous avons à le montrer. Je crois profondément que, comme croyants, comme Eglise, nous sommes envoyés pour faire voir quelque chose du pardon, de l’amour et de la présence de Dieu. Faire voir pour permettre au plus grand nombre de toucher le Christ du doigt et se laisser ainsi toucher et rencontrer par Lui.

Il ne s’agit pas, bien sûr, de faire des démonstrations de piété en paroles et en actes pour attirer l’attention sur nos grandeurs d’âmes. Il s’agit de baliser la route pour que des enfants, des femmes, des hommes trouvent leurs propres chemins vers le Christ.

Nous ne pouvons pas faire germer la graine de la foi chez d’autres personnes, mais nous pouvons préparer le terrain. Nous pouvons préparer le terrain comme Jésus l’a fait. Il a accompagné le chemin de foi de ses disciples en se faisant voir, en se montrant.

Comme croyants, comme Eglise, que montrons-nous du Christ ? Quelqu’un de désincarné qui vient lisser nos vies et les débarrasser de tous les obstacles ? Quelqu’un qui n’accueillerait et n’exaucerait que des croyants à la foi bétonnée et à la joie permanente ?

Jésus a montré ses plaies de Crucifié pour se faire reconnaître. Tout au long de sa vie, il a rejoint les petits, les fragiles, les « douteurs et les douteuses », les incertains et les ignorés. Pour eux, pour nous, parce que nous sommes de ceux-là, il a lutté activement contre les puissances du mal, tout ce qui écrase, détruit, humilie et rejette. C’est sur ce chemin-là qu’il nous envoie à sa suite. Et cette lutte-là ne se contente pas d’être affirmée dans des mots, elle doit être vue dans des actes.

On pourrait croire la tâche surhumaine, disproportionnée à nos faibles compétences. Jésus voit toujours plus loin que nos portes verrouillées et nous donne les moyens de la mission. Il donne l’Esprit Saint – une force, un Souffle, une inspiration. Souvent, on ne le voit pas passer. Pourtant il est donné !

Heureux ceux qui laissent l’Esprit agir en eux, sans rien y voir, sans s’en rendre compte… ils permettront à d’autres de voir le Christ qui vient à leur rencontre !

Et la suite ne dépend plus de nous !

Amen

Par les temps qui courent, ce n’est pas à nous que Thomas doit expliquer l’importance de (se) voir et de (se) toucher! Dans le domaine de la foi, le besoin est là, aussi. Mais qu’il est difficile de fonder sa foi sur le témoignage d’un-e autre! Comme croyant-e, comme Eglise, comment préparer le terrain pour favoriser une rencontre «coeur à coeur» entre le Christ et l’être humain? Et si ce mystère, au fond, nous dépassait?

Détails

Avec la participation de
Monique et Gérald Cavin pour les lectures
Orgue
Anne Chollet
Musique
Jamila Garayusifli au violon