Recommencer avec soi-même

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Écouter le culte :

Un centre commercial, une rue marchande : voilà à quoi me fait penser cette histoire de rencontre et de foule, à la porte de la ville de Naïn. Ces endroits où l’on croise beaucoup de monde, des visages connus, moins connus ou inconnus. Des regards qui rayonnent et d’autres qui restent fermés, repliés...tristement inclinés!

Sans doute m’est-il arrivé de changer de caisse, d’itinéraire pour éviter de croiser telle personne. Enfin non, pas la personne en tant que telle, mais tout ce dont elle est chargée... Que dire ? De toute manière, ça ne va rien changer pour elle. Combien de fois ai-je entendu des paroles qui rassuraient plus le bien portant que le souffrant. Combien de fois me suis-je entendu bafouiller quelques banalités, sans bien savoir que raconter!
C’est vrai, je me rends compte qu’il n’est pas évident de croiser un convoi, un convoi de tristesse!

Mon père est décédé subitement...
On m’a diagnostiqué un cancer...
Mon fils s’est ôté la Vie...
Je suis en séparation... tout se complique! Je suis en dépression...
Je suis au chômage depuis plus d’une année... J’ai perdu mon bébé d’une maladie...
Mon enfant a été abusé...
On entend tout cela, on peut entendre tout cela! Il suffit que je tende l’oreille dans mon centre commercial ou le long de ma rue marchande. Il suffit que je regarde autour de moi, que j’imagine les histoires des personnes que je croise. Une suite de convois funéraires, de convois portant tant de tristesses.
Alors on se dit:
Pour finir, ça ira mieux...
Le temps fera son travail...
Derrière les nuages, le soleil est toujours là... Voyons le positif, les petites choses du quotidien.. Cela aurait pu être pire...

Juste que dans la situation que Jésus croise, cela n’aurait pas pu être pire!
C’est le pire, le fond du fond: une veuve qui perd son fils unique. C’est le convoi sans consolation qui marche de manière machinale, sans s’arrêter. C’est là qu’on se dit qu’il n’y a pas de recommencement possible. C’est trop cassé, brisé. C’est trop dur! C’est comme si Jésus croisait l’ensemble des situations de mon centre commercial en une fois, boum ! là, d’un coup!
Et puis Jésus n’est pas seul. Il est accompagné de ses amis, ils sont plutôt contents. Ils ont vu déjà quelques petites choses merveilleuses se produire. Jésus n’est pas comme tout le monde. Il les attire, il a du charisme, il est étonnant. Alors, à l’entrée de cette ville, ce n’est juste pas le moment de croiser toute la misère du monde! Cela va gâcher la fête, plomber la marche. On va recommencer avec les plaintes et la tristesse plutôt que de continuer dans la joie et l’allégresse.

Mais à ce moment-là, le texte nous dit: «En la voyant, le Seigneur Jésus fut profondément ému pour elle et il lui dit: Ne pleure plus!». Il y a quelque chose d'extraordinaire dans cette rencontre. Au commencement, au départ, il y a la compassion, l’émotion, l’amour profond. Jésus est pris aux entrailles nous dit le texte. Une expression qui situe un degré d’émotion super élevé que l’évangéliste Luc n’utilisera qu’à deux autres reprises : dans la parabole appelée du «Fils prodigue» et dans celle du «bon Samaritain».

Dans cet élan de compassion de Jésus, le cri qui sort de ses entrailles est très étonnant:
«Ne pleure plus! ». Un ordre, une exclamation... En tout cas, pas une consolation! Enfin, je n’ai jamais essayé cette réplique dans mon centre commercial, mais je doute fort de sa pertinence!
Après avoir dit «Ne pleure plus», Jésus poursuit en s’investissant totalement pour cette femme, et c’est peut- être la raison de cette parole. Comme si c’était l’introduction avant l’action, la parole prophétique avant l’accomplissement.
Ensuite, il s’avança. Un déplacement pour se positionner proche du défunt, devant le cercueil, face à la mort. Alors il toucha le cercueil, il toucha ce qui transportait le mort, la mort. Ce geste fit arrêter le convoi. Surprise, indignation! Quel culot d’agir ainsi en de pareilles circonstances...
Quel culot d’oser arrêter le convoi funèbre, d’oser poser un autre regard sur ce qui se passe!
Quel culot de déranger le cours inévitable de la vie, du deuil, du monde. Le convoi funèbre est en marche, personne n’a l’autorité de l’arrêter! Il avance lentement mais sûrement vers les tombeaux de l’oubli, de la résignation, de la culpabilité.
Quel culot que celui de Jésus: «Jeune homme, je te l’ordonne, réveille-toi! Le mort s’assit et se mit à parler. Jésus le rendit à sa mère.»
Le mort s’assit et se mit à parler. Cette formulation est très étrange. Un mort, donc pas encore vivant, qui se met à parler (...). Qu’a-t-il dit à sa mère, à ce moment précis? Situation étrange, où l’essentiel se résume à une relation de nouveau possible entre deux personnes, entre cette mère et son fils.

Je retourne dans mon centre commercial et me demande, après avoir écouté ce texte : quelle ouverture me donne-t-il pour être plus adéquat face aux convois de tristesse que je croise?
- Distribuer des «Ne pleure plus ! » ? Non, ça ne va pas...
- Prier pour le retournement de la situation ? Oui, mais si ça ne se passe pas comme dans le texte… Non cela ne va pas, je ne suis pas Jésus. Je n’ai pas à me prendre pour lui, heureusement du reste!
Je sais par contre que nous avons développé des techniques d’écoute, d’empathie qui accompagnent et accueillent justement les convois de tristesse que nous croisons. Jésus s’est du reste distingué dans d’autres rencontres par son écoute et sa capacité à chercher une relation profonde avec l’autre. Mais pas dans le texte d’aujourd’hui!
Peut-être que ce récit ne veut pas nous donner la marche à suivre pour rencontrer l’autre, mais qu’il nous introduit à la rencontre que Dieu espère avec nous, au recommencement auquel il nous invite.

Dans la suite de l’action pleine de culot de Jésus posant sa main sur le cercueil et disant: «Ne pleure plus», la foi chrétienne partage des paroles pleines de culot pour tous les convois de tristesse qui se forment de par le monde.

Petit regard croisé avec le texte des Éphésiens. Comme à la porte de Naïn, cela commence par une émotion : «Dieu est riche de compassion et il nous aime d’un grand amour » (Éphésiens 2, 4). Et puis la mort, avec tout ce que je peux mettre dans ce mot, ne fait pas peur à Dieu. Rappelons-nous à la porte de Naïn, Jésus touche le cercueil. Dieu va au devant de la mort. « C’est pourquoi, à nous qui étions morts à cause de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ. Vous êtes sauvés grâce à la bonté de Dieu! » (Éphésiens 2, 5). Il nous donne la vie avec le Christ! Ce verset affirme que nous sommes vivifiés en Christ et que cela part d’une émotion d’amour de Dieu, d’une Grâce. C’est Dieu qui rend possibles la rencontre, le Salut, la Vie.

« Avec Jésus-Christ, il nous a ressuscités et nous fait asseoir dans les cieux » (Éphésiens 2, 6). Contrairement à d’autres passages du Nouveau Testament qui parlent de l’espérance de la résurrection, ces versets proclament la résurrection déjà effective, accomplie. C’est le mort qui s’assied dans sa civière et se met à parler! Par la résurrection du Christ, nous sommes revivifiés, déjà vivants pour l’éternité. Quel culot de proclamer cela! On est assis dans les cieux avec Christ, comme ce fils sur sa civière. Quel culot de proclamer cela!

« Ainsi, par sa bonté envers nous en Jésus-Christ, il nous montre pour les temps à venir la richesse surabondante de sa grâce » (Éphésiens 2, 7). Une richesse surabondante dont nous sommes bénéficiaires et que nous pouvons partager.
Partager dans mon centre commercial? Alors oui, j’essaie d’écouter et de comprendre de quelle manière je peux être témoin, porte-parole ou acteur de cette grâce de Dieu.

«Oui nous sommes son ouvrage, nous avons été créés en Jésus-Christ pour des œuvres bonnes que Dieu a préparées d'avance, afin que nous marchions en elles » (Éphésiens 2, 10).
Quel culot de penser que nous pouvons mettre nos pas dans ceux du Christ, que nous pouvons prétendre à des oeuvres bonnes.

Dans la suite de la rencontre vécue devant la porte de Naïn, le peuple proclame : « Un grand prophète s’est levé parmi nous, Dieu a visité son peuple! » (Luc 7,16).
Quel culot d’affirmer encore aujourd’hui que Dieu visite son peuple, plein de bonté et de compassion: Dieu me visite, te visite, nous visite... et que sa rencontre nous invite à avoir «le culot» de marcher dans des oeuvres bonnes, avec LUI, au croisement de convois de joie ou de tristesse..

Malgré la mort ou les situations de mort que nous accompagnons ou que nous portons, à chaque fois que Dieu me visite, te visite, nous visite, il nous offre de recommencer, avec culot, sur le chemin de la Vie.

Amen.

Une méditation sur le texte de la rencontre entre Jésus et un convoi funèbre. Une méditation, entrecoupée de chants conduits par un groupe de musique, qui invite à la prière et au cheminement. "L'éternel recommencement", c'est le thème de cette série de trois cultes au Temple des Croisettes.

Détails

Avec la participation de
Jean-Claude Gonthier
Orgue
Anne Chollet
Musique
Lino Perdrix aux percussions, Cécile Willa à la flûte traversière et Marie Lipp et Julie Schaffer au chant