Des lépreux… aux anges

image

A Samarie, on a faim ! Les paniers à pain comme celui que je tiens sont vides. Plus rien à croquer. Plus rien à espérer. On a faim de pain, comme on peut avoir faim d’amour. Ecoutez cette histoire qui le dit bien.
C’est dans une léproserie, un enclos à lépreux, au sens le plus vil du terme. Des humains défigurés sont là, qui ne font rien, qui tournent en rond dans une petite cour de quelques mètres carrés, sorte de cage aux souffrances. Des êtres seuls, reclus, pour qui tout est déjà silence et nuit. Mais l’un d’eux, un seul, a gardé les yeux clairs. Il sait encore sourire et dire merci. Un seul, différent des autres. Une religieuse voulut comprendre et se mit à le surveiller.
A force de patience, elle vit ce petit manège : par-dessus le mur d’enceinte, apparaissait un visage. Un petit bout de visage de femme, pas bien gros, mais qui souriait. Le lépreux était là, attendant de recevoir ce sourire comme la rosée de l’aube ou comme un morceau de bon pain quand on a faim. L’homme souriait à son tour et le visage disparaissait. Alors commençait son attente jusqu’au lendemain.
Quand la missionnaire le surprit, il lui dit, gêné : C’est ma femme, mon grand amour ! Avant qu’on me mette ici, elle a tout fait pour moi, m’a soigné en cachette. Matin et soir elle m’enduisait la figure, sauf un petit coin. Juste assez pour m’embrasser. Mais le mal a gagné. On m’a ramassé. On nous a séparés de force et elle m’a suivi. Alors quand elle apparaît, au haut du mur, chaque jour, on ne se dit rien, on ne se touche pas, mais quand je la vois, je sais par elle que je suis encore vivant !

C’est ce qui s’appelle une apparition qui change la vie, non ? Et c’est parfois ce qu’il nous faudrait, à nous aussi, pour reprendre espoir. Et c’est ce qu’il faudrait à notre humanité ou à Samarie, la ville qui a épuisé ses ressources. Oui, y a-t-il quelqu’un qui pourrait redonner l’espérance aux assiégés de Samarie, aux affamés du monde et à nous ? Ce dimanche, laissez-moi vous dire avec force – ici et sur les ondes – que quelqu’un est intervenu dans l’Histoire. A Samarie comme à Bethléem, Il est venu changer la donne.

Pendant le siège de Stalingrad en 1942-43, j’ai lu que tant de soldats allemands avaient si froid, si faim, si peur, que la plupart hurlaient que Dieu n’existait plus ! J’imagine le même état d’esprit lors du siège de Samarie relaté au 2ème livre des Rois. Et je ne peux m’empêcher d’y voir un reflet de notre monde en détresse.
Horrible réalité où l’on en vient à manger de la chair humaine et de la fiente de pigeon, où l’on voit le roi arracher ses habits et menacer Dieu et son prophète. C’est dans ce contexte de profond désespoir qu’un homme de Dieu va se lever et annoncer un revirement inespéré : Moi, Elisée, je dis que demain y aura du pain pour tous !
Il n’a pas fini sa phrase qu’un tollé s’élève : «Même si le Seigneur envoyait du grain en perçant des trous dans le ciel, ce que tu dis n’arrivera pas !» Tu plaisantes. Ventre vide mais cœur plein d’incrédulité. Il faudrait que Dieu fasse des trous dans le ciel. C’est tellement nul et compromis sur la terre, que même si Dieu ouvrait le ciel et descendait, ça ne changerait rien ! Et le comble, mes amis, c’est que Dieu l’a fait. Au temps du prophète Elisée, comme au temps du Romain Quirinius; à Samarie puis à Bethléem, Il a poussé la porte.

Mais filons tout de suite à Samarie. Rejoignons ces premiers témoins de l’intervention divine. Surprenants témoins. Ni journalistes, ni paparazzi, mais quatre lépreux. Pensez, ils s’étaient retrouvés entre les assaillants et les assiégés. Pris en sandwich. Mais de sandwich, il n’y en avait plus depuis longtemps, ni pour eux ni pour personne !
Et ces quatre paumés, oubliés, décriés, je ne peux m’empêcher de les rapprocher des bergers de la nativité. J’ai vraiment l’impression qu’ils se donnent la main. La première chose qui me frappe, dans les deux groupes du reste, c’est qu’ils ont pris des risques.
- Descendons voir le camp des Syriens, disent les lépreux ! S’ils nous laissent vivre, on vivra; s’ils nous tuent, nous mourrons.
- Allons jusqu’à Bethléem et voyons ce qui s’est passé, disent les bergers ! On saura vite si le scoop de cette nuit vaut un bon méchoui !

Les premiers risquent leur vie en allant mendier dans le camp ennemi, les autres, prennent le risque de laisser leurs troupeaux sans gardiens. (Le risque fait partie de la foi.)
Le fait est qu’ils se sont mis en route. Les voici déjà en vue du camp. Ils observent, ils écoutent. Pas de mouvement, aucun bruit : personne ! Pris d’une soudaine panique, les ennemis ont décampé, laissant tout sur place, tentes, vivres et matériel. Incroyable ! Si une caméra les filmait, on verrait des lépreux aux anges ! Imaginez quand on a faim, et qu’on tombe sur un magasin de nourriture. On dirait le festin de Babette à l’envers. Quel contraste entre les assiégés qui ne savent rien, qui n’ont rien et nos gaillards qui s’en mettent jusque là !
Et l’on voit quatre parias prendre une revanche sur les nantis : ils mangent, boivent, emportent et vont cacher. Puis, les poches pleines, gavés, ils se regardent. Un sursaut de conscience les flashe : «Ce que nous faisons n’est pas bien: aujourd’hui nous savons une bonne nouvelle et nous la gardons pour nous !» Or dans la ville, les gens continuent à mourir de faim. Alors oui, cette bonne nouvelle, si nous attendons qu’il fasse jour pour la publier, Dieu nous punira certainement ! On n’a pas le droit de garder nos victuailles juste pour nous.
«Voici je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d’une grande joie, c’est qu’aujourd’hui vous est né un Sauveur !» (Luc 2, 10) Pour les lépreux, c’est Noël avant l’heure, mes amis ! Mais pour les autres, qui crèvent de faim et ignorent tout ? L’ennemi n’est plus maître de la place, l’heure de la délivrance a sonné, mais n’y aurait-il que quatre élus ? Oh ! non, le sauvetage est pour tous, et ça doit se savoir à Samarie. Dès lors, la ville fut littéralement « évangélisée », c'est-à-dire mise au parfum de la bonne nouvelle. Puis, le roi fut avisé, et que pensez-vous qu’il arriva ? Que tous se sont rués pour chercher leur morceau de pain? Qu’on est sorti joyeusement fanfare en tête ?
Eh! bien non, car une voix a crié bien fort : trop beau pour être vrai ! Vous voyez, c’est une vieille histoire. Ca fait une paire d’années que Dieu nous fait signe et ça fait une paire d’années qu’on est trop compliqué pour accepter son action. Ce salut gratuit, ce siège levé sans condition, c’est louche. L’homme voudrait payer, mériter son salut; mais notre Dieu, lui, offre. A Samarie comme à Bethléem, tout est offert.

Revenons à nos lépreux, et à leur magnifique aveu : Ce serait mal de garder pour nous cette bonne nouvelle ! En français d’aujourd’hui, les jeunes diraient : Ce serait pas cool de garder tout ça pour nous ! Comme je voudrais que ces mots frappent beaucoup d’entre vous. Si les lépreux se sont hâtés tout à coup, avant la venue du jour, ne faisons pas moins bien qu’eux ! Car la nuit enveloppe le monde jusqu’au retour du Christ.
Même s’il est difficile de témoigner, si l’accueil de l’amour de Dieu est souvent mitigé, on ne garde pas un trésor pour soi. Ferons-nous moins bien que ces lépreux qui ont goûté une nourriture abondante et partagé ? Vous arrive-t-il de penser à ceux qui meurent dans la ville, parce qu’ils ne savent pas ? Si Dieu nous a touchés et libérés un jour, nous ne pouvons pas nous taire.
Oui, Dieu est intervenu à Samarie ! Mais il a fait plus. Il est venu à Bethléem, la « maison du pain » en hébreu. C’est là qu’il est venu combler la fringale des hommes, parce que Jésus est le pain vivant descendu du ciel.
Chers paroissiens/auditeurs, un dernier mot. Si c’est nous qui avions dû propager le message de l’amour de Dieu, à qui l’aurions-nous confié ? Sans doute aurions-nous choisi l’homme ou la femme de l’année ? Le chef d’état le plus charismatique au monde ? Ou le Ballon d’or 2009, puisqu’il s’agit d’un petit Messie !
Eh bien Dieu, lui, s’y est pris tout autrement ! A qui a-t-il confié sa bonne nouvelle ? A des lépreux, handicapés marginaux. Puis à des bergers, sorte d’enfants terribles de Judée, plutôt jeunes, pas spécialement qualifiés. Après eux, le Seigneur a compté sur deux vieux, Siméon et Anne (84 ans), qui ont su dire que l’enfant dans les bras de Marie serait « la lumière des nations ». Bravo les retraités !
Puis, c’est un brigand qui passe plus loin la bonne nouvelle. Lui, réussit à se faire offrir un « p’tit coin d’paradis » par Jésus qui meurt avec lui. Et grâce à lui, des millions de gens savent dès lors que même si on a tout perdu, tout gâché, tout foiré, on a quelqu’un qui peut nous hisser dans les bras de Dieu!
Noël tsigane l’a rappelé: Dieu a même confié son évangile à des Gitans. Certains m’ont raconté quand j’étais plus jeune que ce sont des gens du voyage qui les avaient boostés et bénis dans leur foi. Des gens à qui on n’aurait pas pensé. Ainsi, tu peux être en prison ou libre, affamé ou bien-portant, si c’était toi que Dieu attendait pour devenir son témoin aujourd’hui ? Et pourquoi le ferais-tu, sinon parce que le monde attend cette bonne nouvelle?

Amen !