Nous sommes tous des Théophile

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Cher Luc, je me permets de t’appeler par ton prénom puisque tu m’as envoyé deux livres dédicacés à mon prénom à moi, Théophile. Je les ai lus avec attention et passion tant ils sont intéressants. Tu as fait là une belle œuvre d’historien, mais pas seulement : tu rends ici un beau témoignage au Christ et à toutes celles et ceux qui le suivent.
Il est vrai qu’en lisant les premiers mots de ton livre, j’ai été touché, flatté de l’honneur que tu me fais à moi, Théophile. Merci pour ton geste d’amitié : la dédicace de ton évangile et du récit des actes des apôtres. À leur lecture, j’ai découvert que je ne suis pas le seul Théophile au monde, je porte un joli prénom dont la signification peut rejoindre beaucoup de personnes. Théophile, ami de Dieu. Des amis de Dieu, il en y a partout. C’est à tous ces amis de Dieu que nous sommes que tu t’adresses. C’est à tous les Théophile que nous sommes que tu écris, mon cher Luc, pour parler du Christ et de la bonne nouvelle annoncée depuis Jérusalem jusqu’aux extrémités de la terre.

Dans ton deuxième tome, tu racontes comment l’Évangile est parti de Jérusalem pour arriver en Europe. C’est une grande fresque des 30 premières années de l’histoire de l’Église que tu dresses là, où après bien des péripéties Paul arrive enfin à Rome.
Ah…Rome : ville magnifique, ville grandiose ! J’en connais plusieurs parmi nous qui aimeraient bien y aller, la visiter. Rome, une ville qui fait rêver ! Rome, ville d’un million d’habitants, ville très cosmopolite avec une multitude d’étrangers venus de tous les coins de l’Empire attirés par le pouvoir ou le savoir, attirés par le luxe ou le plaisir. Rome, la capitale de notre monde, de l’Empire romain. Rome, avec son empereur, ses fastes, ses triomphes aussi. Rome la capitale, Rome la ville aux innombrables temples païens, mais aussi ses treize synagogues. Rome, devenue point de ralliement aussi pour les chrétiens. Ce n’est donc pas pour rien que tu t’appliques de la sorte à nous montrer que l’Évangile est parti de Jérusalem pour arriver enfin à Rome, la capitale. Quel voyage fantastique ! Paul est parvenu là où il désirait tant se rendre. Depuis le temps qu’il voulait y annoncer l’Évangile. Ça y est : il est arrivé !
Il y est, d’accord, mais dans des conditions un peu particulières, car tu nous apprends que Paul est prisonnier, plus particulièrement qu’il est assigné à résidence. Paul est bien à Rome, mais il n’est pas libre de ses mouvements. Certes, il ne peut plus « prêcher aux carrefours et sur les places », mais on vient à lui pour l’entendre prêcher ! Ironie du sort, les soldats qui le gardent sont bien involontairement au bénéfice de son témoignage.
Décidément Luc, tu ne manques pas d’humour, ou plutôt tu nous montres que Dieu se montre plus fort, plus fin, plus subtil que ce que nous croyons être des entraves à la propagation de l’Évangile. Paul est emprisonné, soit, mais la parole de Dieu reste libre ! Paul voulait voir Rome, il l’a vue, mais en liberté surveillée ! Bien que lui soit entravé, la prédication de l’Évangile, elle, reste sans entraves.

Et nous, est-ce qu’il ne nous arrive pas parfois de nous retrouver comme Paul ? Nous projetions de réaliser telle ou telle chose, nous sommes arrivés au but et tout ne se passe pas comme prévu ? Ironie du sort qui s’acharnerait contre nous ? Ironie de Dieu qui nous indique au contraire que tout va bien, qu’il a la situation bien en main. Nos situations sont parfois comparables à celle de Paul : nous sommes parfois enchaînés nous aussi, à nos habitudes, à nos conforts, à nos soucis, nous sommes emprisonnés comme Paul. Emprisonnés certes, assignés à résidence, d’accord, mais, nous aussi, nous sommes libres. Cette liberté d’enfant de Dieu, cette liberté de foi, cette liberté-là, personne ne peut nous l’enlever. Nous pouvons être comme Paul : tout entravés que nous soyons, nous demeurons libres d’accueillir la parole de Dieu et d’en témoigner.
Il y a tout de même quelque chose qui me turlupine, quelque chose que je ne comprends pas bien. Toi qui es si précis, tu dis même que tu as voulu faire un travail d’historien. Je reprends tes mots : « Je me suis renseigné exactement sur tout ce qui est arrivé depuis le début… j’en écris un récit suivi pour que vous puissiez reconnaître la vérité des enseignements que vous avez reçus. »
Qu’est-ce qui s’est passé à la fin des actes ? Pourquoi ton récit ne va-t-il pas jusqu’au bout ? En voilà une drôle de fin ! Cela ne te ressemble pas. On dirait que tu as bâclé la fin, on dirait que ton œuvre est inachevée. Est-ce vraiment cela ? Ne me dis pas oui !
Tu avoueras que la fin de ton livre peut surprendre, c’est bizarre. Serais-tu tombé malade et du coup, tu n’as pas pu continuer ? Aurais-tu eu des problèmes de rédaction ? Aurais-tu subi des pressions ? Aurais-tu perdu un manuscrit ? Non, ce n’est pas possible, cela ne te ressemble pas du tout : toi qui es si soigneux, si méticuleux, si ordré, tu ne peux pas avoir oublié ou égaré un document ! Aurais-tu été cambriolé alors? Si c’est le cas, la police a-t-elle retrouvé les malfrats ?
Quoi qu’il en soit, Luc, tu nous laisses sur notre faim, avoue-le ! Paul est arrivé à Rome, d’accord, mais après ? Que s’est-il passé ? Qu’est-il devenu ? A-t-il, oui ou non, comparu devant l’empereur ? A-t-il disparu de la circulation à tel point que plus personne, même ses proches, n’ait plus jamais entendu parler de lui ? Bizarre tout de même !
Voilà comment ton texte se termine : « Paul prêchait le royaume de Dieu et enseignait ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ avec une pleine assurance et librement. » C’est tout. Pour la suite, silence radio ! C’est un peu rude comme fin, non ? Elle laisse la porte ouverte à toutes sortes d’élucubrations sur le sort de Paul. Attention Luc, avec une fin comme celle-ci, la légende va s’emparer de Paul. J’ai même déjà entendu raconter que Paul serait parti en Espagne, terre d’exil pour les ressortissants de l’Empire romain. C’est vrai ça ? Tu es au courant de ce voyage ? Et puis, pourquoi l’Espagne et pas la Suisse ou un autre pays?

Pour l’instant, Paul est porté disparu, nous avons perdu sa trace et cela ne semble pas te tracasser outre mesure. Pourquoi ? Paul aurait-il été victime d’un accident, d’un attentat ? Tu sais, à l’heure actuelle, tout peut arriver, les gens sont devenus fous : pour faire entendre une cause, on tue des innocents ! C’est malin ! Paul serait-il mort martyr ? Nous ne le saurons peut-être jamais. C’est peut-être pour cette raison, justement, que tu termines ainsi ton livre des actes : sur un point d’interrogation. Les actes se termineraient sans se terminer vraiment, pas bête comme raisonnement finalement !
Je veux bien admettre que ton livre, que j’ai sous les yeux, n’est pas une biographie de Paul, soit. Qu’il ait été en Espagne ou ailleurs, qu’il se soit perdu en mer ou qu’il ait été condamné puis exécuté à Rome, peu importe en somme. Paul a disparu certes, mais ce n’est pas la fin ; il reste présent parmi nous. Après tout, en son absence, l’Évangile qu’il proclame vit dans ses lettres entre autres. Paul a disparu, mais l’Évangile qui l’avait envoyé nous porte aujourd’hui. C’est ce que tu nous dis en terminant ainsi ton livre, mon cher Luc.
Si nous avons perdu la trace de Paul, sa réflexion continue de fermenter la nôtre. Aujourd’hui encore j’aime à relire ses lettres ; cette lecture reste pour moi une mise en marche. De cette manière, je deviens véritablement ce que je suis : Théophile, un ami de Dieu qui suit le Christ. Ainsi s’accomplit la parole que Paul avait peut-être déjà prononcée à la fin de ton livre quand il prêchait le royaume de Dieu : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi. »
Tu sais Luc, toute réflexion faite, ton livre des actes, je l’aime beaucoup, et même la façon dont il se termine, même si cela me surprend un peu et me surprendra toujours. Tant mieux après tout.
Tant mieux, parce que ce passage est le dernier des Actes ; et il n’est pas une conclusion mais un programme de vie, pour moi, pour vous, pour chacun d’entre nous, pour tous ceux qui nous écoutent en ce moment. Je croyais que tu n’allais pas au bout de ton histoire, qu’il manquait des pages à ton livre, je me trompais. C’est parce que je me trompais de héros en fait : le vrai héros, celui dont tu ne cesses de nous parler, ce n’est pas Paul, mais la Parole, la bonne nouvelle de l’Évangile. C’est la proclamation du Christ qui est au centre de l’histoire. Il ne manque pas de pages à ton livre, car il est encore en cours d’écriture ! C’est une histoire qui paraît inachevée parce que nous avons tous à l’écrire. Elle n’est pas encore terminée.
Oui, Luc, tu vas bien jusqu’au bout de ton histoire : tu as arrêté ton récit là où l’Évangile devait continuer sa route. Tout est ouvert à présent : l’Évangile est arrivé à Rome, la Parole de Dieu a atteint le cœur du monde connu et, de là, elle peut se répandre partout. Aujourd’hui encore il en est ainsi, et moi qui vous parle je ne fais rien d’autre que de continuer l’histoire des actes, l’histoire de Paul, mon histoire et toutes les histoires de vie qui font l’histoire de l’église.

Luc, ton livre est un chef d’œuvre, quelle fin géniale tu as écrite là ! Tu termines sur une scène de respiration, d’inspiration, d’ouverture et de liberté malgré tous les obstacles. Tu nous dis que c’est à nous de poursuivre la tâche. C’est à nous de trouver comment annoncer et vivre l’Évangile, même enchaînés d’une manière ou d’une autre. C’est à nous aujourd’hui de continuer à proclamer et enseigner Jésus-Christ qui règne non seulement depuis Rome, mais depuis Sainte-Croix, depuis tout le canton de Vaud, depuis la Suisse romande, Christ qui règne sur notre monde.
Quel cadeau ! Merci Luc pour cette fin. Merci parce que c’est à nous de poursuivre la mission de Paul. Mais pas seulement de Paul, la mission de Pierre et de tous les autres apôtres.
Merci Luc, parce ce que c’est à nous de nous sentir concernés pour que nous poursuivions ce moment de grâce où la Parole est librement répandue. C’est à nous de reprendre à notre compte les deux derniers versets de ton livre. C’est à nous de prendre le relais et d’être porteurs de la bonne nouvelle. Quelle belle fin, quel cadeau merveilleux cher Luc : «Paul recevait tous ceux qui venaient le trouver, proclamant le règne de Dieu et enseignait ce qui concerne le Seigneur Jésus, avec une entière assurance et sans entraves.

Vous tous chers amis, vous tous chers Théophile, vous tous chers « Amis-de-Dieu » : poursuivons la tâche de Paul.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Karin Fuchs
Musique
Luc Fuchs, clarinette basse