Tu es mon fils (ma fille) bien-aimé(e)

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C’est comme une histoire qu’un ami nous raconte. Une histoire brève. Une histoire qui a quelque chose à nous dire.
Jésus quitte son village, Nazareth en Galilée. Il a une trentaine d’années. C’est la première fois que l’évangile nous parle de Jésus adulte. C’est le début de sa vie publique, après sa vie cachée en Galilée dont on ne sait pas grand-chose. Jésus va au Jourdain, grande rivière qui part du lac de Tibériade et rejoint la mer morte. Là il retrouve la foule des hommes et des femmes qui répondaient à l’appel de Jean-Baptiste « Repentez-vous, car Dieu est proche. Il est temps de changer d’orientation dans votre vie, faites vite ! » Et il plongeait dans l’eau celles et ceux qui répondaient à son appel. Le texte dit qu’ils « confessaient leurs péchés », c’est-à-dire, au moment où ils répondaient à l’appel de Jean et plongeaient dans l’eau, ils ressentaient le besoin de mettre de l’ordre dans leurs vies, d’être en ordre avec Dieu. Voilà le sens de ce rite de purification.

Tout nous porte à penser que Jean, à la suite des prophètes de la Bible, s’adresse à des croyants dont la foi – tout en étant enracinée dans la tradition biblique – a besoin d’un geste ou d’un signe pour s’épanouir. Pour les prophètes il n’y a pas de croissance spirituelle sans l’expérience d’une réconciliation avec Dieu et avec nos proches. Le retour sur soi proposé par les prophètes est essentiellement un acte de lucidité : reconnaître qui nous sommes réellement, reconnaître aussi ce dont nous avons besoin pour vivre. Et le pardon de Dieu est expérimenté comme une purification, une nouvelle naissance, symbolisée par le bain rituel.
Vous savez, nous sommes des êtres en chair et en os. Nous ne sommes pas de purs esprits. Nous avons besoin de vivre notre spiritualité dans notre corps, car le corps fait le lien entre le plus profond de soi et ce qui nous entoure. Le corps est le lien concret entre le monde visible et invisible, c’est pourquoi l’apôtre Paul dit qu’il est un sanctuaire, un temple, dont nous sommes responsables. En effet, si le lien avec Dieu est rompu, inévitablement, nous sommes comme des arbres déracinés. Nous ne puisons plus à la source. Sans nous rendre compte, nous épuisons nos ressources et devenons malades spirituellement et quelquefois même physiquement. Le baptême pratiqué par Jean le Baptiste rend compte de cette situation de mensonge et d’illusion que la Bible appelle le péché. Par le bain purificateur, le croyant signifiait la rupture avec son passé, ainsi que sa volonté de recommencer sa vie sur une autre base.

Voilà ce que Jésus, croyant juif, va vivre avant de commencer son activité de prédicateur : épouser totalement la condition humaine par ce bain rituel dans les eaux du Jourdain. Pas de discours programmatique, pas de condamnation morale, pas de mépris de l’humanité, pas de refus du corps. Le salut de Dieu, dont il est le témoin autorisé, ne peut se réaliser sans que Dieu lui-même ne vienne habiter la vie humaine par son Esprit et la transformer de l’intérieur. Le salut de Dieu ne se fait pas au mépris de l'humain. Il l'accomplit. Il épouse ses méandres, assume son péché. Pas de déni de la condition humaine. Celle-ci est touchée par Dieu afin qu’elle puisse être conduite vers son accomplissement.
Le récit met dans la bouche de Jean le Baptiste une sorte d’interprétation de l’événement. "Celui qui est plus fort que moi vient après moi et je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la lanière de ses sandales. Moi je vous ai baptisé de l’eau, mais lui vous baptisera d’Esprit Saint" (v. 8). Sous-jacente à cette affirmation, il y a une polémique bien connue des historiens du Nouveau Testament. Un groupe revendiquait certainement la primauté de la mission de Jean sur celle de Jésus, car, pendant un certain temps, Jean et Jésus ont mené une même action. Selon ce que nous apprennent les évangiles, l’un et l’autre ont baptisé ; l’évangile de Jean rapporte en effet que « Jésus vint avec ses disciples au pays de Judée et il y baptisait ; Jean baptisait aussi à Aenon près de Salim, où les eaux sont abondantes. » (Jn 3, 22-23). On trouve ici et là dans les évangiles de petites phrases qui montrent à la fois la ressemblance et la distinction entre la mission de Jésus et celle de Jean le Baptiste. Mais dans notre texte se trouve une affirmation de la foi des premiers chrétiens. Jean devient leur porte-parole quand il dit : « Je vous ai baptisé d’eau mais lui vous baptisera d’Esprit Saint ! » Voilà donc leurs missions respectives. L’un appelle à la repentance, au changement de vie, l’autre, comblé par l’Esprit de Dieu, partagera largement cet esprit parmi les humains.
La suite du texte le dit clairement : l’Esprit est descendu sur Jésus à la manière dont une colombe se serait posée sur lui. Et il est donc investi d’une mission nouvelle qui n’est ni celle des prophètes qui l’ont précédé ni celle de Jean le Baptiste.

Qui est alors Jésus ? Il est tout d’abord celui qui vient ces jours-là, dit le texte, de Nazareth en Galilée. Un homme situé dans le temps et dans l’espace. Il est aussi quelqu’un qui assume pleinement notre condition. Un homme comme vous et moi. Un homme qui, en se faisant baptiser dans le Jourdain, manifeste son appartenance au peuple d’Israël qui avait, lui aussi, traversé les eaux de la Mer Rouge ainsi que les eaux du Jourdain avant d’entrer en Canaan, la Terre promise. Et de même que la terre promise est symbole du Royaume de Dieu, l’eau du Jourdain, comme celle de la Mer Rouge, est le symbole de tout le mal qui est capable de nous engloutir. L’eau, signe de mor,t devient eau purificatrice, signe de vie, dans le baptême. En se faisant baptiser, Jésus s’identifie à un peuple et rejoint toute une histoire où Dieu s’approche des hommes et fait alliance avec eux. Dans un autre registre, il est aussi prophétie d’une réalité à venir.
En effet, si l’eau apparaît à ce moment-là comme signe de mort et de vie, elle a davantage encore un autre sens : elle préfigure la mort et la résurrection de Jésus. Par son baptême, Jésus annonce ce qui va lui arriver. Ce que tout l’Ancien Testament avait dit par le symbole de l’eau, signe de mort et de vie, prend désormais son sens le plus fort : l’eau du Jourdain, l’eau du baptême de Jésus, l’eau de tous nos baptêmes, est bien le signe d’une mort et d’une vie qui nous font entrer dans le monde nouveau, recréé par l’esprit de Dieu.
Vous comprenez pourquoi, à ce moment-là, les cieux se déchirent. L’image est saisissante. Le firmament, symbole de protection mais aussi de séparation, ne peut plus empêcher que l’éternité rencontre le temps et que l’Esprit rencontre la chair. Cette image en rappelle une autre, celle du récit de la création du monde où il est écrit que l’Esprit de Dieu planait sur les eaux, à la manière dont vole un oiseau, manifestant par là son intention de faire alliance, de nous rejoindre et de manifester sa bienveillance envers nous. De même, la colombe rapporta à Noé le rameau d'olivier qui annonce la paix messianique qui est plénitude et harmonie suprême. L'image de la colombe suggère cette liberté souveraine, cette mobilité et cette tendresse qui caractérisent le Dieu de la Bible.
Et des cieux vint une voix : "Celui-ci est mon Fils bien aimé, il m’a plu de le choisir" ! L’homme de Nazareth est donc le Christ, l’envoyé de Dieu, désormais présent au cœur de l’humanité.

Et pour nous, qui est Jésus ? Cette question n’est pas superflue, car souvent les chrétiens qui portent son nom ne le connaissent pas vraiment. Jésus reste souvent voilé, caché, derrière un ensemble de préceptes moraux ou derrière une croyance au contenu mal défini. Cependant, nous pouvons réellement le connaître et cette connaissance n’est pas tellement le résultat d’une enquête historique, mais elle surgit d’une expérience spirituelle. Et c’est l’Esprit de Dieu, cet Esprit annoncé par Jean le Baptiste, que Jésus a répandu sur ses amis et sur le monde, qui nous permet d’établir avec lui une relation personnelle. Ce nouveau baptême – cette fois dans l’Esprit, comme disait Jean le Baptiste – nous permet de vérifier par nous-mêmes et en nous-mêmes qu’il est le Christ vivant.
Toute la science des historiens ou des théologiens ne pourra que nous préparer – sans jamais la remplacer – à la rencontre personnelle avec Jésus-Christ dans notre vie, agissant à l’intime de l’être, à l’intime du cœur, au plus profond de chacun de nous, faisant de chacun de nous un enfant de Dieu.

C’est pour nous aussi que les cieux se déchirent, car la voix de Dieu a prononcé des mots si décisifs qu'ils résonnent encore à nos oreilles et cela jusqu'à la Fin du monde. En proclamant que l’homme Jésus est le Fils de Dieu, l’Évangile nous pousse en avant et nous assure solennellement que nous sommes nous aussi de la famille, parce qu'en Jésus-Christ c'est l'humanité que Dieu vient d’adopter. Ce que le Père a dit du Christ, Il nous le redit à nous aussi aujourd'hui : « Tu es mon fils (ma fille) bien-aimé(e). » À partir de ce moment, tout a radicalement changé pour nous et pour tous les humains.

Le baptême de Jésus est donc une occasion d'approfondir le sens de notre propre baptême. C'est un événement d'apparence banal, mais qui nous mène plus loin que ce que l'on aurait pensé. Vivre notre baptême doit nous révéler à nous-mêmes quelque chose de Dieu: qui nous sommes pour lui et qui il est pour nous.
Par ce texte biblique, une invitation nous est adressée : laisser la vie de Dieu rejoindre la nôtre, sa joie notre tristesse, sa paix notre peur, sa tendresse la dureté de notre cœur. Aujourd'hui, Dieu nous invite à donner tout son sens à notre être de chrétien, en vivant une vraie relation en tant que fils et fille de Dieu.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Nenad Djukic (pianiste)
Musique
Carole Haering Pantillon et Louis Pantillon, violons