Joie de vivre dans la communion avec Dieu

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Dans sa marche vers Jérusalem, Jésus a choisi de passer par le pays des exclus, la Samarie, où dix lépreux viennent à sa rencontre. Et suivant son habitude, Jésus est saisi de pitié devant ces personnes. Apparemment c'est une guérison parmi beaucoup d'autres, peut-être un peu plus spectaculaire puisque 10 personnes sont guéries.
Que signifie cette guérison groupée ? Sachant que le chiffre 10 signifie, dans la Bible, un nombre important de personnes, sachant encore que Dieu se fait connaître en la personne de Jésus de Nazareth comme un Dieu qui aime toutes ses créatures, sans discrimination aucune, nous y voyons tout d'abord le signe de sa sollicitude à l'égard de tous. Tous les hommes sont soutenus par cet amour constant. L'amour dont Dieu nous aime ne connaît pas de préférences. Quelle que soit la forme de " lèpre " (ou d'exclusion) dont nous souffrons, il veut nous guérir et Il agit dans ce sens. Aucune créature, qu'elle soit juive ou païenne, est exclue de l'œuvre du Christ. Voilà donc ce qui semble être le sens premier de cette guérison groupée.

Mais y a-t-il un homme sur dix qui le sache et le reconnaisse ? Il y a en tout cas un samaritain, un exclu parmi les exclus, qui revient sur ses pas…
Nous voyons d'abord, dans le retour du seul samaritain, une accusation contre Israël qui ne reconnaît pas l'œuvre de Dieu en Jésus, dans ce lieu et dans ce temps-là. Mais toute page d'Evangile est à lire au présent. Nous nous interrogerons alors sur notre capacité à reconnaître nous-mêmes les bienfaits de Dieu. En effet, aujourd'hui, le retour du lépreux, sa louange et son remerciement, sont comme sortis de l'écrit biblique pour envahir notre assemblée et nous questionner : alors, nous-mêmes, remercions-nous Dieu une seule fois sur dix ?
Tout comme les dix lépreux, nous allons volontiers vers Dieu pour lui adresser nos demandes. C'est là le premier niveau de la démarche religieuse. Tous les peuples prient. Toutes les religions demandent. On s'adresse à Dieu quand on est aux limites de ses propres possibilités. Et si le progrès scientifique peut apporter une satisfaction à beaucoup de nos besoins, il y en a toujours qui restent sans réponse. Ne nous étonnons donc pas que dans notre société sécularisée, technique, des femmes et des hommes prient toujours. Différentes enquêtes le démontrent : la prière est très prisée, contrairement à la pratique religieuse.
Cette affirmation apparemment contradictoire signifie que l'homme moderne, même s'il ne se reconnaît plus dans une religion - et même, tout simplement, dans la foi en Dieu - considère qu'il y a quelque part une force, une puissance dont il a besoin pour vivre. Que cette force soit en dehors de lui ou en lui, cela n'a pas d'importance. Elle existe vraisemblablement et elle peut lui apporter secours, santé, bonheur et du pain. Aujourd'hui ce type de croyance semble assez répandue, comme si, après avoir " tué " l'idée de Dieu, l'homme moderne avait besoin de se refaire une religiosité pour mieux vivre dans un cosmos décidément trop vide s'il n'est pas habité par un plus fort que soi.

Mais cet appel, ce cri, aux limites de notre propre puissance, rappel de nos manques ou de notre ignorance plus qu'une véritable démarche religieuse, ne serait-il plus une survivance de notre enfance ? Ce retour à la prière ne cacherait-il pas notre incapacité à nous assumer en tant qu'acteurs de notre propre vie et en tant que responsables de notre devenir ? La logique même de l'émancipation de l'homme moderne par rapport au religieux ne serait-elle pas de, justement, tirer toutes les conséquences de cette autonomie ?
Je serais néanmoins le dernier à contester le droit de quiconque de faire une démarche spirituelle, même si celle-ci me semble personnellement vague et anonyme. Quoique maladroite, la prière a toujours de la valeur. Mais C'est parce que cette prière purement utilitaire risque de décevoir celui qui prie que cela m'inquiète. Au cas où cette puissance se révèlerait inefficace dans telle ou telle circonstance, le risque est grand de penser que prier est inutile ou que la prière ne sert pas à grand-chose. Car l'expérience de la prière est autant celle de l'exaucement que celle du silence de Dieu.

A regarder de près l'histoire des dix lépreux on peut dire que le questionnement concernant la prière ne date pas d'aujourd'hui. Ces interrogations existent de tout temps, depuis l'antiquité païenne jusqu'à nos sociétés scientifiques contemporaines. Les difficultés sont exactement les mêmes. Qu'est-ce qu'une prière authentique ? Une prière utilitaire ? Une prière qui se satisfait de demander à Dieu de combler les vides de notre impuissance ou de notre ignorance ? Ou alors, comme ce fut le cas pour le dixième lépreux, une prière qui, tout en étant d'abord intéressée reconnaît Dieu comme un vis-à-vis et se transforme en gratitude ou en louange ?
Le récit de l'évangile nous parle d'un seul lépreux qui revient sur ses pas pour remercier Dieu. Exprimer sa gratitude vis-à-vis de Dieu, de manière désintéressée, serait-ce une démarche plutôt rare ? Il semble bien ! C'est pourtant cela qui est considéré par Jésus comme la vraie foi qui rétablit l'homme dans sa condition de partenaire de Dieu " Relève-toi, ta foi t'a sauvé !"
En vérité, Dieu n'a nullement besoin de nos remerciements. Mais tant que Dieu n'est pas pour nous un ami, un Père, quelqu'un à qui nous pouvons nous adresser en toutes circonstances, y compris quand tout va bien, notre religion reste limitée et peu capable de nous offrir ce dont nous avons le plus besoin : la joie d'exister, la joie d'être enracinés dans le Père, la joie de nous savoir aimés de Dieu inconditionnellement. Dire merci à Dieu simplement parce qu'il nous a appelés à l'existence, pour chaque jour qu'il nous donne, pour chaque instant qui nous rapproche de Lui, dire merci simplement parce que Dieu est Dieu, cela structure notre vie et lui donne un sens.

Vous savez, le langage humain ne traduit pas d'abord les sentiments de l'homme. Nos paroles nous façonnent, nous construisent et nous reconstruisent sans cesse. Nous sommes façonnés par notre langage et non l'inverse. Si nous nous attachons à des paroles lumineuses, des paroles encourageantes, des paroles positives, des paroles bienfaisantes, nous nous laisserons travailler par elles. Le contraire est tout aussi vrai. Voilà pourquoi, en s'adressant à Dieu dans la louange le croyant ne répète donc pas purement et simplement des mots : il naît à la foi. " En rendant grâces le croyant se laisse transformer par les mots qui lui étaient en partie étrangers. Du même coup, il perçoit la relation avec Dieu dans une autre lumière parce que la louange la déplace et la repositionne. Le croyant, arraché peu à peu au poids de sa personne et de ses dimensions infantiles, peut s'ouvrir au désir de Dieu par delà toutes ses résistances naturelles. ", selon les paroles de Jean Ansaldi (Le combat de la prière, Ed. du Moulin, 2001).
Par la louange de Dieu nous découvrons que nous ne sommes pas n'importe qui ou n'importe quoi : nous sommes des êtres en chemin, appelés par Dieu, orientés par Dieu. Voilà le secret de nos existences.

Alors, pourquoi rendrions-nous grâces aujourd'hui ? A n'en pas douter, le mal qui règne dans le monde est un obstacle à la prière de reconnaissance. Nous sommes particulièrement sensibles à cela maintenant que nous sommes informés régulièrement et intensément de tout ce qui ne va pas dans le monde. Mais il ne s'agit pas de mettre sa tête dans un trou pour ne pas voir les souffrances innommables qui nous entourent et encore moins de louer Dieu pour le mal. Cependant Dieu peut tirer du mal un bien plus grand. Le mystère du mal reste entier mais, dans la foi, nous pouvons regarder le mal en face et faire confiance à Dieu qui peut tirer du mal un bien encore plus grand.
L'ancien Israël a longtemps cru que le plan de Dieu était lié à l'idée d'une réussite selon les critères humains. Tout échec apparent était vécu comme négatif : d'où le scandale devant la mort du Christ. Pourtant si l'on admet que le monde que nous percevons n'est qu'un morceau du paysage complet, c'est le panorama d'ensemble seul, qui permettra de juger.
Alors qu'elle idée nous faisons-nous de l'action de Dieu dans le monde ? Le mal est encore là, mais Dieu agit en suscitant des femmes et des hommes capables de s'y opposer. Dieu agit dans le monde comme un flux d'amour puissant en offrant à celles et ceux qui ne lui font pas barrière les ressources nécessaires pour mener à bien ce combat spirituel. Nous pouvons en conséquence nous associer à l'œuvre de Dieu par la louange, même dans les situations les plus inacceptables, parce que le dernier mot sur ces situations appartient à Dieu. Ci-faisant nous anticipons la victoire de Dieu sur le mal, le péché et la souffrance.

La prière de remerciement et de louange, en insistant sur la bonté de Dieu ne serait-elle pas finalement une forme d'autosuggestion ? Oui, si nous entendons par-là le renforcement de nos convictions et de nos attitudes. Par contre la prière s'appuie sur la foi en un Dieu qui voit le monde autrement que moi et non comme j'ai l'habitude de le voir. En acceptant de remercier et de louer Dieu dans une situation où paradoxalement je devrais me sentir triste et impuissant, je m'impose un changement d'attitude : je m'inscris dans le projet de Dieu et je crois qu'il réussira.
Dans les moments où la louange est difficile, choisissons de nous situer dans la foi et de répéter simplement : " Merci Seigneur pour ton amour ; merci car tu veux mettre la louange dans mon cœur. "

Nous avons dit tout à l'heure que le retour du religieux en occident, même s'il faut s'en réjouir, est tenté d'ambiguïté. En effet nous sommes assaillis de toute part par des propositions spirituelles qui remettent en question la relation filiale avec Dieu. Souvent la prière est perçue comme une puissance dont on peut disposer pour changer l'existence. Mais elle n'a pas d'objet. Elle nous introduit tout au plus dans un univers où tout est possible, où les prières de millions de personnes se rejoignent pour devenir une force capable de faire bouger les montagnes.
Or cette conception magique de la prière n'est pas celle de Jésus. On prie comme Jésus, on prie en chrétien, quand on entre dans une relation véritable avec Dieu, comme c'est le cas lorsque nous rendons grâces. Si nos prières sont une puissance, ce n'est pas parce qu'elles sont nombreuses et insistantes, mais parce que Dieu veut, par la prière, entrer en relation avec nous et nous faire participer à son projet de vie. Voilà pourquoi il est si important pour Jésus de connaître la volonté du Père et de faire sa volonté. De même notre prière a pour but de nous mettre en syntonie avec la volonté de Dieu.

Il est clair que cette vision de la prière est à l'opposé des valeurs utilitaristes du monde contemporain. Les chrétiens savent qu'ils n'ont pas besoin de pratiquer une religion pour être sauvés. Ils n'ont pas besoin de venir dans une Église pour être reconnus et aimés de Dieu. Ce n'est que par gratitude, par reconnaissance, qu'ils s'engagent dans une pratique religieuse, tout en sachant que cela les transformera. La louange est l'antidote d'une démarche intéressée, elle nous libère de la conception grossière qui ramène la prière à la seule demande. Elle nous apprend à dépasser l'utilitaire pour découvrir le gratuit (A. Hamman, Abrégé de la prière chrétienne, Desclée de Brouwer, 1987)

Ainsi l'originalité de notre foi en Dieu a comme conséquence une attitude de prière exprimant la joie d'exister, la joie de découvrir, la joie de vivre dans la communion avec Dieu. Imprégnons-nous de gratitude. Que la louange soit toujours notre raison de vivre en chrétiens.

Amen !

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Détails

Avec la participation de
Orgue
Simone Monot
Musique
Christian Reichen, chef de choeur