Colère et grâce de Dieu

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La colère de Dieu est un thème apparemment rébarbatif qui fait immédiatement surgir l'image d'un Dieu sévère qui impose le joug pesant de sa Loi, qui juge ceux qui lui désobéissent et qui nous écrase de culpabilité. Ce côté effrayant de Dieu fait contraste avec la révélation de son amour. Personnellement, durant mon ministère j'ai plus souvent parlé de la grâce de Dieu que sa colère.
L'Histoire nous apprend que le thème de la colère divine était fréquent dans le passé. Dans l'Antiquité, les gens avaient l'habitude d'offrir des sacrifices aux dieux pour s'attirer leurs faveurs et pour apaiser leur colère. Au Moyen-Âge, les prédicateurs parlaient souvent de la colère de Dieu et menaçaient leurs auditeurs des flammes de l'enfer. Les tympans des cathédrales témoignent de l'importance de ce thème : on y voit généralement des représentations du jugement dernier. Aujourd'hui, ce thème est plutôt laissé dans l'ombre.
Pourtant la colère de Dieu est une réalité incontournable de la Bible. Elle est mentionnée 170 fois, très souvent dans l'Ancien Testament, moins dans le Nouveau. Cette différence très frappante donne l'impression que le Dieu de l'Ancien Testament est celui de la colère tandis que le dieu du Nouveau Testament est celui de la grâce. Au début du christianisme, au 2e siècle, le théologien Marcion voulait supprimer l'Ancien Testament et ne garder dans l'Église que le Nouveau. Cette conception est une hérésie, car il faut bien admettre que le Dieu de Jésus-Christ est le même que celui d'Abraham, Isaac et Jacob ou celui de David. D'ailleurs, Jésus-Christ lui-même parle de la colère de Dieu : le jour du jugement dernier sera celui de sa colère. Et puis, Jésus s'est aussi mis en colère. Il a pris violemment à partie les pharisiens qu'il accusait d'hypocrisie et il a chassé avec violence les marchands du Temple.

Il y a à propos de la colère de Jésus un texte très significatif. Dans son Évangile, Marc raconte qu'un lépreux s'est approché un jour de Jésus et lui a demandé de le guérir. Il écrit : " Jésus fut rempli de pitié. " (1, 41) Certains anciens manuscrits disent : " Il fut rempli de colère. " Bien évidemment, Jésus ne s'est pas mis en colère contre le lépreux. L'ambivalence des deux termes pitié et colère est significative : ils sont les deux facettes d'une même réalité, à savoir la passion de Jésus pour ce qui est bon, juste, droit. Jésus a pitié du lépreux et il est en colère contre la maladie qui l'accable. La colère de Jésus s'explique par son opposition radicale au mal sous toutes ses formes.
Cette passion de Jésus pour ce qui est juste et bon explique la colère de Dieu si présente dans l'Ancien Testament. Dieu se met en colère quand sa volonté n'est pas respectée. On comprend aisément pourquoi Dieu se met si souvent en colère. Il fulmine contre son peuple qui se détourne de la vérité, contre ceux qui maltraitent les faibles, contre ceux qui accaparent pour eux les richesses ou qui déclarent bien ce qui est mal. Les prophètes de l'Ancien Testament sont les envoyés de Dieu pour remettre son peuple sur le droit chemin. La colère et l'amour sont les deux faces de la même réalité : la passion de Dieu pour ce qui est juste et bon.

Heureusement, la colère de Dieu s'accompagne de sa miséricorde. Les Psaumes l'affirment : " L'Eternel est lent à la colère et riche en bonté " (Ps 103, 8; 145, 8, etc.), c'est-à-dire qu'il ne laisse pas libre cours à sa colère, mais qu'il use de patience et de miséricorde.
Cette miséricorde de Dieu s'exprime en particulier au travers la mort de Jésus-Christ. Le Nouveau Testament présente sa mort comme le sacrifice expiatoire pour le péché du monde. La conception est la suivante : tout péché doit être expié par un sacrifice (c'était généralement un agneau.) Le sacrifice servait en quelque sorte à apaiser la colère de Dieu. Mais aucun sacrifice n'a suffisamment de valeur pour expier l'énormité du péché de l'humanité. Un seul sacrifice est capable de le faire : celui du Fils de Dieu lui-même. Jésus-Christ est l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde. Ainsi la colère de Dieu retombe sur lui-même. Il subit la punition qui devrait tomber sur nous. La croix est le signe de la colère de Dieu contre le péché de l'humanité et de sa grâce infinie. Paul écrit : " Là où le péché abonde, la grâce surabonde. " (Rom.5, 20)
Cette double réalité de la colère et de la grâce de Dieu nous pose un problème. Comment nous situer face à Dieu ? Devons-nous vivre dans la crainte de sa colère et du jugement dernier ou dans l'insouciance de la grâce ? Devons-nous donner la priorité à la colère ou à la grâce ? Notre tentation est justement de favoriser un des deux aspects de la révélation de Dieu, de choisir l'un et d'oublier l'autre. Dans les deux cas, nous falsifions la réalité de Dieu.

En parlant de la vie, Jésus-Christ a utilisé l'image d'un chemin étroit. On peut l'imaginer comme un sentier de crête. Il y a de chaque côté un précipice dans lequel il faut éviter de tomber. Il faut éviter de tomber dans la peur de Dieu, dans l'ignorance de sa grâce. Mais il faut aussi éviter de tomber dans ce que le théologien allemand Dietrich Bonhoeffer appelait la grâce à bon marché, c'est-à-dire dans cette attitude qui consiste à penser qu'on peut faire n'importe quoi puisque de toute façon Dieu pardonnera et fera grâce.
A la lumière de l'Évangile nous apprenons que la juste manière de vivre consiste à rechercher ce qui est juste, bon, vrai, à éviter de faire le mal de peur de susciter la colère de Dieu, mais avec la certitude que Dieu nous aime, qu'il pardonne et qu'il fait grâce à ceux qui recherchent le bien. La grâce est l'aspect le plus extraordinaire, éblouissant, de la révélation de Dieu dans l'Évangile, mais le rappel de sa colère doit agir comme un aiguillon pour nous empêcher de tomber dans le désordre.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Musique
Les Oiseaux Rares : Serge Broillet (accordéon), Valérie Winteler (flûte), Ueli Schneeberger (contrebasse);
Choeur ad hoc, dir Narcisse Zay