Cette petite braise qui brûle en nous !

image

Vous avez déjà remarqué que la même question, selon les circonstances, peut prendre une tournure très différente. La question susurrée au creux de l'oreiller " Chéri, tu m'aimes ? " fait redoubler l'amoureux de tendresse. Mais la même question peut tourner au vinaigre ; elle peut mettre le doigt sur un manque et prendre l'allure d'une accusation.
" M'aimes-tu ? ", c'est la question que Jésus pose à Pierre et je n'aurais pas voulu être à la place de l'apôtre à ce moment-là. Quelques jours plus tôt Pierre avait renié trois fois le Christ et auparavant il avait même affirmé avec fougue, en parlant de ses camarades-disciples : " Si eux t'abandonnent, moi je ne t'abandonnerai pas. " (Mat. 26, 37). Et pourtant c'est lui qui l'a abandonné le premier.
Jésus maintenant est face à celui qui l'a renié et lui pose la question : " M'aimes-tu plus que ceux-ci ? " Vous devinez que c'est une question qui fait mal. Elle oblige Pierre à se comparer de nouveau aux autres disciples et Pierre ne peut que constater que la comparaison n'est pas à son avantage. " Oui, Seigneur, répond-il, tu sais que je t'aime. "
Nos traductions françaises ne rendent pas la nuance du texte original de l'Évangile. Jésus utilise pour sa question un verbe qui signifie " aimer complètement, profondément ". Pierre répond avec un verbe moins fort qui signifie " avoir de l'amitié, de l'attachement ". Il est un cran en dessous. Il connaît maintenant les limites de son amour. Il ne fanfaronne plus et s'abstient de toute comparaison avec les autres.
Jésus répète sa question : " M'aimes-tu ? " Cette fois Jésus ne s'intéresse pas de savoir s'il l'aime plus que les autres mais simplement s'il l'aime. Et Pierre répond comme la première fois en restant au niveau de l'amitié : " Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. " Alors Jésus, comme s'il doutait de Pierre pose une troisième fois la question : " M'aimes-tu ? " Mais cette fois Jésus utilise le même verbe que Pierre. Jésus lui aussi est descendu d'un cran et sa question révèle un doute qui n'en est que plus poignant pour Pierre. " Seigneur, tu sais tout, tu sais que je t'aime. " Par trois fois, Pierre avait renié son Seigneur. Par trois fois maintenant il lui affirme son amitié.
Remarquez : c'est près d'un feu que Pierre avait renié Jésus. C'est de nouveau près d'un feu qu'il affirme son amitié. Le feu destructeur de la peur et du reniement a fait place au feu d'un nouvel attachement.

Si c'était à nous que Jésus posait aujourd'hui la question " M'aimes-tu ? ", quelle serait notre réaction ? Nous avons certainement du respect et de l'admiration pour le Christ. Mais avons-nous de l'amour ? Depuis tout petit nous avons appris que la volonté de Dieu se résume en une phrase : " Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. Et tu aimeras ton prochain comme toi-même. " (Matt. 22, 37 - 39) C'est facile à comprendre, mais que de chemin à parcourir encore pour concrétiser cet amour !
L'été passé j'étais au bord du lac avec les enfants et nous faisions un feu. Le bois était mouillé de sorte qu'au début il y avait plus de fumée que de feu. Ce n'était pas agréable. J'ai l'impression que notre amour de Dieu ressemble davantage à un nuage de fumée qu'à de belles flammes.

Nous accomplissons beaucoup de choses en fonction de notre foi : nous essayons de faire le bien, de mener une vie honnête; nous nous dévouons pour des causes qui nous paraissent justes; nous participons à la vie de l'Église. Je compare tout cela à des branchages rassemblés sur un foyer. Mais il y faut encore le feu de l'amour de Dieu. L'apôtre Paul écrit : " Je pourrais posséder toute la connaissance, avoir la foi nécessaire pour transporter les montagnes, distribuer tous mes biens, si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien. " (1 Cor. 13, 1 - 3)

C'est l'amour de Dieu qui donne force et rayonnement à notre foi. L'amour a un pouvoir de transformation étonnant. Regardez ce qui se passe, par exemple, dans le domaine de l'éducation des enfants : comme parents, nous commettons beaucoup d'erreurs et de maladresses, mais l'amour les compense largement. Et, au contraire, l'absence d'amour est le pire sort qu'on puisse réserver à un enfant. On a beau le couvrir de cadeaux et d'argent, si on lui manque d'amour, on est des parents nuls. Eh bien, l'amour de Dieu est aussi essentiel pour la foi. Et je crois que notre amour de Dieu compense beaucoup de choses. Le bois de notre foi et de nos bonnes œuvres est souvent mouillé de nos erreurs, de nos maladresses et de nos manques de connaissances bibliques. Mais quand il y a la flamme de l'amour, la fumée désagréable fait place à un feu bienfaisant !
Jésus a dit un jour : " Je suis venu apporter sur terre un feu et combien je voudrais qu'il soit déjà allumé. " (Luc 12, 49). Je vois dans ce feu l'image de l'amour de Dieu que Jésus voudrait voir brûler en chacun de nous.
Il a dit aussi " Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi. " (Matt. 10, 37) Je le confesse : je ne suis pas digne du Christ. Je me sens vibrer davantage pour mes enfants et mes petits-enfants que pour lui. Je dois même avouer que l'amour des richesses et le goût du confort peuvent prendre l'avantage sur Dieu. Que répondrais-je à Jésus s'il me demandait " M'aimes-tu ? " Et que dirait le Christ à ceux qui doivent reconnaître aujourd'hui leur manque d'amour pour lui ?

Le récit de la rencontre de Jésus et de Pierre au bord du lac de Galilée me touche et me réconforte. Pierre a été décevant et pourtant Jésus lui maintient son amour et sa confiance. Par trois fois Jésus lui dit : " Prends soin de mes brebis ", c'est-à-dire qu'il le confirme dans sa charge d'apôtre. Trois confirmations qui font écho aux trois reniements de Pierre et à ses trois déclarations d'amitié, à défaut de trois déclarations d'amour. Jésus ne le repousse pas. Il ne cesse de brûler d'amour pour lui. D'ailleurs il n'a jamais cessé de brûler d'amour ni pour Dieu, ni pour un être humain, quel qu'il soit. Il a aimé jusque sur la croix et en ce sens-là il est le seul à se montrer digne de Dieu. Il manifeste particulièrement cet amour en pardonnant aux bourreaux qui le crucifient et maintenant en accueillant les disciples qui l'ont si piteusement abandonné. Le feu qui brûle sur la plage est l'image de cet amour du Christ autour duquel les disciples peuvent se réchauffer.
Je suis persuadé qu'il en va de même aujourd'hui. Le Christ ne nous repousse pas parce que nous lui manquons d'amour et que nous sommes indignes de lui. Il nous renouvelle sa confiance en nous redisant comme au premier jour de notre engagement : " Suis-moi ! "
Beaucoup d'Églises et de paroisses sont malades aujourd'hui de leur manque d'amour pour le Christ. Mais il suffit parfois d'une petite braise pour que le feu reprenne vie. Esaïe prophétisait : " Voici mon serviteur : il ne casse pas le roseau qui fléchit ; il n'éteint pas le lumignon qui fume. " (Es. 42, 3) Le Christ ne dédaigne pas la petite braise de l'amour de Dieu qui brûle en nous. Mais il attend que nous nous ouvrions au souffle de son Esprit pour que cette braise donne naissance à un feu pétillant !

Ainsi soit-il !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Georges Vuilleumier
Musique
Choeur ad hoc, dir. Narcisse Zay;
Hélène Blanchoud, clarinette; Annina Haug, violoncelle