La syro-phénicienne, prochain de Jésus

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Viens Saint Esprit, guéris et réconcilie ! C'est le thème de la visite de l'équipe Cevaa dans les Églises de Suisse. Objectifs de cette visite :
· Permettre rencontre, dialogue et réflexion avec des frères et sœurs d'autres Eglises, pays, continents.
· Partager des moments de vie et d'espérance
Dans l'EERV, la visite a pour thème : migration et réfugiés.
· Réfléchir en Eglise sur cette question,
· Rencontrer des bénévoles et des ministres, pasteurs ou diacres, qui travaillent dans ces milieux de la migration, qui assurent une présence de l'Eglise auprès de personnes qui sont migrants, requérant d'asile, réfugiés, NEM, sans papier.
· Partager des moments de vie et d'espérance
On ne peut pas tout résumer ici de cette visite. Je garderai pour maintenant deux éléments qui ont été exprimés vendredi dans le temps d'évaluation et de conclusion de la visite en terre vaudoise.

1. Il y a un grand travail qui est accompli par l'Eglise auprès des personnes qui vivent la précarité de ces situations d'exil. Mais il y a quelques questions : Est-ce que c'est un ministère de toute l'Eglise ? Est-ce que les paroisses et les paroissiens le connaissent assez ? Est-ce qu'ils peuvent eux aussi profiter des richesses qui se vivent dans ces ministères : profiter des témoignage de courage, d'espérance, pour enrichir leur vie de foi, profiter des témoignages de détresse et d'impasse pour alimenter leur prière ?

2. Un membre de l'équipe a dit : pour moi, ces gens – requérants, réfugiés, migrants – ils sont devenus mon prochain. C'est ce message que je veux rapporter à mon Eglise. Je voudrais faire comprendre que toute personne qui vit une situation de précarité, comme celle de migrant, de réfugié, est le prochain, le proche, celui qui nous est offert comme proche.
Et c'est là que nous rejoignons les deux textes bibliques que nous avons écoutés. Le message d'espérance et d'encouragement que Paul envoyait aux chrétiens d'origine païenne de l'Eglise d'Ephèse était aussi un message qui disait l'exigence d'ouverture aux chrétiens d'origine juive.

Nous sommes ensemble de la famille de Dieu. Cette exigence s'adresse aussi à moi : quelles conséquences a, dans ma vie de Suissesse, chrétienne d'une vieille Eglise bien installée, le sang du Christ versé pour tous ? Comment est-ce que ça change mon regard sur l'autre, quel qu'il soit : étranger, réfugié, requérant, NEM ?
Il n'est pas facile le chemin de l'accueil et de l'ouverture. Il est difficile pour tous. Difficile pour Jésus aussi. Et nous voilà face au 2e texte, ce récit du miracle des petits chiens de l'évangile de Marc.
Essayons de sentir ce qui se passe dans la rencontre entre Jésus et cette femme, étrangère, grecque, syro-phénicienne. Tentons de vivre leurs émotions, leurs sentiments, comme si nous étions Jésus ou la femme. Jésus : enfin seul, à l'étranger, caché dans une maison et qui ne veut pas qu'on le sache et la femme qui se précipite pour demander la guérison de sa fille.
La réponse de Jésus : « Laisse d'abord les enfants se rassasier, car ce n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens. »
Une mère en pleurs, aux pieds de Jésus, qui supplie : « Guéris ma fille ! »
Et Jésus, qui met une frontière, un mur : d'un côté, il y a les enfants, de l'autre côté, il y a les petits chiens. Pourquoi ? Il est fatigué, il voulait être seul et on le dérange.
Non ce n'est pas cela que dit sa réponse. Sa réponse, elle dit la séparation, l'exclusion, elle dit la frontière : d'un côté, il y a les enfants, de l'autre côté, il y a les petits chiens. Le pain, c'est pour les enfants, pas pour les petits chiens.
Mur, frontière, séparation ! Jésus est Juif et pour un Juif, l'universalisme ne va pas de soi. La loi de Moïse interdit tout contact entre les Juifs et les païens. Il est évident, pour eux, que le salut n'est offert qu'aux Juifs, les païens n'y ont pas accès.

Frontière, exclusion. Jésus est venu pour le salut des enfants, il s'agit bien là des enfants d'Abraham, il n'est pas venu pour le salut des non-juifs, des chiens. Le mot chien désigne parfois les non-juifs. C'est un mot dur, c'est même une injure. Vraiment dans cette rencontre, Jésus ne fait pas dans la politesse, ni vraiment dans l'accueil. Mais il y a deux brèches dans son mur. Il dit : petits chiens, c'est moins dur que chien, mais aussi il dit : d'abord : « Laisse d'abord les enfants se rassasier… »
Alors la femme se précipite dans la brèche, avec dignité, avec humilité : « C'est vrai, Seigneur, mais les petits chiens, sous la table, mangent des miettes des enfants. » A Jésus, qui lui parle en langage imagé, elle répond en prolongeant l'image et en la retournant à son avantage. Elle entre dans l’image fermée de Jésus : « C’est vrai… » et elle ouvre l'image : «… mais… ».
Il faut du cran, de la sagesse et de l'humour pour une telle répartie. Une femme désespérée devant la maladie de sa fille, qui ne se laisse ni repousser, ni exclure, qui trouve exactement la parole à dire et qui emmène Jésus plus loin que là où lui voulait aller. Le salut, par cette femme, est ouvert aux païens.

On pourrait presque dire que le 1er miracle dont nous sommes témoins dans cette rencontre, c'est le déplacement de cette frontière en Jésus lui-même. Il lui dit : « A cause de cette parole, va, le démon est sorti de ta fille. » Cette femme s'est faite le prochain de Jésus. Et Jésus nous montre ainsi que les frontières de l'accueil, de l'amour, de l'écoute, à l'intérieur de nous, ça se déplace. Il nous montre que nous avons des responsabilités par rapport aux autres, ces autres qui viennent chercher notre aide.
J'étais au Rwanda en décembre 1996 : sur les routes du pays, marchaient des centaines de milliers de réfugiés. Partis du pays en juillet 94, après le génocide, ils avaient vécu deux ans dans des camps. Là, ils rentraient « chez eux ».Un des étudiants m'a dit : « Ces gens qui rentrent, c'est la bénédiction pour les générations de demain. »Sa voix vibrait de reconnaissance : « Ils sont là ! » Sa voix vibrait d'inquiétude : « Comment allons-nous pouvoir les accueillir ? Comment vivre tous dans une telle précarité ? Sa voix vibrait d'espérance : « Reconstruire le pays n'est possible que si nous y sommes tous ensemble. » Cette phrase prophétique, évangélique dit la bénédiction du retour à la situation normale : les réfugiés qui rentrent, qui se retrouvent chez eux.

En attendant et pour que cela soit une fois possible partout, de la Palestine à l'Irak, de la Colombie au Togo ou à La Côte d'Ivoire, je pense aux responsabilités que nous avons nous par rapport aux réfugiés. Ces personnes qui quittent chez elles parce que la vie n'y est plus possible et qui se trouvent ainsi sans les recours, secours, repères habituels et nécessaires. Qui font partie des petits dont parle Jésus.
Je continue à entendre la phrase reçue en 96 : « Ces gens qui rentrent, c'est la bénédiction pour les générations de demain », elle m'offre trois pistes de réflexion pour aujourd'hui :
1. Sur notre responsabilité au niveau international : voulons-nous créer les conditions au niveau politique, économique et social pour que des retours soient possibles et qu'il n'y ait plus de besoin de partir ? Quels moyens nous donnons-nous ?
2. Sur notre responsabilité au niveau national : nous vivons dans un pays dont les lois sur l'asile ne sont plus des lois pour protéger les réfugiés, mais deviennent des lois pour nous protéger contre les réfugiés, lois injustes et inhumaines. En plus l'effort, qui devrait être fait pour créer, dans les pays d'origine, des conditions politiques, économiques, sociales possibles pour des retours et pour des « non départs », n'augmente pas, mais diminue sans cesse sous la pression des lois du marché et des choix économiques et politiques de notre pays ?
3. Sur notre responsabilité au niveau personnel : laissons-nous rencontrer par cette femme syro-phénicienne qui croit fondamentalement que la bonté, la pitié, la compassion n'ont pas de frontière et qui entraîne Jésus lui-même sur un chemin de compassion et d'ouverture.
Laissons-nous entraîner sur ces chemins de compassion et d'ouverture pour qu'advienne « la bénédiction pour les générations de demain ».
Viens, Esprit Saint, guéris et réconcilie ! Amen !

Détails

Avec la participation de
Présidence : pasteure Christine Alexander, lecteur Eric Imseng, comédien
Orgue
Mina Balissat
Musique
Vocaphone (sextuor masculin), direction Jean-François Ramelet