C'est au passage que cela se produit...

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C’est au passage que cela se produit, à Yabboq que Jacob lutte. Au passage du gué, au passage du fleuve, au passage de la frontière, de la limite. C’est là, à Yabboq que Jacob lutte au passage, alors qu’il rentre chez lui. Il est seul et il lutte avec un inconnu, avec un ange avec Dieu. Il lutte jusqu’à l’aube et se retrouve blessé, mais fort contre Dieu.
C’est à Yabboq que Jacob lutte contre Dieu et il l’emporte. Dans sa blessure, une bénédiction, un nom nouveau, Israël, fort contre Dieu. Jacob est devenu un peuple. Il était parti seul, nu ou presque, mais porteur d’une promesse. Il revient riche, puissant, envié, un peuple, Israël.
Dieu donne sa bénédiction, mais il ne livre pas son nom. Il lutte et se roule dans la poussière avec Jacob, mais il ne se laisse pas saisir. « J’ai vu Dieu face à face et j’ai été sauvé. » dira Jacob plus tard. Et nommera ce lieu Penuël, ce qui signifie, face de Dieu. Israël, Penuël, il est fort contre Dieu. Jacob qui lutte à Yabboq est devenu Israël fort à Penuël, face à Dieu.

Il est là, à la frontière, à la limite, au passage, mais est-ce pour l’aider ou pour le retenir à traverser ? Il est là au cœur du passage, pour marquer sa présence, pour signifier le changement, la transformation du passage, le renouveau qui survient.
Il est là, au passage, c’est le lieu de l’inconnu, du mystère, du silence, de l’ange. Un corps à corps dans la nuit, une lutte silencieuse jusqu’à l’aube. Jacob le retient, mais l’inconnu le blesse à la hanche. Dieu qui bénit et qui blesse, qui disparaît à l’aube, sans révéler son nom.
Il est là, lorsque je veux passer une limite, une frontière, un interdit. Lorsque je veux me dépasser, me donner, me livrer, vivre mon élan, ma foi, ma force, mon engagement jusqu’au bout.
Il est là, lorsque je quitte le sol des certitudes que je lance un pied en avant, d’une assise vers une autre. Moment en suspens, d’apesanteur, de fragilité.
Il est là et c’est la lutte contre moi et contre lui, contre la vie et contre tout ce qui me retient au sol. Je sens ma blessure, je sais qu’il me rend fort. Je ne puis le saisir mais je suis vivant, et face à lui Penuël !
Il est là aussi lorsque le passage est étroit, passage de douleur et de larmes. Peur du lendemain, incertitude. Rejet, exclusion, un passage de solitude, de maladie et de mort. Une lutte au corps à corps. Je me sens fragile, j’angoisse. Les blessures de la hanche, du cœur, de l’âme et de l’esprit sont ravivées.
Il est là, face à moi, contre moi ou avec moi. Je ne le sais plus trop bien. Je ne puis sentir sa présence. Je sens plus mes meurtrissures que sa bénédiction. Je ne sais plus quel est mon nom.

Jacob est conscient de ce qui se passe, l’importance du passage et de sa rencontre. Le rendez-vous de Jacob au Yabboq : il est conscient du moment clé que cela représente pour lui, peut-être à cause de la blessure, de cette proximité, de la bénédiction et du nom nouveau. Bien sûr qu’il aurait aimé pouvoir le retenir, le saisir par le nom, le faire sien. Mais enfin : « J’ai vu Dieu face à face et j’ai été sauvé. » Israël – Penuël !
C’est bien la prise de conscience qui est importante, la prise de conscience des passages
De cette proximité avec lui. Du corps à corps, de la lutte peut-être. La prise de conscience de la blessure et de la bénédiction. Du nom nouveau et de l’aube qui lui permet de partir sans se livrer.
Les passages d’une culture à une autre culture sont souvent perçus comme une lutte, un corps à corps avec l’inconnu et ils provoquent des inquiétudes face à l’avenir. Ce qui était reconnu valable est tout à coup confronté à d’autres valeurs. Nous sommes remis en cause et cela touche notre identité. Le changement provoque la peur de l’avenir et rappelle que la vie en société est souvent accompagnée de ruptures.

C’est de ces passages que l’exposition dans notre église parle. À travers des exemples aussi disparates que les religions cananéennes, le passage des huguenots à Berne, l’arrivée des réfugiés tamouls en Suisse et leur intégration et aujourd’hui, le projet d’une maison des religions à Berne.
Des exemples qui veulent nous rendre conscients de ces changements et de la nécessité d’accepter les blessures de l’histoire. Ils disent l’importance vitale de parler des injustices, celles qui ont été subies ou celles que nous avons provoquées. Une histoire parfois douloureuse.
Ils veulent nous inciter à accepter aussi de recevoir les personnes provenant d’horizons les plus divers et de les considérer non pas comme des menaces, mais comme un renouveau, une chance.

C’est dans cette optique qu’est né ici à Berne le projet d’une maison des religions. Il est prévu que l'on célèbre en un même lieu des cultes chrétiens, juifs, musulmans, hindous, bouddhistes, sikhs et bahaïs. Un lieu où les personnes de religions différentes pourront se rencontrer, échanger et se souvenir ensemble des promesses, Celle de Jacob et des autres qui sont conscients d’être face à Dieu et vivant. Ce projet d’une maison des religions paraît peut-être utopique, mais il est animé de cette conviction : la compréhension entre les êtres humains passe par l’échange sur les valeurs, le sens, les croyances, la référence au mystère et à la source, à Dieu. En ce sens, ce projet portera en lui une vérité fondamentale.
C’est au passage que cela se produit, au passage du gué, de la frontière, de la limite. C’est là, à Yabboq que Jacob lutte, alors qu’il rentre chez lui. Il lutte jusqu’à l’aube et il est fort contre Dieu. Dans les passages il est là et il y a cette lutte, ce corps à corps avec lui et avec la vie. L’homme, la femme sont forts contre lui. Nous avons notre mot à dire sur notre vie, notre destinée, nos projets, nos passages. Nous ne sommes pas simplement assujettis, petits et sans signification devant lui. Mais Dieu nous appelle tous à la liberté, et à l’autonomie, Il nous appelle à être forts face à lui, existants, vivants, ses partenaires de la création.

Je suis vivant et blessé et conscient de cette blessure fondamentale qui m’habite : « La peur du vide et du néant ». Je suis seul, fragile, vulnérable et un jour confronté à la mort. Touché dans mon âme, dans mon corps ou dans mes élans. Je suis au passage et je boite à la hanche. Je ne sais parfois comment avancer dans ma vie. Je dois reconnaître, cette blessure qui fait partie de ma vie, l’accepter, vivre avec. Et je peux le dire pas seulement en thérapie, mais aussi, dans mon cheminement de vie et de foi, face aux autres, face à Dieu.
C’est cet homme, blessé fragile et mortel qui reçoit un nom nouveau. Jacob devient Israël : fort devant Dieu. Mon identité est transformée, ou plutôt retrouvée. Ma propre vie est voulue, reconnue, aimée, bénie par Dieu. Grâce à lui, nous sommes sauvés, adultes, libres, partenaires de Dieu et de sa création. Les passeurs de son amour pour les humains du monde entier. Israël – Penuël, Jésus – Salut.

Et à l’aube, au moment de la promesse et de la bénédiction, il s’échappe et moi je reste là avec cette impossibilité de saisir le fondement de la vie. L’impossibilité de saisir Dieu et de l’enfermer dans une idée ou dans une doctrine, ou dans une église. Impossibilité de contrôler, de maîtriser, de déterminer ma propre existence et mon avenir. Impossibilité aussi et interdit de vouloir saisir l’autre, imaginer de le connaître à fond, de vouloir le posséder ou de le manipuler.
Nous avançons. Nous franchissons le gué, nous rencontrons les autres, l’inconnu. C’est cette conscience du passage, de la lutte, de la blessure et de la peur, du nom nouveau et de l’aube, de cet être conscient qui donne à notre vie son intensité, son sens, son souffle, sa force, son amour. Et qui nous unit dans notre fragilité humaine.
L’aube nouvelle est là, lorsque nous reconnaissons notre lien avec lui. Nous sommes ensemble les uns avec les autres, malgré ou plutôt grâce à nos histoires et à nos différences, les enfants d’une même humanité. Blessée et bénie, voulue et aimée de Dieu : Jacob – Yabboq, Israël – Penuël, Jésus – salut.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Emmanuel Le Divellec
Musique
Meret Lüthi, violoniste