Prendre racine: hommes et plantes en exil

Pasteurs Olivier Schopfer et Otto Schäfer (©Médias-pro/RTSreligion)

Écouter le culte :

Mais qui es-tu, plante intrigante ? Tu captes toute mon attention ! Je te sens présente parmi nous, ici, dans cette église, et sur les ondes… Je te vois ! Tu es là, plante chérie, surgie de rien, et tu en imposes. Quelle prestance ! Tes feuilles surtout, quelles feuilles exquises, étalées, serties d’un bord crénelé, grandes comme des feuilles de rhubarbe mais si fines, si élégantes… Elles semblent planer dans les airs, tellement ta tige vigoureuse les porte vers le ciel de Dieu ! Le soleil tape cruellement, on en a mal à la tête. Mais sous tes feuilles : quel bonheur ! On profite d’une agréable lumière tamisée. Merci, merci beaucoup.

T’as de beaux habits verts, tu sais… Tu en rougis un peu ? Ah, ne sois pas gênée, ce coloris te va très bien…

[raclement de gorge]

Pardon, chers Amis, de m’adresser à vous maintenant seulement, j’ai dû succomber un instant à la séduction de la plante. À peine sortie du récit, elle m’a attirée vers elle…

Pardon pour cet aparté avec le personnage principal de l’histoire. Eh oui – personnage – une plante, vous imaginez ? Mais le fait est là : vous enlevez la plante de ce dernier chapitre de Jonas, et tout le récit s’écroule. C’est la plante qui lui confère sa consistance, sa puissance de transformation. La plante dit que la vie est belle et précieuse et que Dieu aime la vie. Et le prophète le comprendra – la fin reste un peu ouverte – quand elle n’est plus là.

Le livre de Jonas nous parle d’une conversion multiple mais qui est conversion de l’esprit de mort à l’esprit de vie : conversion des cœurs, des regards, des pratiques. Conversion des humains mais aussi conversion de Dieu et conversion de tous les vivants : vivre, c’est dépendre les uns des autres sous la grâce de Dieu. Enfin, conversion du prophète lui-même dont la représentation de Dieu, violente, est désavouée par le Dieu vivant, «bienveillant et miséricordieux, lent à la colère et plein de fidélité, et qui revient sur sa décision.»

Tous ces aspects font partie de la conversion de l’esprit de mort en esprit de vie.

Dans la ville de Ninive règne la violence. « Raah » est le terme employé dans le livre de Jonas : le mal ou la méchanceté. La ressemblance sonore avec notre mot « rage » n’est probablement pas fortuite, dans les deux cas on croit entendre le grognement d’un fauve. « Raah », c’est comme une puissance maléfique qui se transmet et se déplace mais qui cherche toujours son terrain.

Dans le livre de Jonas, la « raah » caractérise d’abord la ville de Ninive et le comportement de ses habitants et, ensuite, Dieu lui-même. Oui, la violence des Ninivites provoque la violence de Dieu décidé à détruire la ville devenue un repaire du mal. Dieu répond par la violence à la violence des humains. Du moins, c’est son intention affirmée. Mais Dieu change d’avis. Dieu n’est pas un Dieu de la violence.

Ce chapitre du livre de Jonas est aussi un récit de la conversion de Dieu à la non-rétorsion. Et un récit de la conversion de l’humain au respect et à l’amour de toute vie. Car, pour finir, la « raah » s’abat sur Jonas : boudeur, car désavoué par Dieu dans sa spectaculaire mission d’annonciateur du châtiment, il se retire en dehors de la ville, en « Aussteiger » (quelqu’un qui a abandonné, déserté).

Et il regarde. Il devient voyeur : non pas solidaire de la vie, mais observateur. Complice non de la vie, mais de son propre besoin de curiosité. Il refuse, pour l’instant, de reconnaître dans la vie des autres le reflet de sa propre vie. Il ne prend pas part, il se détache.

Dieu ménage Ninive. La destruction prévue et que Jonas avait pour mission d’annoncer, n’aura pas lieu. Les Ninivites changent de comportement, et les humains et même les animaux organisent une véritable cérémonie de pénitence. Détail essentiel cependant : la clémence divine est motivée non par la conversion des Ninivites, animaux inclus, mais par le respect de la vie. La leçon de l’histoire n’est donc pas tant morale que conviviale : leçon du vivre-ensemble.

Dans le dernier verset du livre, Dieu dit ceci : « Et moi je n’aurais pas pitié de Ninive la grande ville où il y plus de cent-vingt mille êtres humains, et des bêtes sans nombre. »

Dieu aime la vie. Il fait pleuvoir et il fait briller son soleil, comme Jésus le dira plus tard, sur les justes et les injustes.

L’importance du respect de la vie dans le récit nous conduit à la considération des plantes. Car c’est une plante qui est censée amener le prophète à l’amour universel de toute vie.

Ah… cette plante, elle s’est un peu précipitée sur le devant de la scène tout à l’heure, je vous prie de m’en excuser encore, son rôle de personnage principal a dû lui monter à la tête, ou à la cime, je ne sais pas comment dire. Un petit incident de régie, pas grave, pas grave… Poursuivons.

En hébreu, cette plante s’appelle « kikayôn ». Dans l’Antiquité romaine, on s’est beaucoup disputé pour l’identité de cette espèce, entre Saint-Augustin, défenseur de la courge, et Saint-Jérôme, adepte du lierre – l’espèce la plus probable est quand-même le ricin. Chez Calvin on peut même lire qu’à cette époque antique, les gens en seraient venus aux mains pendant la célébration parce qu’ils contestaient la nouvelle version de botanique biblique qu’on voulait leur imposer ! De telles turbulences expliquent sans doute qu’en 1707, le traducteur huguenot David Martin ait préféré ne pas choisir : en prononçant un peu à la française, il appelle la plante « kikajon ».  Vous connaissez ce mot : en raison d’une certaine confusion entre la plante et la hutte mentionnée dans le même texte, « kikajon » est devenu une expression typiquement suisse romande pour un abri de jardin. 

Joli exemple d’empreinte biblique et huguenote sur le parler régional, et dans le domaine des jardins, ce détail ne doit pas nous détourner de l’essentiel. Car indépendamment de la détermination précise de la plante en question, l’attachement de Jonas à cette plante constitue, dans ce récit, le nœud de l’intrigue.

C’est le seul passage de la Bible, qui nous parle d’une « plante-compagne ». Il est remarquable que la relation à une plante soit teintée, à ce point, de familiarité. Le raisonnement divin, dans ce chapitre, mise sur l’amour indivisible de toute vie : toi, Jonas, tu n’as rien fait pour cette plante, elle n’est pas ta créature, mais tu l’aimes au point de vivre un deuil en la perdant. Et moi, Dieu, je n’aurais pas pitié de mes créatures vivantes et, en l’occurrence, de la grande ville de Ninive, peuplée de tant d’humains et d’animaux.

La vie n’est pas indifférente à Dieu, qu’elle soit humaine, animale ou végétale.

Le lien avec les plantes et, plus généralement, le rôle des plantes, est un thème rarement évoqué dans la réflexion ecclésiale. Or, à bien considérer les choses, les plantes occupent une place essentielle dans nos vies. Elles sont nos sage-femmes, nos nourrices, nos inspiratrices est nos consolatrices.

Les plantes sont nos sages-femmes, car elles produisent de l’oxygène, et sans une atmosphère oxygénée, l’espèce humaine n’aurait pas pu émerger dans l’évolution du vivant. Les plantes nous ont fait venir au monde.

Les plantes sont nos nourrices, car directement ou indirectement, toute notre nourriture vient des plantes. Et elles nous rendent beaucoup d’autres services. Le terme de nourrice est faible d’ailleurs, car le sevrage n’intervient jamais. 

Les plantes sont nos inspiratrices : en dehors de l’inspiration d’oxygène (ce serait le sens littéral du mot), elles nous stimulent spirituellement et intellectuellement par la variété de leurs formes. Généreusement, elles sollicitent nos sens. Nous vivons avec elles dans une relation de communion, de communication, de résonance.

Enfin, les plantes sont nos consolatrices : nous vivons de grands changements planétaires, très préoccupants. S’il y un avenir, il reposera sur les plantes, sur leurs capacités d’adaptation, leur résilience. La planète bleue est un monde vert, et ce monde vert est décisif pour que la vie puisse durer sur notre terre.

« Très bien », diront les arbres de la ville de Berne, et les algues marines avec eux. « Merci pour les fleurs ! Hmm… les mots comme des fleurs... Pendant que vous parlez et écoutez, vous les humains, nous travaillons dans le silence et nous fabriquons l’air sain qui vous maintient en vie. Gratuitement et dans la beauté ! Tant que vous nous laisserez faire ! »

« Et quand vous mangerez tout à l’heure », ajouteront les légumes et les herbes aromatiques, « n’oubliez pas qui vous fournit, avec l’aide de Dieu, tout ce qui vous rassasie – et les odeurs alléchantes et les saveurs délicieuses ! Louons ensemble, nous tous les vivants, le Créateur de cette terre magnifique que nous habitons ! »

Eh bien, merci les plantes, pour votre remarque ! Merci de nous rappeler cette chose importante parmi toutes : rendre grâces à Dieu.

Je me joins donc, au nom de nous tous, à votre louange et je dis : amen !

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Confession de foi écrite pour l’occasion

Nous croyons en Dieu
qui crée et continue de créer.

Nous croyons que l'univers est son projet.

Nous croyons qu'il a voulu la vie,
et qu'elle persiste par sa volonté.
Comme tous les êtres vivants,
c'est à Dieu que nous devons notre existence.

C'est pourquoi nous rejetons l'idée
que le monde n'est qu'une ressource à exploiter,
des matières premières à négocier ou à consommer.

Nous croyons au contraire que Dieu nous veut
jardiniers responsables et éleveurs respectueux.

Nous confessons que l'être humain est devenu
comme un parasite qui ronge une plante,
comme un virus qui rend tout un corps malade.

La biosphère est fiévreuse,
elle lutte contre le parasite.
Nous regrettons de rendre la Terre malade
et nous demandons à Dieu son pardon.

Nous croyons en Jésus Christ.
Il a annoncé le Règne de Dieu
et nous a invités à changer,
pour être en mesure d'accueillir ce Règne.

Il est le pardon de Dieu.
Il a donné sa vie pour que son peuple soit sauvé.

Nous croyons en un monde libéré de ce qui est morbide,
une création renouvelée,
dont le Christ est le premier habitant.

Mais nous rejetons l'idée
que l'attente d'un monde nouveau
nous autoriserait à maltraiter le monde actuel,
car comment croire en la vie,
tout en semant la mort ?

Nous croyons en l'Esprit-Saint,
qui fait de nous des êtres libres,
libres d'aimer la Création ici-bas,
tout en espérant le monde à venir.

Amen.

Les huguenots fuyant la répression emportaient dans leurs bagages non seulement leur Bible et leur foi protestante, mais aussi des plantes comme le poireau ou le cardon. La Bible nous parle aussi de ce compagnonnage entre hommes et plantes.

Ce culte s'inscrit dans les festivités du Jubilé des 400 ans d'existence de la paroisse française de Berne, du 27 août au 1er octobre.

Détails

Avec la participation de
Olivier Schopfer, pasteur, pour la liturgie, et Bénédicte Loup pour les lectures
Orgue
Antonio Garcia
Musique