Egoïste et coupé de Dieu

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Frères et sœurs,

" Ont-ils déjà hérité ? "
Cette question m'a été posée par un notaire. Je lui parlais du bel esprit de famille qui régnait entre deux frères et leur sœur. Je soulignais leur entente, leur joie de vivre, leur esprit communautaire. Un peu cyniquement, il m'a demandé : " Est-ce qu'ils ont déjà hérité ? ! "
L'héritage, source de conflits, créateur de sentiments d'injustice et de frustration, de jalousie et de rancune.

Le texte d'aujourd'hui commence par une question relative à un héritage .(Je lis) :" Quelqu'un (un anonyme auquel nous pourrions peut-être nous identifier ...) quelqu'un ... quelqu'une lui dit au milieu de la foule : " Maître " (c'est comme ça qu'on s'adressait aux rabbins qui devaient intervenir assez souvent dans des conflits d'héritage) " Maître, dis à mon frère de partager l'héritage avec moi ! "

Vous vous souvenez du fils prodigue qui, lui aussi, avait réclamé sa part d'héritage. Le père la lui avait donnée. Ici, apparemment, le frère refuse !

Alors celui qui s'estime lésé (à tort ou à raison, je ne sais pas, la parabole ne le dit pas ), celui qui s'estime lésé adresse une demande, une requête, on peut même dire ... une prière à Jésus. " Dis à mon frère de partager l'héritage avec moi. "

Cette prière ne sera pas exaucée ! Pire ! Jésus, intransigeant, refuse d'entrer en matière. À première vue c'est curieux ! L'enseignement de Jésus ne nous invite-t-il pas souvent au partage ? Est-ce qu'on ne parle pas, dans l'Évangile, de justice ?

En outre, Jésus, avec une certaine irritation, non seulement n'entre pas en matière, mais encore il reprend sévèrement notre anonyme : " Eh ! homme, eh ! toi... Qui m'a établi pour être juge ou répartiteur parmi vous !? "

C'est comme si Jésus lui disait : " Tu me prends pour qui ? C'est pas mon boulot ! Je refuse de jouer aux arbitres ou de faire le conciliateur pour régler un litige."

Jésus refuse de juger et pourtant ne dit-on pas dans le Credo qu'" il viendra de là (du ciel) pour juger les vivants et les morts " ? ! Il refuse de se laisser embrigader dans cette affaire de partage, dans cette affaire d'héritage. Jésus refuse... d'aider ! ?
Vraiment ? ou faut-il comprendre Jésus autrement ?

Ne se pourrait-il pas que Jésus en rabrouant cet anonyme que nous pourrions être, ne se pourrait-il pas que Jésus, précisément veuille l'aider, veuille nous aider. Mais à quoi ?

Je lis la suite : " Puis il s'adressa à eux " ( eux : c'est les disciples, au sens large, c'est la foule qui les entoure ; eux, c'est le frère frustré, c'est vous et moi...) " puis il s'adressa à eux : " faites attention et gardez-vous de toute cupidité. " Pourquoi ? " Parce que ce n'est pas dans l'abondance de biens que consiste la vie. "

Ici il faut préciser une chose: Jésus ne fait pas de différence entre les biens spirituels, comme on dit, et les bien matériels. Non ! Pas du tout ! En revanche, en refusant d'entrer en matière, il invite notre anonyme, il invite donc chacun, chacune d'entre nous à nous poser cette question : Qu'est-ce qui donne sens à ta vie ? Qu'est-ce qui est primordial dans ta vie ? Pour toi, où est ta priorité ? Quel est ton point d'ancrage pour les 60 ou 80 ans que tu passes sur cette terre ? Est-ce ta part d'héritage, ton compte en banque, ton niveau de vie ? Est-ce cela qui est le plus important pour toi ou est-ce ta relation avec Dieu et avec ton frère ?

En d'autres termes, tel est le message de Jésus à notre anonyme, si tu te bloques sur cette question d'héritage, tu manques ta vie, tu perds ta vie, tu passes à côté. Cherche d'abord le Royaume de Dieu et sa justice. Tout le reste te sera donné en plus.

D'accord, c'est facile à dire, mais c'est peut-être plus difficile à vivre ! à mettre en pratique surtout quand on pense qu'on a droit à quelque chose... Mais peut-être que Jésus, incidemment voudrait aussi nous dire : Ne pense pas seulement à tes droits... réfléchis un peu à tes devoirs !

Enfin il se pourrait que Jésus veuille dire à notre anonyme, veuille nous dire : " Je ne suis pas venu pour régler vos querelles de famille. Je suis venu vous offrir la vraie vie qui consiste en l'amour de Dieu et du prochain. C'est à la fin des temps que s'accomplira la répartition finale, le jugement dernier. Maintenant il s'agit de vivre et d'agir ici en fonction du Royaume qui vient et qui affleure déjà parmi nous ".

La vie véritable ne dépend pas de ce qu'on possède. Dans toutes les couches de la population vous rencontrez des gens heureux, rayonnants, bien dans leur peau, prêts à aimer, prêts à aider. Et dans toutes les couches de la population, des plus riches ou plus pauvres, j'ai rencontré des gens aigris, malheureux, repliés sur eux même, égocentriques. La vie véritable ne dépend pas de ce qu'on possède. Elle vient d'ailleurs ou si vous préférez, elle est cachée au plus profond de nous-mêmes.

La racine des maux qui sabotent une vie n'est pas dans ce qu'on possède, dans ce qu'on a, mais dans ce qu'on est. Pour illustrer cela Jésus raconte une brève histoire.

" Le domaine d'un homme riche prospéra ". C'est bien. C'est réjouissant. Dans l'Ancien Testament souvent de belles récoltes sont un signe de la bénédiction divine.

Cet homme (aussi un anonyme !) se met à dialoguer avec lui-même. Ici, j'insiste , cet homme, béni des dieux ou ... béni tout court, dialogue .... avec lui-même. Il n'a pas de frère, ni de prochain, il n'a pas de vis à vis. Il est seul et, si vous lisez attentivement la parabole, vous verrez que cet individu, pourtant dans une situation florissante, prospère, est enfermé en lui-même, refermé sur lui-même.

Cet agriculteur aux belles récoltes se dit en lui-même : " Que ferai-je, puisque je n'ai pas assez de place pour amasser, pour engranger tous mes produits ? Je vais tout tirer en bas. Et je vais reconstruire des entrepôts plus beaux, plus grands, plus fonctionnels, plus rentables qu'avant. ! Et j'amasserai là tout mon blé et mes biens. "

Remarquez que cet homme agit intelligemment, correctement. Il aurait été faux de laisser pourrir ses récoltes sur place. Il n'y a rien de répréhensible à vouloir développer son entreprise !

Et notre homme peut alors envisager des lendemains qui chantent. Le bien-être qu'il espère, il ne le fait dépendre ni de sa relation aux autres ni surtout de sa relation à Dieu. Il escompte une capitalisation à usage personnel. Il se parle toujours à lui-même, replié sur lui-même : mes produits, mes greniers, mon blé, mes biens. " Et je dirai à mon âme, mon âme tu possèdes beaucoup de biens, en dépôt, pour beaucoup d'années, repose-toi, mange, bois, réjouis-toi ! "

" Mais Dieu lui dit..." Tiens ! Jusqu'à présent, il n'y avait qu'un seul personnage dans notre parabole. Soudain, celui qu'on avait oublié ou négligé, auquel on ne pensait plus ! Celui avec lequel on ne comptait pas. Celui avec lequel on n'avait jamais dialogué, celui qui donne la vie et les récoltes, Dieu lui dit - (et c'est vrai qu'il n'y va pas par quatre chemin) : " Insensé ! Homme dénué de bon sens ! " En français courant on dirait peut-être : " Imbécile ! "

Pourquoi ? " Ne vois-tu pas qu'en te coupant de toute relation sociale, ne vois-tu pas qu'en ne pensant qu'à toi, ne vois-tu pas que dans ton égoïsme et ton manque d'ouverture vers les autres, ne vois-tu pas qu'en ne partageant pas tu ruines ta vie ?

Ce ne sont pas tes biens, tes produits, ton blé, tes richesses qui donnent sens à ta vie, mais les relations humaines, interpersonnelles, mais l'ouverture sur Dieu. Dieu n'a rien contre la fête, mais qu'elle ne soit pas égoïste.

Repose-toi : oui, mais en Dieu ! " Souviens-toi du jour du repos pour le sanctifier ".
Mange, oui, mais pas tout seul, dans la communion de tes frères et de des sœurs ; mange, oui, mais partage ton pain avec celui qui a faim ! Bois, oui, mais partage ton verre en donnant à boire à ceux qui ont soif ! Réjouis-toi, oui, mais en permettant aussi aux autres de se réjouir. Alors tu connaîtras la vraie vie. Sinon tu vas mourir... sans avoir vécu !

Tous ces partages-là ne sont pas dus à un ordre, à une loi, au décret d'un tribunal. Ils proviennent de l'amour. Notre riche paysan ne sait pas aimer. L'aura-t-il appris ? La parabole ne répond pas à cette question. Au fond, notre homme ne connaissait pas la prière attribuée à St-François : " C'est en donnant qu'on reçoit ! "

Cette parabole nous invite, chacun, chacune d'entre nous, à gérer nos biens dans la perspective du Royaume de Dieu qui vient et que nous attendons, ce Royaume qui déjà est parmi nous.
Enfin, pour terminer : J'ai parfois bien peur que notre Suisse, dont nous allons bientôt célébrer la fête, soit dans la situation de notre homme qui avait de grands biens. Les entrepôts, les greniers sont pleins, on est assuré contre tout, on démolit pour construire plus grand, plus vastes, plus riches, mais la vraie vie nous échappe de plus en plus. Dommage. Serions-nous, nous aussi, devenus un peuple égoïste et coupé de Dieu ?

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Gérald Chappuis
Musique
Roland Volet, trompette