Le figuier stérile

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Dimanche prochain, vous le savez peut-être, le pasteur Marc-Edouard Kohler, de Zurich - un habitué lui aussi des cultes radiodiffusés de Champex - prêchera. Avec lui, il y a quelques mois, nous avons préparé le programme de ces deux cultes d'été retransmis de Champex. En pensant à cette période de l'année où, chez nous, la végétation se présente dans toute sa force et sa variété, nous avons choisi, comme textes de prédication, deux exemples empruntés à Jésus, deux paraboles. Elles ont le même sujet : un figuier. Un figuier donc, mais deux applications différentes.
Dimanche prochain ce sera le figuier maudit. Aujourd'hui : vous l'avez entendu, le figuier qui ne donne rien, le figuier improductif, stérile.
Ils sont très nombreux, en Suisse romande et au-delà, ceux et celles - si j'en crois l'émission " Monsieur Jardinier " - qui vouent tous leurs soins à leurs plantes d'appartement, aux fleurs, aux arbustes ou aux arbres de leur jardin.

Dans de nombreuses Églises, notre texte est lu et commenté au moment de la Fête des récoltes, au moment où l'on engrange, où l'on cueille les fruits de la terre, fête des vendanges, fête des moissons. Reconnaissance. Actions de grâce.
Et pourtant, chez nous, comme en Allemagne, l'exemple du figuier sur lequel on ne trouve pas de fruit, est aussi employé pour le " Buss- und Bettag " : jour d'humiliation (examen de conscience) de repentance, jour du Jeûne aussi au cours duquel le croyant, demande pardon , reconnaît la pauvreté de sa vie de foi.
Alors le texte d'aujourd'hui nous invite-t-il à la fête ou bien - pour employer une image biblique - à nous frapper la poitrine, à la tristesse ?
L'un sans doute n'exclut pas l'autre. A) Je rends grâce pour la création, pour les récoltes, pour l'économie, pour la stabilité politique, bref pour tout ce que Luther mentionnait dans l'explication du " Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour. " : pain, récolte, nourriture, donc santé, paix, logement, ami, famille.
Merci pour tout cela. Mais B) simultanément : qui sommes-nous pour jouir d'un tel niveau de vie que beaucoup nous envient ? Que faisons-nous de tant de bienfaits alors qu'à quelques centaines de kilomètres d'ici la sécheresse détruit les récoltes, la violence et la haine déchirent les familles, rendent les moissons impossibles et ruinent l'économie ?
Alors, en fait, cette petite parabole - Luc est le seul à nous la transmettre - sur quoi met-elle l'accent ? Sur le " Merci " ou sur le " Pardon " ou sur autre chose encore ?

Reprenons l'exemple de Jésus : un propriétaire a une vigne. Du temps de Jésus, nous disent les spécialistes, on plantait facilement, dans la vigne, des arbres fruitiers. Le parchet était à la fois vigne et verger. Il n'était pas rare des d'y trouver des figuiers, arbres robustes.
Notons encore que, d'après le livre du Lévitique, ce n'est qu'après trois ans qu'on pouvait consommer des fruits d'un arbre. Autrement dit, il y a six ans que cet arbre prend de la place pour rien. Il épuise le sol inutilement. C'est un cas désespéré.
La décision du propriétaire est donc absolument normale, logique, économique : " Coupe-le "

Frères et sœurs
Arrêtons-nous ici. Je ne connais pas bien, je ne connais même pas du tout les paroisses dont vous êtes membres. Je connais un peu mieux l'église française de Bâle, ma paroisse. Mais cette parabole demande à chacune de nos paroisses : occupons-nous la place inutilement ? Épuisons-nous la terre pour rien ? Gaspillons-nous les ressources qui nous sont données ? Produisons-nous du fruit, oui ou non?
Soyons plus précis, en tant que paroisse (et aussi bien sûr en tant qu'individu !) : produisons-nous du fruit ? Par exemple : quel service rendons-nous ? Quelle est la valeur du témoignage que nous rendons au Christ ? Quel est le rayonnement, de notre amour, de notre vie communautaire ? Dans un monde souvent désespéré, marqué par l'angoisse, savons-nous rendre compte de notre espérance ? Au milieu de tant de personnes déboussolées, sommes-nous capables de renvoyer à Celui qui est notre point d'ancrage ? Concrètement : en quoi et comment se manifeste notre foi ?
Et si Dieu, le Dieu d'Israël, le Dieu de Jésus-Christ, quand il vient chercher des " figues " dans les paroisses de Suisse romande n'en trouvait pas ? Et si, alors, en toute logique, en toute justice et raisonnablement il disait : "Il faut les supprimer, les couper. Elles occupent le terrain inutilement. Elles sont plus nuisibles qu'utiles. Elles ne produisent pas les fruits que j'en attends. "

Si cette lecture est juste, alors nous devrions mettre l'accent sur la tristesse, sur le repentir, sur la nécessité d'une réforme en profondeur, car la hache, pour parler comme Jean Baptiste pourrait être toute proche des racines de l'arbre.
S'il fallait en rester là, nous serions bien malheureux. Mais notre parabole continue : maintenant le vigneron intervient : "Maître, laisse-le encore cette année ! Le temps que je bêche tout autour et que j'y mette du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l'avenir. Sinon tu le couperas... "
Savez-vous que le vigneron propose quelque chose d'extraordinaire, d'exceptionnel, d'inusité ? Les spécialistes de l'arboriculture de l'Ancien Testament et du Nouveau Testament nous disent que le figuier est un arbre si robuste qu'il ne demande aucun soin. Dans toute la littérature connue de l'Antiquité, on ne parle jamais de mettre de l'engrais au pied d'un figuier.
Autrement dit, le vigneron va faire, lui, un effort ; il va tout entreprendre pour que cet arbre malade (j'allais dire : pécheur !) pour que cet arbre malade qui ne remplit pas son but, qui ne répond pas à sa vocation, il va tout faire pour que cet arbre malade, donne du fruit.

Le vigneron, dans la logique de la parabole, vous l'avez compris, représente le Christ : le Christ qui a tout fait pour nous ; le Christ qui intercède pour nous; le Christ qui demande, pour nous, un délai. Pourquoi ? Pour que nous ayons encore l'occasion d'améliorer notre service, de perfectionner notre témoignage.
Le temps que nous vivons, ce temps d'été et de vacances pour lequel nous rendons grâce, est un temps que nous devons à l'intercession du Christ. Il a tout fait, il continue de tout faire pour que nous produisions, pour que nous donnions du fruit. Nous vivons le temps de la patience de Dieu, ne le décevons pas !
Nous vivons en sursis ! Dieu le propriétaire de la vigne et du figuier s'est laissé infléchir par la prière du vigneron, par l'intercession du Christ "Peut-être (donnera-t-il du fruit à l'avenir ?) sinon (tu le couperas) !"

Revenons en arrière :
Vous savez, sans doute, frères et sœurs, comment les premiers chrétiens ont compris cette parabole ? Pour eux, le figuier était un symbole, une image qui représentait Israël, le peuple de Dieu. Pendant trois ans, Jésus, comme les anciens prophètes, comme Jérémie, avait essayé, avait tout entrepris pour que le peuple d'Israël soit conforme à l'attente de son Dieu. Hélas ! les efforts du Christ, sa prière pour ses compatriotes ont été vains.
Quelque 30 ou 40 ans plus tard, le " figuier " a été déraciné, coupé. Jérusalem a été rasée, ses habitants dispersés pour des siècles. Voilà comment Luc et ses premiers lecteurs ont lu cette parabole.
Et nous comment devons-nous la comprendre ? Quels sont les fruits que le propriétaire du figuier attend de nous ? Faut-il préciser ?
Une vie de prière plus intense ? Des cultes plus fervents ? Une vie communautaire plus rayonnante ? Une marche plus rapide vers l'unité des chrétiens ? Un soutien accru à la mission ? Un engagement social plus marqué ? Une lecture plus régulière de la Bible ? Et vous pourriez, chacune, chacun d'entre vous, selon vos dons et vos capacités, selon vos intérêts, allonger cette liste : soutenir la Croix-Bleue, appuyer l'ACAT (l'Action des Chrétiens pour l'abolition de la torture). Sans doute.
Mais ne l'oublions pas : la parabole nous le rappelle. Toutes ces œuvres que je viens de mentionner, nous ne pourrons les accomplir, les produire que si nous acceptons de nous laisser nourrir, fortifier (risquons le mot " engraisser " au sens d'engrais, "fumer" au sens de fumier !) par le Christ.
Oui, jour de reconnaissance pour les jours que Dieu nous donne, pour le délai qu'il nous accorde. Jour d'humiliation pour la faiblesse de notre foi et la tiédeur de notre amour.
Un mot encore pour terminer : parfois, ce que Jésus ne dit pas est plus inquiétant, plus mobilisant que ce qu'il dit. Vous l'avez remarqué : cette parabole n'est pas terminée. Que s'est-il passé l'année suivante ? Le figuier a-t-il produit quelque chose ou a-t-il été coupé ? A chacun de nous de répondre par sa vie !

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Gérald Chappuis
Musique
Roland Volet, trompette