Appel à se recentrer sur l'enseignement du Christ

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Frères et sœurs,
Ils sont nombreux - et vous en êtes peut-être ! - ils sont nombreux ceux et celles qui sont déçus de l’Église, de ses divisions, de ses imperfections, déçus de son manque de rayonnement. Le côté humain, trop humain de beaucoup de pasteurs dont, sans doute, moi le premier, fait problème. Les tensions dans les paroisses, sans compter, bien sûr, les difficultés financières, les réorganisations successives, la suppression de certaines activités traditionnelles de l’Église, tout cela fait mal et nuit à la crédibilité de l’Église sans parler des divisions de l’Église.
Dans cette situation, ils sont nombreux ceux qui ont une certaine nostalgie de l’Église d’autrefois, surtout de l’Église primitive. Ils imaginent une Église primitive parfaite, unie, partageant tout, dynamique, conquérante, victorieuse, évangélisatrice, convertie. Et l’on se prend à rêver : Ah ! si l’Église, ah ! si les paroisses d’aujourd’hui pouvaient ressembler à celles de hier, à celles du début du Christianisme.
Or, le lecteur de l’Evangile qui lit d’un œil critique, sans lunette rose, découvre bien vite que l’Église du premier siècle, l’Église pour qui les Evangiles ont été écrits, l’Église telle qu’elle est décrite dans les épîtres de Paul ou dans les Actes, cette Église aussi a connu, très tôt (faut-il dire : trop tôt ?) des divisions, des luttes intestines, des déceptions, des échecs, des difficultés financières, des conflits d’interprétations. On dirait que Jésus avait prévu cela ! C’est pour nous qui sommes parfois déçus des difficultés de l'Église, à l’intérieur de l’Église ou de nos paroisses, c’est pour nous, mais aussi et déjà pour la paroisse dont Matthieu était membre, qu’il raconte cette parabole, Matthieu 13, 24 – 30.

Jésus a semé – comme on disait autrefois – la Bonne Parole, l’Evangile et un autre, dans notre petite histoire, nommé «l'ennemi», un autre a semé la «zizanie», c’est le mot grec pour dire la «mauvaise herbe.» Remarquez que Jésus n’entre pas en discussion sur le pourquoi sur le comment, sur l’origine de cet «ennemi», il constate objectivement son existence. On peut même rêver un peu : Jésus longe avec ses disciples un champ, où effectivement, ivraie et bon grain sont mêlés. Il s’arrête et profite de l’occasion pour en tirer un enseignement.
Il paraît, nous disent les botanistes qu’au départ les deux plantes sont relativement semblables. Il n’est pas facile de distinguer l’une de l’autre. Mais au moment où les épis apparaissent, au bout de quelque temps, la distinction est plus facile, d'où la proposition des ouvriers agricoles : on va arracher les mauvaises herbes tout de suite. Les ouvriers agricoles aimeraient un champ propre en ordre (comme on dit chez nous !), où il n’y aurait que du bon grain. En langage clair, ils rêvent d’une paroisse, d’une communauté, d’une Église parfaite, sans mauvaise herbe, sans chardon, sans tache ; une Église de croyants et de croyantes adultes et responsables, engagé(e)s et pratiquant, une Église qui témoigne avec force et courage de l’Evangile du Christ.

Souvent, il m’arrive de rêver comme les ouvriers agricoles de notre parabole. « Ah ! si l’Église, l'Eglise mais aussi ma paroisse étaient confessantes, unies, charismatiques, triomphantes, converties. Ah ! si on pouvait arracher, enlever, supprimer toutes les mauvaises plantes, toutes les mauvaises herbes ! Ah ! si on pouvait extirper, expulser, excommunier tous ceux et celles qui ne marchent pas droit, qui ne pensent pas comme nous. » Les excommunications, les bûchers, les condamnations du Saint-Office ne sont pas loin.
Le patron de notre histoire, vous l’avez entendu, refuse la proposition des ouvriers. Autrement dit, dans la logique de la parabole : Dieu refuse. Pourquoi ? Pour deux raisons.
1) Vu que ces plantes (le bon grain et les mauvaises herbes) se ressemblent, on risquerait, en arrachant les mauvaises herbes, d’arracher aussi les bonnes. (Sous la terre, nous disent les botanistes, les racines des épis et de la « zizanie », des mauvaises herbes sont entremêlées : en arrachant les mauvaises herbes, on risque de déraciner aussi les bonnes ). Donc en voulant purifier l’Église par la manière forte, on risquerait, on risque, de faire plus de mal que de bien !
2) Mais surtout, le jugement, la distinction entre les uns et les autres, c’est Dieu qui la fera. Ce n’est pas aux hommes de la faire. En revanche, à la fin des temps, au moment de la grande moisson, là aura lieu le tri. À ce moment-là, quand on arrachera tout, il sera facile de distinguer entre ce qui va dans la grange et ce qui est destiné à allumer ou à alimenter le feu. (En effet, nous disent les historiens, on liait la zizanie en botte pour en faire du combustible.)
Ce n’est pas à nous, même si Dieu, en Christ, et par l’Esprit nous confie de grandes responsabilités, ce n’est pas à nous les hommes, même et surtout si nous avons une grande, une très grande responsabilité dans l’Église, de nous mettre à la place de Dieu et d’excommunier, d’extirper, de condamner, d’exclure. Même le vicaire du Christ ne saurait, selon cette parabole, s’arroger le droit de faire lui-même, avec violence, le tri entre ce qui est bon grain et mauvaise graine, entre ce qui est Église et ce qui ne l’est pas.

Si l’Église, si les Églises au cours des siècles s’étaient souvenues de cette parabole, elles auraient allumé moins de bûchers, elles auraient causé moins de larmes, moins d’injustice. Elles auraient fait preuve de plus de patience, plus de confiance dans le Seigneur. C’est le Christ, le Vivant, celui qui est Amour, c’est Lui qui jugera, à la grande moisson, qui fera le tri, qui gardera ce qui est bon.
C’est donc dans la parabole de Jésus, et face aux difficultés, aux divisions aux tensions, aux infidélités de l’Église, c’est donc tout d’abord un appel à la patience que nous adresse cette parabole. C’est ensuite un encouragement à ne pas nous laisser abattre ou ébranler dans notre foi à cause des nombreuses mauvaises herbes de tout genre qui poussent autour de nous. Toujours selon notre parabole, ces mauvaises graines, ces mauvaises plantes ne sauraient en aucun cas mettre en danger la moisson, mettre en danger l’œuvre de Dieu commencée en Christ.
Paul, dans un autre langage, dit la même chose : Rom 8, 35, 37 - 39 «Qui nous séparera de l'amour du Christ ? La détresse, l’angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le glaive ? (...) En tout cela nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés. Oui, j'en ai l'assurance : ni la mort ni la vie, (ni les anges, ni les dominations), ni le présent ni l’avenir, ni les puissances (ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs), ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur.»

C’est donc un appel à la foi, un appel à la confiance envers et contre tout, un appel à la patience que nous adresse la petite histoire que nous venons de lire. Matthieu, l’évangéliste, quand il trempe sa plume dans l’encre pour écrire sur un papyrus ou sur un parchemin «son» évangile, Matthieu a, devant les yeux, sa paroisse, sa communauté : elle non plus n’est pas parfaite. À l’intérieur de sa communauté des tendances diverses déjà s’affrontent. Les uns pensent, par exemple, qu’à cause de la liberté que Jésus donne, la Loi n’est plus nécessaire, c’est la glorieuse liberté des enfants de Dieu, tout est permis. D’autres, au contraire, par fidélité au Dieu de Jésus-Christ, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de Moise, exigent la fidélité, une fidélité inconditionnelle à la Loi. Qui est l’ivraie ? Qui est le bon grain ? Lesquels sont les vrais disciples du Christ ?
Alors Matthieu, sur la base de la parabole que je viens de vous lire et qu’il vient d’écrire, Matthieu essaie de comprendre la situation de sa propre paroisse en proie déjà à des tensions, à des divisions. Il essaie d’interpréter la situation de sa communauté à la lumière de la parabole de l’ivraie et du bon grain. Matthieu fait alors ce qu’on appelle une allégorie ou si vous préférez une sorte de dictionnaire :
Écoutez : celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme (en clair : Jésus) dont la Parole est annoncée par la prédication dans le cadre du culte (comme maintenant).
Le champ c’est le monde. Ici, je n’ai malheureusement pas le temps de dire pourquoi – mais ici, et dans le cadre exclusif de l’œuvre de Matthieu, il faut comprendre le champ dans lequel Dieu sème la parole du Christ, comme étant l’Église, ma paroisse.
Le bon grain ce sont les sujets du Royaume, c’est peut-être vous, vous ici, vous à l’écoute ; le bon grain, c’est peut-être moi.
L’ivraie ce sont les sujets du Malin. L’ivraie ? Ce pourrait être moi, ce pourrait être vous au près ou au loin ?
L’ennemi qui a semé la zizanie, la mauvaise herbe. c’est le diable. Notez bien – on peut être d’accord ou pas ! – le diable, l'ennemi, (appelez-le comme vous voulez) le semeur de zizanie, de trouble, le semeur de tensions, et de division, le diable est à l’œuvre en nous et parmi nous à l’intérieur de l’Église.
La moisson c’est la fin du monde.
Les moissonneurs ce sont les anges.

Ici Matthieu arrête son allégorie, il ne continue plus son dictionnaire. Il change de style. Il compose une petite apocalypse ! Écoutez : «De même que l’on ramasse l'ivraie pour la brûler au feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde : le Fils de l'homme (Jésus donc) enverra ses anges, ils ramasseront pour les mettre hors de son royaume toutes les causes de chutes, et tous ceux qui commettent l'iniquité et ils les jetteront dans la fournaise et le feu : là seront les pleurs et les grincements de dents... »
Vous l’avez remarqué ? Le sens de la parabole a été changé. Ce n’est plus un appel à la foi, à la patience, à la confiance, un appel à attendre patiemment la moisson. Matthieu par son allégorie, recompose en quelque sorte la parabole de Jésus, il l’interprète pour sa communauté, la réécrit pour sa paroisse (et bien sûr aussi pour les nôtres !), il lui donne un nouveau sens.
Ce n’est plus un appel à la patience, à la foi, (la moisson vendra, ne vous laissez pas troubler par le mal dans le monde) mais c’est un appel à l’obéissance que nous adresse maintenant cette parabole : soyez fidèles au Christ, restez crocher, accrocher à son enseignement, sinon, à la fin, le sort de l’ivraie vous attend.
Certes, tel devient le sens de la parabole interprétée par Matthieu, toute l’humanité est en route vers le jugement, toute l’humanité mais surtout et avant tout : l’Église. L’appartenance à l’Église ne confère aucune sécurité, les fauteurs de scandale et d’iniquité seront jetés dans la géhenne. C’est donc une exhortation que Matthieu adresse à sa communauté divisée : qu’elle se recentre sur l’enseignement du Christ, qu’elle retourne toujours à lui, qu’elle médite sans cesse son enseignement.
Frères et sœurs, c’est bien ce que nous faisons ensemble, ce matin : essayer de toujours mieux comprendre et bien sûr de toujours mieux vivre, ce que le Vivant, attend de nous, aujourd’hui.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Gérald Chappuis
Musique
Roland Volet, trompette