Tant de choses à partager....

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Chers amis, qui nous faites l’amitié de nous recevoir chez vous, frères et soeurs en Jésus-Christ, « Dis-moi comment tu t’alimentes, dis-moi de quoi tu te nourris, et je te dirai qui tu es ! » Tel pourrait être un slogan découlant du texte qui nous a été lu, il y a un instant, et reflétant un important aspect de la problématique qu’il pose.

Nous passons, n’est-il pas vrai, beaucoup de temps à nous alimenter, à nous sustenter, à chercher à nous mettre quelque chose sous la dent, comme on dit. Ce faisant, bien souvent, nous ne faisons qu’entretenir, voire développer des habitudes alimentaires, qu’il nous est difficile de remettre en question. Pour que nous modifiions quelque chose dans ce domaine, il nous faut l’insistance et toute la force de persuasion d’un médecin, par exemple. Il nous arrive même de nous montrer insatiables ou de développer une véritable boulimie ! «Je consomme, donc je suis» : tel est l’esprit dans lequel nous sous surprenons parfois à vivre !
N’est-il pas effarant de constater tout ce que nous sommes capables d’avaler ? : 
- pas seulement des couleuvres, mais aussi des flots d’informations, souvent fort indigestes.
- des connaissances de plus en plus poussées. Qui n’a pas déjà dévoré un livre, un manuel, un ouvrage spécialisé, un guide touristique ? Que sais-je encore ?
Et, il faut bien le reconnaître, malgré cela, il nous arrive de rester sur notre faim. Existe-t-il une nourriture susceptible de calmer notre faim ? Où peut-on la trouver ? Faut-il s’en gaver ou est-elle à consommer avec modération ?
C’est à de telles questions que notre texte apporte de précieux éléments de réponse. Nous y rencontrons tout d’abord une foule; une foule non seulement en proie à la curiosité, imprévisible dans ses réactions, mais aussi une foule, sur le qui-vive, en éveil, en quête d’authenticité.
Sa soif d’extraordinaire, de miraculeux, qui la conduit à suivre Jésus à la trace, me semble être l’expression de son besoin d’en savoir plus sur la possibilité de sortir des sentiers battus, sur la possibilité de changer, voire de guérir.
Certains, je le présume tout au moins, aspirent à émerger de l’ordinaire. D’autres, au sein de la foule, se sont sûrement surpris à renouer avec l’espoir. Les signes que le Christ avait opérés parmi eux, leur avaient mis l’eau à la bouche. N’avaient-ils pas une saveur particulière, un avant-goût de Royaume ?
Face à cette foule affamée, un homme, un simple homme : Jésus de Nazareth, entouré de quelques Galiléens, un homme qui n’avait aucunement envie de manger, ni les économies de ceux qu’il rencontrait - comme le feraient les gourous d’aujourd’hui - ni même parfois le pain qu’on lui proposait.
A ses disciples qui le pressaient de manger, il avait donné en pâture ce mot quelque peu énigmatique : «ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé, et d’accomplir son oeuvre» “ (Jean 4, 34)
Ultérieurement, il leur déclarera : «Travaillez non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui subsiste pour la vie éternelle et que le Fils de l’homme vous donnera.» (Jean 6,27)
Nul doute qu’ils en furent quelque peu «estomaqués» Alors, il est du plus grand intérêt d’observer ce que le Christ va faire, comment il va s’y prendre face à cette foule qui, d’un certain point de vue, crie famine et dont le comportement est dicté par la faim.
Va-t-il éviter tout contact ? Manoeuvrer subtilement pour, si vous me permettez cette expression, ne pas se faire «bouffer» par elle ? Le Christ va établir le contact. La faim de ceux qu’il rencontre n’est pas un problème pour lui. Il ne la craint pas, ni ne la fuit. Et si elle le touche, il ne s’en rend pas malade pour autant. Il ne s’apitoie pas sur elle, ni ne s’en culpabilise.
Elle ne génère chez lui ni indifférence, ni résignation. Ceci d’autant que la fête de la Pâque juive est proche, comme le rappelle l’évangéliste, la fête au cours de laquelle l’on va manger en plus de l’agneau et des herbes amères du pain sans levain, vivant rappel de la manière dont Dieu a pris soin de son peuple lors de la traversée du désert. Jésus sait ce que représente la quête du pain quotidien ainsi que celle du sens.

En présence de la foule, et de celle de ses disciples, là-haut sur cette montagne qu’il vient de gravir, il va la laisser exister, cette faim. Elle pourra se manifester, se donner à connaître, se déployer en quelque sorte, et ceci dans un climat de sérénité. Le Christ laisse entendre par là qu’il sait très exactement ce qu’il y a à faire et qu’il y a quelque chose à faire. En tout premier lieu, le Christ va relancer les siens à propos de la grande faim de la foule.
Pas de solution-miracle, de démonstration qui frappe les regards. Pas de tape-à- l’oeil, ni étalage, ni déploiement de pouvoir, mais une simple question adressée à Philippe, l’un des douze : «Où achèterons-nous des pains pour que ces gens aient à manger ?» (v. 6)
Ce faisant, Jésus donne aux siens la possibilité de prendre conscience de l’ampleur de la tâche, de l’importance du problème qui se pose. Mais en même temps, il leur permet de découvrir qu’il y a toujours quelque chose à faire, que quelque chose peut être entrepris et que ce quelque chose, personne ne le fera à leur place.
Tout se passe comme si le Christ donnait à ses disciples un antidote à la résignation, à cette croyance selon laquelle toute tentative serait vouée à l’échec, à cette attitude consistant à ne rien entreprendre sous prétexte qu’il n’y a pas de solution satisfaisante. Il s’oppose à ce «plutôt rien que trop peu» que les hommes savent si bien développer et qui est l’expression de leur désespoir. Et si, dans un premier temps, la résignation se manifeste, face à la dépense imaginée par Philippe, et selon laquelle ça ne suffira jamais, il y a néanmoins, au coeur du problème, un apprentissage à faire.
André nous met sur la voie : il sort de l’anonymat pour faire observer la présence d’un garçon disposant de cinq pains d’orge et de deux poissons. Ce sera le tournant de l’histoire. Plutôt que de se lamenter sur le peu de moyens face à l’immensité du problème, plutôt que de décréter le problème insoluble, à la suite du Christ les disciples vont apprendre à partir de ce dont ils disposent, non pas du manque, mais de ce qui est en leur possession.
Cela ne resterait peu de choses que dans la mesure où ils ne partageraient pas, où ils ne l’investiraient pas dans la solidarité et où ils se contenteraient de se plaindre ou de se lamenter.
Le Christ, pour sa part, est capable de rendre grâces pour ce peu de choses. Il inverse les perspectives et fait du peu qui a été mis à sa disposition, une nourriture suffisante, une bénédiction pour tous. L’abondance des restes en témoigne. Sa méthode repose sur l’espoir. Sa nourriture est vraiment de faire la volonté de celui qui l’a envoyé, c’est-à-dire de ne pas laisser sur leur faim des êtres en quête de vie, de sens, de valeurs, de nourriture qui subsiste jusque dans la vie éternelle, pour reprendre le vocabulaire johannique.
Bien plus, il va se révéler progressivement comme celui qui se donne. Il va devenir lui-même nourriture, manne céleste, pain de vie. «Le pain de Dieu, dira-t-il, c’est celui qui descen.d du ciel et qui donne la vie au monde. Je suis le pain de vie.” (Jean 6,33)

Ainsi redécouvrons-nous comment Jean, l’évangéliste, et tous ceux de son école, ont utilisé le récit de la multiplication des pains pour introduire et illustrer de magistrale façon le grand développement qui va suivre sur le pain de vie dans le restant du chap. 6 de l’Evangile de Jean. Quant à nous, il ne nous reste qu’à tirer quelques enseignements de ce récit qui mérite d’être approfondi et médité :
- tout d’abord, à l’instigation du Christ, nous pouvons procéder à un inventaire de toutes les choses dont nous disposons, sans a priori, simplement parce qu’elles existent et qu'elles peuvent répondre à un besoin. Il semble qu’il soit possible de les gérer pour apaiser la faim. C’est à notre portée et l’Eglise en gagnerait en rayonnement. Je suis sûr qu’il y en a énormément. Mon sentiment est que beaucoup s'abstiennent de les prendre en compte, sous prétexte qu’elles sont insignifiantes. Il n’en est rien.
Ce que je mets à la disposition du Christ pour qu’il en fasse quelque chose, librement, sera multiplié par lui. Ce qu’il partage, comme il a rompu et partagé le pain, devient source de bénédiction pour beaucoup. Trop de personnes se considèrent de moindre valeur, alors qu’elles auraient tant à donner. Je me souviens de cet homme, grand malade, lassé de vivre, qui me dit un jour : «ma vie n’a plus de sens, je ne sers plus à rien». A l’occasion d’une rencontre, il m’avait raconté sa vie, et c’était passionnant.
Je lui ai posé la question: n’avez-vous jamais envisagé d’écrire votre histoire ? Ma main n’est plus assez sûre, cela ne m’est plus possible, avait-il répondu. Je lui suggérai alors d’utiliser un enregistreur et de parler. Il se laissa convaincre. Après sa mort, son épouse me raconta combien il avait été content de cette possibilité. Il avait su réexploiter la richesse qui lui avait été donnée en partage !
Pour que de telles choses se réalisent, il faut accepter de sortir de l’anonymat, comme André. Même si certaines choses nous semblent dérisoires, elles méritent d’être signalées : cinq pains, deux poissons: trois fois rien ! Mais pas aux yeux du Christ et pas entre ses mains ! Nous tous, nous sommes appelés à être debout, en marche, sensibles aux faims de nos contemporains, mais aussi témoins de celui qui est pain de vie, appelés donc à risquer une parole et à agir sous son autorité et à son service.

Il y a tant de choses à partager ! Et nombreux sont ceux qui se contenteraient d’une miette. Chaque fois que nous rompons le pain, c’est aussi cela que nous proclamons. Ne renonçons pas à partager le pain de vie .
-Et enfin, frères et soeurs, soyons persuadés que rien de ce que nous mettons à la disposition du Christ, n’est perdu. C’est ce que, à sa façon, Christine Egger a exprimé dans ce livre qu’elle a écrit : «Une foi n’est pas coutume» pour nous donner courage. Elle le fait avec un brin d’humour.
RIEN N’EST PERDU. Même la caresse que tu donnes à ton chien ne se perd pas sans laisser de trace. L’univers y gagne en douceur, le Royaume de Dieu s’en réjouit. Même les graines que tu donnes aux oiseaux diminuent la faim de la terre. L’univers se trouve nourri de ta simple aumône. Même l’eau que tu donnes à tes plantes fait pousser les racines de la Vie. L’univers se trouve arrosé du petit geste de ta main. Même le sourire adressé au passant ne s’estompe pas sans avoir engendré de la tendresse au coeur du monde, et Dieu lui-même en sourit.


C’est pourquoi, aujourd’hui, nous voulons adresser cette prière au Seigneur :

Seigneur, prête-moi ce que tu es .

Je veux bien te prêter mes mains, Seigneur
pour rompre le pain et donner;
mais toi, prête-moi ton regard !
Je veux bien te prêter ma bouche, Seigneur,
pour dire tes merveilles à ce monde;
mais toi, prête-moi ta parole !
Je veux te prêter mes pieds, Seigneur
pour courir vers ceux qui pleurent;
mais toi, prête-moi tes ailes !
Je veux bien te prêter ce que je suis, Seigneur,
pour accueillir et pour partager;
mais toi, prête-moi ce que tu es ! “
Amen.

(Christine Egger : “Une foi n’est pas coutume” Editions Ouverture - Collection “ L’avenir du présent” 1985)

Détails

Avec la participation de
Orgue
Musique
Brigitte Buxtorf, flûte, Christine Lacoste, violoncel, Mark Varshavsky, violoncelle, Nicolas Le Roy, pianiste