Pentecôte

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Frères et soeurs,

Il y a quelques semaines, un jésuite nous parlait d'une tribu de Bédouins dans la presqu'île du Sinaï. «Quelle est leur religion ?» demanda l'une d'entre nous. Il répondit : «Ils sont musulmans… comme un vaudois qui trouve Dieu tous les 25 ans à la Fête des Vignerons est chrétien !» Remarquez que je n'ai rien contre la Fête des Vignerons et qu'effectivement, Dieu peut nous rencontrer partout.

Mais si je cite la Fête des Vignerons, c'est que notre texte se passe au moment d'une grande fête : la fête des Tentes (on dit aussi des Tabernacles ou de Succoth), ou encore la Fête de Dieu tout court.
Cette fête rassemblait non pas des Bédouins, ni des Vaudois, mais des juifs venus de tout le pays, bien sûr, mais aussi de toutes les nations limitrophes de la Méditerranée : foule colorée, bruyante, bigarrée. Parallèlement à la fête religieuse, en symbiose avec elle, se déroulait aussi la fête populaire, joyeuse… Risquons un anachronisme : l'odeur des saucisses de veaux grillées, les tables des marchands croulant sous les oranges, les stands de boissons, les ballons qui s'envolent et les souvenirs. Bref : la fête !
Mais… de quelle fête s'agit-il ?
Cette fête d'automne célébrait d'abord les moissons et les vendanges. C'est pourquoi, tout à l'heure, j'ai rappelé la Fête des Vignerons. On rendait grâce à Dieu pour les récoltes. Aujourd'hui, on rendrait grâce à Dieu pour une économie qui fonctionne… une économie où il n'y pas trop de parasites… des gros ou des petits !

En deuxième lieu, cette fête se souvenait qu'Israël avait dû vivre plusieurs années comme des fugitifs, en nomade, dans le désert du Sinaï. Là, ils n'avaient pu survivre que grâce à l'eau. Et l'on rappelait cette fameuse histoire où Moïse, excédé par les revendications du peuple, avait frappé de sa canne un rocher… d'où avait jailli une source… Vous savez, ces histoires qu'on se raconte de générations en générations, le soir autour du feu, sous l'infini du ciel étoilé… comme les bédouins, encore aujourd'hui, dans le même désert du Sinaï.

En troisième lieu, cette fête était tournée aussi vers l'avenir : elle espérait le temps annoncé par certains prophètes où, à la suite d'une grande purification (attention ! non pas une purification ethnique mais, au contraire, une purification qui atteindrait tous les peuples de la terre), purification que les prophètes dans leur langage symbolique imaginait comme des fleuves puissants qui sourdraient de Jérusalem et qui iraient ensuite irriguer la terre, tous les peuples, toutes les langues, les bédouins, les vaudois, les juifs bien sûr, tous, y compris les chrétiens et les musulmans, qui n'existaient pas encore, seraient rassemblés, unis, vivraient en paix en buvant à la même source de vie : Dieu.
Résumons : une fête agricole (moissons et vendanges); une fête historique (la traversée du désert); et une fête tournée vers l'avenir : une sorte de purification, de nouvelle création.

Pour les moissons et pour la réussite des vendanges il faut de l'eau; pour survivre dans le désert, l'eau est nécessaire, et la purification des peuples, dans le langage imagé des prophètes, se ferait à grande eau !
Pour symboliser, pour concrétiser, pour visualiser ces trois facettes, le dernier jour de la Fête, le plus solennel, on allait chercher de l'eau dans une piscine, hors les murs de Jérusalem. Cette eau était apportée au Temple, bourré de monde, et versée sur l'autel.

Dans le brouhaha, dans les prières, au milieu des cantiques et des chants de joie, bref dans l'ambiance que j'ai essayé de décrire tout à l'heure : Jésus, debout, (j'ai envie de dire perdu dans la foule… les gens ont-ils même fait attention à LUI ?) Jésus, perdu dans la foule, s'écrie, plus exactement, nous dit le texte, “Jésus crie : «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive !»” Autrement dit : Celui qui veut vous donner une vie pleine et entière (l'équivalent de moissons abondantes et de vendanges réussies) c'est moi ! Celui qui peut vous aider à traverser les déserts de vos vies : c'est moi ! Celui à qui appartient l'avenir, celui qui va rassembler tous les peuples, les unir, les pacifier : c'est moi !
Folle prétention ? Ou bien Jésus est un orgueilleux fou et, dans ce cas-là, — cette époque n'était pas tendre ! — il mérite la mort… ou bien, il a raison mais, dans ce cas-là, il vaudrait la peine de le connaître un peu mieux.
En fait, vous le savez, La Fête s'est mal terminée pour Jésus, pour celui qui criait : «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive…». Arrêté, torturé, il a poussé un autre cri : «J'ai soif !»
Un peu plus tard, comme Moïse dans son énervement avait donné un coup de bâton au rocher, un soldat du peloton d'exécution, pour achever Jésus, lui donna un coup de lance… Avec une ironie amère… ou est-ce plutôt un clin d'oeil (?) l'évangéliste nous dit : Un peu d'eau a coulé de cette blessure… oh ! pas des fleuves non, un tout petit peu d'eau… et un peu de sang pour bien indiquer que Jésus était un être humain comme vous et moi… un être humain qui aimait la fête.

Et depuis lors, frères et soeurs, la source de foi, d'amour et d'espérance issue de cet homme, Jésus, ne s'est plus arrêtée : cette source pousse les croyants à la reconnaissance pour les bienfaits qu'il nous accorde; elle ranime notre courage pour venir en aide à tous ceux qui passent par des déserts, et elle ranime, elle ravive notre espérance pour lutter en vue d'un monde meilleur, d'un monde tel que l'ont entrevu les prophètes, où les hommes de toute langue vivront en paix, se comprendront, parleront le langage de l'amour, du respect mutuel et du partage, bref seront, vraiment, à l'image de Dieu, parce qu'ils se nourriront — c'est une image bien sûr, parce qu'ils s'abreuveront — c'est toujours une image — à la source de vie qu'est le Christ, lui que la mort n'a pas pu retenir et qui nous a donné et nous donne son Esprit, l'Esprit de vie.
Ecoutez une fois encore notre récit : «Le dernier jour de la fête qui est aussi le plus solennel, Jésus se tient dans le Temple et il se met à proclamer à haute voix : «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive celui qui croit en moi.»
L'évangéliste ajoute en parlant de Jésus : «De son sein de son corps, jailliront des fleuves d'eau vive.» Puis il précise encore : «Il désignait ainsi l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui : en effet, il n'y avait pas encore d'Esprit, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié»… glorifié, c'est-à-dire qu'il n'avait pas encore été torturé, qu'il n'était pas encore ressuscité.
Frères et soeurs, nous avons en Jésus, que l'Eglise, hélas, au cours des siècles, a si souvent défiguré, nous avons en Christ une source d'inspiration, de force et d'amour que plus personne ne peut boucher, qui ne tarira jamais. Il vaut la peine d'aller y boire souvent pour y rencontrer Dieu et pas seulement tous les 25 ans… comme à la Fête des Vignerons !

Amen.