L'humanité de Dieu

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Vous vous souvenez ? Les onze ont dit aux deux disciples d'Emmaüs, c'est bien vrai, le Seigneur est ressuscité, il est apparu à Simon. Et, avant même le récit des pèlerins d'Emmaüs qui l'ont reconnu à la fraction du pain, toute la foi des onze repose sur cette certitude : il est apparu à Simon, pas à nous, mais à Simon. Nous sommes tout proche des onze qui font dépendre notre foi de récit fait par des disciples, des apôtres, des compagnons du Christ, mais qui ne sont pas nos récits à nous. Qui ne sont pas notre histoire à nous. Parfois, nous nourrissons notre foi des récits arrivés à d'autres, à des chrétiens exceptionnels qui auraient fait des guérisons, rencontré le Christ face à face, eu des visions. Mais pour la plupart, il ne nous est rien arrivé.
Une foi construite ainsi sur la parole d'autre est un tissu de mensonges et de racontars. En tout cas, dans cette histoire-ci, souvenez-vous, Simon est allé jusqu'au tombeau, et arrivé au tombeau, il s'est penché, il a vu les bandelettes et il est reparti tout étonné. C'est cela qu'il a raconté aux disciples. Et les disciples ont affabulé, construit, repris, en disant, il est apparu à Simon. Mais si je regarde l'Evangile de Luc, et si je regarde chacun des Evangiles, je n'ai pas un seul récit qui dise que le Christ est apparu à Simon.

Gardons-nous que notre foi ne se construise, comme celle des onze, sur ce que nous imaginons des récits, à travers les récits et les expériences des autres. Gardons-nous de projeter dans la tête et l'expérience des autres ce qui fait le fondement de notre foi. Et tout le récit d'aujourd'hui va tendre à nous dire, votre foi à être, doit être la foi en un Christ vivant, réel, concret, humain. Ne construisez pas avec votre imagination, sur de vagues propos entendus et déformés. C'est ce qui va se passer pour les disciples. Ils construisent sur du vide, sur le récit du tombeau vide. Par Pierre, ils construisent la foi en la résurrection, mais une foi qui n'a rien à voir avec la foi chrétienne au Christ ressuscité. La preuve, immédiatement, à ce moment-là, le Christ se tient au milieu d'eux, ils sont effrayés et croient voir un esprit. On est en plein X-files, en plein feuilleton télévisé «Au-delà du réel», retour d'entre les morts, apparition dans les cimetières, esprit qui nous fait une peur pas possible et, en même temps, qui nous fascine. C'est ça la foi des disciples. Ils ne nient pas que le Christ est au milieu d'eux. Ils disent, ô c'est un esprit ! On est dans le Vaudou, on est dans le spiritisme, on est dans toute cette face sombre, cachée et peu avouable de nos désirs que les morts soient quand même au milieu de nous. Mais il ne s'agit pas de vivants.
Et face à cette croyance trouble, le Christ va simplement dire, regardez mes mains et mes pieds, regardez, touchez-moi. Regardez, un esprit n'a ni chair, ni os comme vous voyez que j'en ai. Le Christ ressuscité donne à palper, à ausculter. C'est quasi un examen médical. Et les médecins s'occupent de corps dans tout ce que le corps à d'important et de noble, car c'est à travers lui que nous souffrons, que nous vivons, que nous aimons, que nous servons. Le Christ donne à dire, c'est moi vivant, chair et os, humanité pleine. Touchez et regardez. Regardez mes mains et mes pieds, les pieds qui me permettent d'aller vers l'autre, de rendre des visites toutes concrètes, mes mains qui me permettent de bénir, de caresser, de faire le bien. Regardez-moi, je suis tout humain. Et la foi des disciples, à ce moment-là, la perception, le sentiment des disciples, tourne de la peur, de la crainte, de l'angoisse, de ce sentiment trouble, à la joie. Oui, il est vraiment là. Ce n'est pas l'incursion d'un esprit dangereux, mauvais, venu de ce royaume des ombres dont nous avons peur. C'est un homme, il est là, c'est Jésus, il est là, vraiment présent. Ils tournent en joie. Ils sont inondés de joie et Luc nous décrit cette joie, je relis : «comme sous l'effet de la joie, ils restaient encore incrédules, et comme ils s'étonnaient, il leur dit : “N'avez-vous pas ici de quoi manger ?”».

Ce lien entre la joie et l'incrédulité. Manifestement, ils croient que le Christ est ressuscité, puisqu'ils sont dans la joie. Alors, qu'est-ce qu'ils ne croient pas ? En quoi sont-ils incrédules ? Je crois qu'ils restent incrédules sur l'humanité de ce Jésus. Ils ne croient pas que le Ressuscité soit ressuscité vivant au milieu d'eux, humains, comme ils sont humains. Ça, ils ne le croient pas encore. Ils restaient encore incrédules, non pas sur la résurrection sur laquelle on peut se mettre d'accord philosophiquement, — réincarnation, résurrection, une vie après la mort, ce n'est pas possible que ma vie s'arrête ici, toutes ces réflexions-là, je vous les laisse, je les laisse aux philosophes, je les laisse aux hommes. Mais que le ressuscité soit pleinement humain, qu'il ne nous ramène pas une parcelle d'un au-delà sur lequel nous fantasmons, mais qu'il nous fasse vivre le présent dans lequel nous sommes, cela nous ne le croyons pas. Pleins de la joie de la résurrection, ils ne sont pas encore à croire l'incarnation, la vie dans notre humanité. Et c'est pour cela que le Christ leur demande du poisson à manger. Il le prit et mangea sous leurs yeux. Même pas la Sainte-Cène, le pain et le vin auraient été tellement beaux placés à cet endroit-là, mais cela nous aurait encore ramené dans le spirituel. Non, c'est le pain grillé des pêcheurs, sur le bord du lac de Galilée. La résurrection se joue au coin de la table de la cuisine, autour de la table où l'on déguste les filets de perches, là où est partagé un repas.

Joie, et pourtant il faut encore ajouter quelque chose. C'est Calvin qui disait, la joie n'est qu'un sentiment. Il dit ça beaucoup mieux que moi dans un vieux français charmant, mais que je n'ai pas apporté dans mes notes. Il dit, construire sur un sentiment, avoir une foi sentimentale, c'est avoir une foi qui est à la merci de la volte-face possible de nos sentiments. Notre foi n'est pas : oh je sens qu'Il est là. Notre foi est : je mets en relation ces sentiments, cette expérience de vécu de résurrection dans mon quotidien, je mets cela en relation avec le vécu de ceux qui m'ont précédé. Et c'est pour cela qu'après ces actions toutes concrètes : touchez-moi ! Regardez-moi ! je mange… il leur ouvre l'intelligence, il leur dit, il faut que s'accomplisse ce qui a été pour moi écrit dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.
Cette expérience que vous faites aujourd'hui de façon extraordinaire, elle est ordinaire au peuple de Dieu. C'est celle qui est relatée de la présence de Dieu qui s'approche, qui nous dit, vivez votre humanité pleine et ne vous évadez pas dans des rêves de résurrection. C'est ce que vous lisez dans la loi de Moïse, dans les Prophètes, dans les Psaumes. C'est ce qu'ont lu d'autres hommes humains avant vous. Et vous avez besoin non seulement de vos sentiments, mais de votre intelligence. Il y a un retour nécessaire à la parole de ceux qui vous ont précédés, une ouverture à ceux dans la tradition desquels nous nous posons. Nous ne reconstruisons pas toujours tout seul, pour nous-mêmes, la résurrection. Nous ne sommes pas isolés dans une bulle avec notre joie, notre sentiment qu'il est ressuscité, mais nous sommes en relation avec les autres qui confessent la même foi, avec ceux qui nous ont précédés. Et il faut, pour être des chrétiens convaincus, avoir une intelligence cultivée. Ouvrir l'intelligence, reprendre l'Ecriture, la loi de Moïse, — même pas la loi de Dieu, mais de Moïse, n'est-ce pas une manière d'insister sur l'humanité. Les prophètes, on les connaît par leur prénom, et les Psaumes, ceux qui expriment, à travers la bouche de David, les sentiments les plus humains. Loi, Prophètes et Psaumes, c'est rare qu'on résume, dans la Bible, l'Ecriture par ces trois mots, excluent toute l'Apocalypse, et toute la littérature apocalyptique, toute la littérature fantastique, le livre de Daniel, de notre réflexion.
Jésus nous dit, allez regarder dans les livres des hommes. Et, équipés de cela, c'est cela que vous allez annoncer autour de vous. Vous devenez des témoins non pas pour vous évader, ou évader les hommes et les femmes de leur quotidien, vous devenez des témoins pour dire, le Ressuscité est vivant. Dans notre humanité, Dieu s'est fait homme pleinement, jusque dans le mouvement de la résurrection. Il vient au milieu de nous.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Charlotte Binggeli
Musique
Cantatrice : Gabrielle Fontaney