Pâte levée !

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Le royaume des Cieux est semblable à du levain qu'une femme mélange à trois mesures de farine et voici que toute la pâte lève".

Le royaume des Cieux.... Pour vous, à quoi est-il semblable ? Bien avant cette tenture de carême, cette tenture qui est pour nous tenture de résurrection au chœur de notre église, on a représenté, on a tenté de représenter quelque chose que nous pourrions appeler royaume des Cieux.

Le royaume des Cieux, nous le projetons bien souvent tout en dehors de nous. Ce sera ce moment après notre mort, ou tout à la fin des temps, dont nous n'avons même pas la moindre idée, à peine quelques signes. Aux porches des cathédrales, souvent dans le tympan, au-dessus de la porte principale, au centre on a un Christ qui est non pas dans une auréole d'épis, de feu et de terre, comme sur notre tenture, mais dans une auréole de gloire. Il règne et il met à sa droite ceux qui sont promis au royaume, à sa gauche ceux qui sont réprouvés.

Le royaume des Cieux est en dehors de notre temps, au-delà de notre temps, séparation des mauvais et des bons. Beaucoup plus prosaïquement, habituellement, combien de fois entendons-nous la réflexion : "Si Dieu régnait vraiment, le monde ne serait pas ce qu'il est, autrement dit il n'y aurait plus ni famine, ni guerre, ni atrocité dans notre monde.

Le royaume de Dieu est avènement de pureté et de lumière, mais maintenant nous n'y sommes pas. Quand l'Exode nous parle du mémorial dans l'entrée dans la terre promise, du souvenir de cette entrée dans cette terre que Dieu donne à son peuple, il dit : "éliminez de vos maisons tout levain symbole d'un ancien monde, d'un monde d'oppression, d'un monde dont vous êtes sortis. Recommencez à neuf complètement, totalement". Et pendant une semaine dans les maisons juives, il n'y a pas de levain, pas de cette matière fermentée où fermentent, avec la farine et les sucres, où fermentent les vieilles rancœurs, les échecs mal digérés, les résolutions mal tenues, tout ce qui empoisonne en macérant au fond de nos cœurs nos existences". Eliminez pendant huit jours ce vieux levain où fermentent, avec la farine et les sucres, les vieilles rancœurs, l'échec mal digéré, les résolutions mal tenues, tout ce qui empoisonne en macérant au fond de nos cœurs nos existences, éliminez pendant huit jours ce vieux levain. "

Paul exhorte les Corinthiens, dont la communauté est empoisonnée de querelles entre riches et pauvres, entre enthousiastes et découragés, entre ceux qui prient avec intensité et ceux qui se contentent de vivre leur foi au quotidien. Dans cette communauté déchirée au point que Paul leur dit :"attention au partage de la cène ! Ne faites pas comme si vous raccommodiez dans le repas du Seigneur les querelles qui vous laissent séparés dans la vie de tous les jours", à cette communauté déchirée, Paul écrit : "éliminez le vieux levain de vos méchancetés".

Le levain dans les images de l'Ancien Testament, reprises par Paul dans le nouveau, est comme tout ce qu'on traîne derrière soi et qui nous empêche de vivre pleinement. C'est sur ce fond là que Jésus parle quand on lui demande ce que c'est que le Royaume des Cieux, il ne nous projette pas au-delà de notre temps, ne campe pas un homme en gloire qui sépare les brebis des boucs, Jésus prend une femme, avec ce geste de tous les jours. "Donne-nous, aujourd'hui, notre pain de ce jour ". Il n'ouvre même pas sa parabole en disant : "le Royaume des Cieux est semblable à une femme qui prend du levain", mais le Royaume des Cieux est semblable au levain que prend une femme et qu'elle cache dans trois mesures de farine". Je pense que nous avons perdu le caractère choquant que devait avoir pour les auditeurs de Jésus cette parole. Jésus nous parle du Royaume et dit :"c'est comme du levain, celui que l'on éliminait des maisons au moment de célébrer la Pâque".

Le Royaume des Cieux est comme du levain que prend une femme, geste quotidien, et qu'elle mélange à la farine. Il y a là, je crois une manière de traiter, je ne disais même pas le mal, mais les difficultés, les amertumes de l'existence avec un réalisme formidablement créateur. Nous sommes beaucoup plus marqués par l'exode que par le royaume, par les pains sans levain que par la pâte levée. Au lieu d'intégrer, de reprendre ce qui fait problème, de mêler l'échec et la réalité, nous préférons vivre dans l'illusion d'une pureté possible, d'une élimination du mal. Cela se traduit très concrètement à trois niveaux : au risque de causer de la peine ou de l'énervement à ceux qui ont du mal à imaginer que le Royaume de Dieu parle politique, voici un exemple pour le premier niveau. Depuis la chute du mur de Berlin, élimination de toute une société soi-disant pour la pureté d'un libéralisme, sommes-nous arrivés au Royaume des Cieux ? Rejetant comme inexistant, comme une parenthèse de l'histoire près d'un siècle de la vie de nombreux peuples. (Je ne dis pas de la réussite de nombreux peuples), comme si cela n'avait pas existé, arrivons-nous au Royaume de Dieu ? Beaucoup plus près de nous, le deuxième niveau : presque dans notre vie de tous les jours, la drogue. Je pense que ce n'est pas qu'au Vully ou dans les environs de Morat, mais dans d'autres villages, et sûrement dans bien des villes, que l'on trouve ces jeunes, ou ces adultes, dont la vie est devenue dépendante de la drogue. Pouvons-nous imaginer maintenir notre Royaume de Dieu, en mettant des barrières suffisamment hautes, pour que la pureté de notre farine ne soit pas touchée par la fermentation d'un monde qui nous menace ?

Pouvons-nous imaginer cela ? Ou nous faut-il oser penser un Royaume qui ne parque ni en prison ni en rejet ceux que nous considérons (ou considérerions) comme devoir être éliminés de notre vision du monde. Il nous faut une imagination à la hauteur de celle du Christ pour penser ces questions-là. Non que j'approuve ou que je me réjouisse de voir des jeunes ou des adultes, sous l'emprise de la drogue tomber dans un cycle qu'eux-mêmes qualifient d'infernal, mais pourrions-nous faire le Royaume sans eux ?

Rapprochons-nous encore plus près de nous-mêmes pour le troisième niveau. Comment, de quelle manière osons-nous mêler dans nos souvenirs tout personnels nos échecs, nos vieilles culpabilités, nos rancœurs. A vouloir les éliminer pour être purs enfants de Dieu, tout à la joie, à l'émerveillement nous courons le risque d'être dévorés de l'intérieur par un levain que nous n'avons pas réussi à mêler à notre pâte. Il y a des milieux, des Eglises, des assemblées évangéliques qui dans un souci d'attachement à l'histoire du Christ, de reconnaissance de l'incarnation, de souvenir des gestes mêmes que Jésus a accomplis, prennent la Cène avec du pain sans levain. Honneur à ceux qui se souviennent ainsi du repas de la Pâque, de la sortie d'Egypte, qui s'inscrivent dans une tradition plus vieille même que notre christianisme, mais je suis heureux que la Cène à laquelle nous sommes conviés, prémisse du Royaume, image (icône ?) se prenne avec du pain levé, rappelant la Parabole. Lorsque nous devenons signe du Royaume, partageant ce repas, partageant la Cène, nous puissions prendre avec nous notre vie entière, ceux que nous côtoyons et votre monde, pour les porter en une pâte levée, aérée d'Esprit Saint devant Dieu.

Amen.

Prière

Trop de femmes dans le monde ne pouvant pas donner le pain quotidien à leur famille doivent regarder mourir de faim leurs enfants. Seigneur, nous te prions pour une meilleure justice et répartition des biens. Trop de femmes dans le monde voient mourir leurs époux et leurs enfants à cause des obus. Seigneur, nous te prions de chasser la haine des cœurs des hommes et de les remplir d'Amour, afin que Ton règne de paix vienne, et nous te prions tout spécialement pour la Bosnie, le Ruanda et la Palestine.

Trop de femmes dans ce monde doivent élever leurs enfants seules, à cause d'un veuvage ou d'un divorce. Seigneur, nous te prions pour elles et leurs enfants; Seigneur, donne aux femmes dans ce monde, le désir et le courage de proclamer Ton Nom et Ta présence dans leurs familles.

Amen.

Entre levain et farine

D'un côté la blanche farine, grain nouveau travaillé jusqu'à la pureté; de l'autre le levain gris, d'une pâte abandonnée jusqu'à fermentation, promesse de pain interrompue avant l'épreuve du feu. S'il fallait choisir entre levain et farine, je prendrais la blancheur du renouveau, la poudre fine du labeur accompli. Je laisserais à l'écart tout ce qui macère livré à l'œuvre du temps; les projets sans lendemain, les illusions défaites, et la blessure des regrets. Mais entre levain et farine, le royaume de Dieu s'en vient sans choisir ni trier. Le vieux se mêle au neuf; le passé au présent; L'inaccompli devient ferment enfoui dans la farine fleur des expériences nouvelles. Encore faut-il pétrir au jour le jour de nos vies l'espoir déçu et la joie naissante, les rancœurs héritées et les signes rassurants qui ouvrent l'avenir. Encore faut-il doser l'infime part de levain qui suffit à gonfler d'espérance la masse de notre quotidien.

Madeleine Lederrey