L'héritage que nous partageons

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Premier dimanche de septembre : des milliers d'écoliers et des centaines d'enseignants ont repris le chemin de l'école, la douceur de l'été est derrière nous, des affiches annoncent le comptoir ou les prochaines fêtes des vendanges et notre paroisse comme beaucoup d'autres est dans le temps de la reprise.
Il y a eu le 1er conseil de paroisse. Les cultes de l'enfance et les catéchismes vont recommencer en espérant avoir des équipes complètes de monitrices et de catéchètes. Il va y avoir la vente du secteur, les études bibliques, les rencontres des aînés, des jeunes, de la couture et j'en passe... bref, la vie de l'Eglise reprend ses activités habituelles.

Ce matin, c'est sur l'Eglise que les textes bibliques nous orientent. Et nous avons en plus, ce cadeau particulièrement bienvenu que vous êtes, auditeurs et auditrices de ce culte, vous qui nous rappelez que l'Eglise ne s'arrête pas aux frontières visibles de nos communautés.

Oh! quel plaisir, quel bonheur de se trouver entre frères c'est comme un parfum, c'est comme la rosée là le Seigneur a décidé de bénir dit le psaume 133 comme si cette affirmation était évidente et ne souffrait aucun doute. Est-ce que j'ose vous dire que, pris parfois par les soucis de la vie de l'Eglise au quotidien, il m'arrive de ne pas voir immédiatement où se trouve le plaisir, le bonheur et la bénédiction affirmés par le psalmiste ? et alors je me demande : quel est mon regard, ou mes regards, sur l'Eglise ? Est-ce que je regarde mal la réalité pour, à certains moments, ne pas être capable de voir l'Eglise comme nous la présente la Parole de Dieu ?

L'affirmation du psaume 133, comme la parole du Christ dans l'évangile de Matthieu là où 2 ou 3 sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux, et beaucoup d'autres textes dont la lettre de Paul aux Ephésiens, sont là justement pour aiguiser notre regard, pour nous apprendre à voir au-delà de nos apparences. Apprendre à voir l'Eglise - peuple de Dieu, l'Eglise - corps du Christ. L'apôtre Paul va jusqu'à utiliser l'image du mariage pour sensibiliser les chrétiens à cette relation mystérieuse et forte entre le Christ et l'Eglise.

Comment regardons-nous notre Eglise ? Le moins qu'on puisse dire aujourd'hui, c'est que les regards portés sur l'Eglise sont très différents :
- certains voudraient offrir à l'Eglise des couronnes mortuaires pour signifier qu'à leur avis elle n'a plus qu'à mourir.
-d'autres lui proposent des fleurs exotiques pour une cure d'amaigrissement budgétaire peut-être salutaire.... ou blessante.
- et parfois on lui offre un petit bouquet de louanges parce que, quand même, l'Eglise fait du bien, dit des choses justes, a un rôle social utile.

Que faire de ces réflexions, et de toutes celles que vous pouvez récolter en lançant le mot EGLISE dans la conversation, ave les mots de Paul l'Eglise corps du Christ ? L'Eglise est le corps, le Christ est la tête, et chacun comprend tout de suite que les deux sont étroitement liés.
Ces différences d'appréciation m'ont fait penser à ce passage de l'évangile où le Christ demande que disent les gens à mon sujet ?
A l'époque de Jésus, les réponses étaient déjà très variées :
Jésus ? - c'est un simple homme, c'est le fils du charpentier, on connait ses parents, il est comme nous.
Jésus ! c'est un prophète, un homme de Dieu qu'il vaut la peine d'écouter
et quand Jésus demande à ses disciples et vous, qui dites-vous que je suis ? il n'y en a qu'un, Pierre, qui a cette révélation étonnante : tu es le Christ, le fils du Dieu vivant. Mais je suis certain qu'ensuite les autres disciples ont aussi compris cette vérité profonde que Pierre leur faisait découvrir.
Pour le Christ, la tête, comme pour l'Eglise, le corps, ce qu'on voit peut dépendre de la manière dont on regarde. Ainsi, sans confondre le Christ et son Eglise, il faut prendre très au sérieux l'Eglise - corps du Christ. Pour ne pas en rester à un regard superficiel et limité, il faut aussi regarder l'Eglise à la lumière de la foi à laquelle nous sommes appelés.

L'Eglise, ecclésia, plus de 100 fois dans le Nouveau Testament, c'est littéralement l'assemblée de ceux qui ont été appelés, ou convoqués.
Par Jésus-Christ, Dieu appelle les humains à découvrir et à entrer dans son amour, à y grandir et à le partager.
(Je vous rappelle au passage que, contrairement aux biens matériels, l'amour ne diminue pas quand on le partage. Il n'est pas comme des tranches de gâteau qu'il faudrait faire plus petites ou un héritage dont les parts diminuent si on est nombreux. Bien au contraire l'amour augmente, grandit et se fortifie quand on le partage).

Donc Dieu appelle, il appelle chacun, et dans son appel il y a l'invitation pressante à lui répondre ET, dans le même mouvement, invitation à se joindre aux autres qui ont aussi été touchés par l'appel de Dieu.
La "dimension Eglise" n'est donc pas un luxe supplémentaire ou un "bonus" que le chrétien peut prendre ou laisser selon son envie ou le temps qu'il a à disposition. La "dimension Eglise" fait partie de la foi au Christ. En répondant à l'appel de Dieu, nous sommes de fait incorporés à l'Eglise. Incorporés non pas dans le sens autoritaire d'une incorporation dans l'armée, mais incorporés dans le sens biologique, la logique de la vie. La vie spirituelle du chrétien est bien sûr liée à Dieu, mais, et c'est aussi vital, il est lié aux autres. Pour le dire avec des termes théologiques, l'Eglise fait partie des moyens de grâce que Dieu nous donne.

Quand j'étais étudiant en théologie, nous nous retrouvions au Lapin Vert ou à la Pomme de Pin et nous refaisions le monde et l'Eglise. Un jour, après une discussion où nous avions fait une critique pertinente, à la fois sociologique et théologique de tous les défauts de notre Eglise, l'un de nous a eu cette phrase qui m'est restée : il n'empêche que c'est par cette Eglise que nous avons reçu la bonne nouvelle de Jésus-Christ ! et c'était vrai ! L'Eglise, imparfaite, pesante parfois - comme nous- et cependant cadeau de Dieu, lieu privilégié de bénédiction. Si l'échelle qu'on me propose pour m'élever est grossière, bancale et rugueuse, vais-je la refuser parce que je vois toutes ses imperfections, en oubliant ce qu'elle m'offre ?

Dans sa prière et son exhortation aux chrétiens d'Ephèse, l'apôtre Paul a ces mots fantastiques : Que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ vous donne un esprit de sagesse et de révélation qui vous le fasse vraiment connaître...
Sagesse et révélation : Paul est génial car il ne sépare pas sagesse et révélation, on pourrait dire : réflexion et intuition, intelligence logique et mouvement profond de l'être qui désire Dieu.
Et Paul poursuit en disant, littéralement, les yeux de votre coeur ayant été illuminés pour que vous sachiez
- quelle espérance vous donne son appel
- quelle est la richesse de sa gloire
- quel héritage il vous fait partager
- quelle immense puissance il a déployée en votre faveur.

Cette énumération me fait penser à la carte du menu dans un restaurant : espérance donnée par l'appel de Dieu, richesse de sa gloire, héritage à partager, puissance en notre faveur.
Une carte de menu superbe... mais quand je suis au restaurant, je ne mange pas la carte ! La description du menu peut me mettre en appétit, elle ne me nourrit pas.
Par contre, dans l'Eglise faite de gens ordinaires qui essayent de répondre à l'appel de Dieu, ma faim spirituelle trouve des aliments, parfois des miettes, parfois un festin.
Oui, je vérifie et je goûte l'espérance quand celui-là ou celle-là, malgré la maladie, le deuil ou l'épreuve vit en gardant espoir, en se confiant en Dieu. J'attrape quelque chose de la gloire de Dieu lorsqu'un frère ou une soeur peut dire une découverte ou un progrès spirituels faits, comme l'année dernière cette fillette de 8 ans expliquant aux autres enfants du culte de l'enfance : "avant, je croyais que Dieu était un grand monsieur très vieux, très loin dans le ciel. Mais maintenant je sais qu'il n'est pas comme ça", et ajoutant, le visage illuminé de joie, "parce que Dieu, il est lumière !"
L'héritage que Dieu nous fait partager avec les autres, ce n'est pas seulement se redire les uns aux autres des versets bibliques ou ce que j'appelle des vérités de catéchisme, mais c'est le partage, dans la faiblesse et dans l'imperfection de nos vies, que l'appel du Christ nous a touchés et mis en route.
Pour savoir, savoir d'une connaissance profonde, intérieure, quelle immense puissance Dieu déploie en notre faveur, je ne peux pas rester seul, car je suis trop limité, je ne suis qu'un membre ou une cellule du corps. Par grâce, Dieu me donne des frères et des soeurs : avec eux, à travers eux, en eux, j'apprends à voir se déployer l'action de Dieu qu'il a mise en oeuvre dans le Christ.

En commentant ce passage des Ephésiens, Calvin écrit : Jésus Christ est le seul miroir auquel on puisse contempler ce qui est obscur en nous.
Contempler Jésus-Christ aujourd'hui, c'est écouter et méditer de sa Parole, le prier et faire silence devant lui, mais c'est aussi le découvrir dans la personne des autres, ensemble, en Eglise. Là où 2 ou 3 sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux dit Jésus dans Matthieu. Le plaisir et le bonheur de se trouver entre frères évoqués par le psaume 133 ne dépend pas d'abord de la qualité des frères. Il y a dans l'Eglise comme dans la société et comme dans les familles des gens avec lesquels, humainement, il est plus facile de s'entendre qu'avec d'autres. Le plaisir et le bonheur d'être ensemble entre frères, on pourrait dire en Eglise, dépend d'abord du choix de Dieu : là le Seigneur a décidé de bénir dit le psalmiste.

Que dans ce temps de reprise de la vie de notre Eglise les mots de Saint Paul deviennent notre prière. Demandons à Dieu d'ouvrir les yeux de notre coeur pour savoir et voir toujours mieux l'espérance que donne son appel, la richesse de sa gloire, l'héritage que nous partageons, l'immense puissance déployée en notre faveur.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Anne-Claude Burnand
Musique
Anne Pouly, flûte traversière