"Faire le point avec soi"

image

Le sens du Carême est de prendre un moment dans l'année pour faire le point afin de savoir où l'on en est. En ce premier dimanche, nous le ferons avec le récit de la tempête apaisée. Ce récit développe un symbole éternel et universel. Aussi loin qu'on remonte dans le temps, "naviguer" exprime la vérité du séjour humain en ce monde. Lorsque la Bible évoque la navigation, elle veut parler de la traversée que nous accomplissons tous de la naissance à la mort.

Mais cette vérité est ambivalente, elle a deux aspects, l'un obscur, l'autre clair.

L'aspect obscur consiste à savoir qu'on est "embarqué" et qu'il y a des risques. Lorsque la tourmente se lève, il est impossible de descendre à côté de sa vie. On n'est pas protégé. Il y a là de quoi troubler les plus aguerris, comme le montre l'affolement des disciples, dont certains pourtant sont des gens rudes, habitués au métier de la mer. La tourmente révèle une réalité très importante sur nous-mêmes : exister , c'est être précaire et livrés à la peur sous toutes ses formes.

L'aspect clair de notre vérité humaine est dans ce récit figuré par le sommeil profond de Jésus, qui signifie qu'un recentrement sur une confiance fondamentale est possible. Au coeur de la précarité, on peut avoir accès à une dimension qui nous dépasse et qui nous porte tout à la fois. Il y a un axe à partir duquel nous pouvons nous orienter. Porteur du souffle de Dieu, l'existant peut accéder à l'Etre.

Cette possibilité passe par l'acte de foi , qui ne désigne pas ici le développement intellectuel de ce que l'on sait de Dieu, mais la confiance fondamentale dans la vie, en soi, en Dieu. La foi ainsi comprise permet de guérir de la peur, c'est-à-dire de surmonter l'angoisse d'exister. Tel est le secret chrétien par excellence.

L'apport de Jésus aura été justement de nous apprendre, par sa vie et par sa mort acceptée, à guérir de la peur à laquelle nous sommes livrés ici bas.

Nous comprenons de la sorte que les épreuves ne sont pas faites pour être éliminées - comment d'ailleurs cela se pourrait-il ? - mais pour être traversées. On ne peut ni rejeter ce monde, ni s'en détourner : il est comme il est, et l'Univers se déroule probablement comme il doit. La condition humaine est de le traverser, en y découvrant au fur et à mesure la présence de Dieu.

La fin du récit suggère que la foi peut des miracles. Si l'on veut bien accepter de transposer le symbole, en se souvenant que le mot miracle ne s'applique pas forcément à un "fait surnaturel" (?), mais plus sûrement aux choses qu'on admire (mirare=admirer en latin), on pourrait dire ceci : le premier miracle de la foi est de nous faire reprendre confiance, de nous rendre capable de mettre un pas devant l'autre, alors que nous sommes livrés à la peur. Le second miracle est que par là, nous prenons conscience de notre dignité. Dans toute la bible, il est répété que la dignité de l'homme consiste à être le reflet de Dieu.

Ce récit illustre l'humanisme intégral de l'Evangile. D'abord il prend la mesure exacte de la détresse qui peut s'emparer de nous. Ensuite, il montre comment trouver la confiance sans laquelle on ne deviendra jamais ce qu'on est. Enfin, il amène à découvrir que "devenir ce qu'on est" revient à laisser l'Etre se manifester à travers nous.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
François Desbaillet
Musique